Des auditeurs nous ont interpellé sur l’usage des mots Province et Région
Régions et non province – stop au mépris.
Bonjour, serait-il possible que la présentatrice du journal de 9 h de France Inter, surtout lorsqu’elle évoque des manifestations antiracistes, emploie le terme de « régions » et non « province » (terre vaincue) qui établit une hiérarchie entre Paris et les autres territoires nationaux ? De même qu’on fait du racisme inconscient à questionner une personne noire sur ses origines, il y a là aussi une forme de racisme inconscient. Merci de transmettre. Bonne journée.
Je voudrais attirer votre attention sur le mot « province » que vous employez souvent, « les grandes villes de province », cela est choquant, nous ne voulons plus être appelé « province », radio France n’est pas radio Paris, et France inter n’est pas Paris inter, et nous sommes ici en Auvergne, comme vous en France, dans toute sa diversité et sa richesse, comme vous nous payons nos impôts, ce ne sont pas des impôts de « provinciaux », mot qui désigne dans la culture Française souvent les arriérés, les gens des campagnes un peu en retard….Je suis fils de résistant, petit fils de soldat de 14, et ma famille ne sait pas battu en « provinciaux », pour défendre la « province », ils se sont battus pour la France tout simplement. j’ai été élevé (il y a longtemps….) dans cette vision unitaire de notre beau pays.
Vous pouvez dire région, nommer ces villes (ce qui serait la moindre des choses), aussi nommer les régions, donner un peu plus de d’attention à ce qui n’est pas Paris. Province et provinciaux (son corollaire) est un mot blessant, méprisant, et je voudrais juste que vous le sachiez.
Merci à vous si vous lisez ce petit mot, nous sommes de fidèles auditeurs dans une belle région, ouverte à tous et qui ne démérite pas.
Roland (Auvergne)
Bernard Cerquiglini, Professeur des Universités, Recteur honoraire de l’Agence universitaire de la Francophonie, Ancien Délégué général à la langue française et aux langues de France, Membre de l’Académie royale de Belgique, explique le sens des mots.
Reconnaissons-le : la province n’a pas bonne presse, surtout auprès des Parisiens. On explique sans doute ainsi l’étymologie fantaisiste souvent attribuée au mot, le faisant dériver du verbe latin vincere, « vaincre ». La province, se serait le territoire des vaincus : malheur à eux ! Certes, le latin provincia s’est dit du territoire gaulois colonisé par les Romains : la Provincia (romana) est devenue la … Provence. Mais il s’agissait d’un des emplois du terme provincia, d’origine obscure, désignant en général le domaine d’activité d’un magistrat. D’où son usage pour un territoire conquis, mais aussi pour une circonscription ecclésiastique, etc.
Province, calqué sur le latin au XIIe siècle, eut d’abord un emploi ecclésiastique, désignant la juridiction d’un ordre (dirigé par un provincial) ; le mot s’est dit ensuite d’une division territoriale de l’Ancien Régime (la province du Lyonnais). A partir du XVIIe siècle, la centralisation royale a donné au terme un sens négatif : province désigne la partie du territoire qui ne comprend pas Paris. L’Etat fort révolutionnaire et postrévolutionnaire a conforté cette dualité capitale / province, laquelle a pris, à partir du XIXe siècle, une valeur appréciative, qu’un romancier comme Balzac a bien perçue (les mœurs de province). D’où des locutions communes telles que faire province, un peu province, une gaucherie provinciale.
Les grandes lois de décentralisation territoriale (lois Defferre) de 1982 ont accompagné un essor de la province, lui fournissant les moyens politiques et financiers de son développement, et le lexique de sa fierté : la France est désormais formée de collectivités territoriales, de même dignité et s’administrant librement (titre XII de la Constitution), notamment de régions.
Pour échapper aux connotations dépréciatives du mot province, on recourt ordinairement au terme, neutre ou favorable, de région.
Fort bien. Mais le naturel, chassé, ne manque pas de faire retour, par la syntaxe. La locution la plus commune est « en région » (pour signifier « hors de Paris ou d’Ile de France), laquelle néglige placidement le fait que l’Ile de France est également une région, et constitue, par son emploi au singulier, un calque parfait de « en province ». C’est une variante « politiquement correcte ».
« Dans les régions » serait un moindre mal. Mais le natif de Lyon que je suis n’ignore pas que l’arrogance parisienne n’a pas encore pris la mesure du développement spectaculaire des régions autres que l’Ile de France, de l’élan provincial, – terme que j’emploie, non sans provocation. En province, on a la chance de ne pas « faire Paris ».
Bernard Cerquiglini
Pour aller plus loin, nous vous proposons aussi cette vidéo : Cécile Faliès, géographe et maître de conférence à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne apporte un éclairage sur le sens des mots.