Le conflit israélo-palestinien
Depuis le début du mois de mai les événements en Israël et dans les territoires palestiniens suscitent un courrier abondant. Les remarques des auditeurs se divisent en deux catégories : ceux qui jugent le traitement éditorial de cette actualité pro-palestinien et ceux qui estiment que le traitement journalistique est pro-israélien.
La couverture du conflit israélo-palestinien est complexe et pose de nombreux défis que nous évoquerons avec Jean-Marc Four, directeur de la rédaction internationale de Radio France.
Autre thématique récurrente dans les courriels des auditeurs ce mois-ci : le temps de parole des formations politiques, les auditeurs de France Inter estiment que les membres du gouvernement sont trop présents sur l’antenne.
Qu’en est il exactement ? Le temps octroyé aux ministres ou aux différents partis est-il laissé à la libre appréciation de la chaîne ou bien régi par des règles strictes ?
Nous verrons tout cela avec Jean-Christophe Ogier adjoint au secrétaire général de l’information de Radio France en charge des temps de parole sur les antennes. Jean-Christophe Ogier, nous évoquons toutes ces questions avec vous après une première partie d’émission consacrée à Israël et aux territoires palestiniens.
Nous avons assisté en ce mois mai aux pires violences depuis 2014 en Israël et dans les Territoires palestiniens. Les auditeurs nous écrivent chaque jour au sujet du traitement éditorial de ce conflit : Voici différents extraits de leurs messages :
« Je suis toujours perplexe devant le parti pris de vos journalistes dès qu’il s’agit d’Israël. Les témoignages diffusés sont la plupart du temps ceux des palestiniens et à de rares exceptions près aucun témoignage de la vision israélienne »
Autre message : « Comment espérer un débat équilibré sur les événements de Jérusalem en invitant l’ambassadeur d’Israël, dont on sait qu’il est la voix du gouvernement de Netanyahou »
Un auditeur nous écrit également : « J’ai écouté vos infos sur le conflit actuel et je n’ai eu que des informations favorables à un côté, tout est de la faute d’Israël, vraiment vous êtes hyper-orientés contre Israël et pro-Hamas, pro-palestiniens en général, c’est flagrant »
Au regard de tous les messages reçus que vous pouvez retrouver sur le site de la médiatrice, il nous a semblé très important dans ce rendez-vous aujourd’hui d’expliquer de quelle manière se mobilise la rédaction internationale de Radio France, les moyens mis en place pour couvrir ces événements et les difficultés auxquelles sont confrontées les journalistes.
Jean-Marc Four, merci de venir répondre aux remarques soulevées dans les nombreux courriels reçus : une première question :
Comment s’équilibrent les prises de paroles de toutes les parties pour traiter cette actualité ?
Jean-Marc Four : Il faut mesurer à quel point c’est difficile, parce qu’en réalité, il y a une grande multiplicité d’acteurs. Ce n’est pas seulement les Israéliens et les Palestiniens. Si vous allez côté israélien, vous avez par exemple 13 partis représentés à la Knesset. Donc vous avez des laïcs, vous avez des religieux, vous avez des ultranationalistes, vous avez Benjamin Netanyahou, etc. Et puis après, dans la population, vous avez, on l’a entendu dans cet extrait de reportage de Frédéric Métézeau, aussi, la question de ceux que l’on appelle les Arabes israéliens 20 % de la population israélienne, mais qui sont en fait des Palestiniens qui sont restés en Israël en 1948. Bref, il y a une multiplicité de voix et c’est la même chose côté palestinien, c’est évidemment très différent en Cisjordanie, avec le Fatah de Mahmoud Abbas, vieillissant et usé, et le Hamas, qui contrôle Gaza, qui n’a à peu près rien à voir aujourd’hui. Et en plus, vous avez la population palestinienne dont on ne sait pas très bien ce qu’elle pense de ses dirigeants puisqu’il n’y a pas eu d’élections depuis 15 ans. Donc, en fait, vous avez une multiplicité d’acteurs à faire entendre. Ce n’est pas seulement israélo-palestinien, ça c’est le premier point. Et le deuxième point, c’est que vous ne pouvez pas faire entendre tout le monde en même temps. Par exemple, on aurait entendu Daniel Saada, qui est le représentant d’Israël en France. Mais dans une autre émission de France Inter, on aura entendu Elias Sanbar, qui est un Palestinien. On ne les fait pas nécessairement entendre en même temps. Donc, c’est très difficile si vous n’entendez qu’un seul sujet, un seul reportage, un seul journal, vous avez l’impression que ça penche d’un côté ou de l’autre selon l’horaire que vous écoutez. Mais au bout du compte, on essaie d’avoir un équilibre global et de faire entendre tout le monde.
Emmanuelle Daviet : Alors on poursuit avec une autre question :
Comment travaillez-vous afin que les sujets qui passent à l’antenne reflètent au plus près la réalité du terrain ?
Jean-Marc Four : En temps normal, nous avons deux journalistes qui travaillent pour les équipes de Radio France : Frédéric Metézeau, qui est basé à Jérusalem, et une pigiste, qui est Alice Froussard, qui est basée à Ramallah, en Cisjordanie. Bien, ça ne reflète donc qu’une petite partie de la réalité israélo-palestinienne. On en est bien conscient, déjà au départ. Et cela étant, avec deux journalistes, on est particulièrement bien équipés, j’allais dire, par rapport aux autres radios françaises, à l’exception bien sûr de Radio France Internationale. On a voulu envoyer des renforts pour pouvoir aller sur d’autres endroits en même temps. On n’a pas pu. Il a fallu attendre le cessez le feu pour qu’Israël laisse entrer un reporter supplémentaire. Il a fallu attendre le cessez le feu pour que nous puissions entrer à Gaza. Parce qu’en plus, pour rentrer à Gaza, il y a trois check points, un check point israélien, un check point de l’Autorité palestinienne, le Fatah et un check point du Hamas. Donc, il vous faut les trois autorisations et ni le Hamas, ni Israël ne voulaient laisser entrer des journalistes à Gaza, tant qu’il y avait des bombardements, on ne peut pas être partout en même temps. C’est l’extrême difficulté. Encore une fois, vous allez entendre un reportage à Sdérot qui est touché par les tirs de roquettes des terroristes du Hamas, côté israélien. Mais à ce moment là, vous n’avez pas entendu les reportages à Gaza. Quelques jours plus tard, vous allez entendre les reportages à Gaza parce qu’on a réussi à rentrer, mais nous ne serons plus Sdérot, etc. Vous voyez l’écueil ? Il y a un autre écueil pour entrer en Israël aujourd’hui dans les territoires palestiniens, c’est qu’évidemment, il faut être vacciné, doublement vacciné. A dire vrai, il faut avoir eu les doubles doses de vaccin depuis déjà quinze jours. Ça limite là aussi le nombre de personnes qui sont susceptibles d’y aller. Enfin, j’ajoute un dernier paramètre, c’est que cela n’empêche pas, bien sûr, que nous travaillons aussi depuis Paris avec plusieurs journalistes dans l’équipe de la rédaction internationale, qui sont des spécialistes de cette partie du monde. Je songe par exemple à Omar Ouahmane ou à Christian Chesnot. On a aussi une équipe qui travaille à Paris sur un certain nombre d’angles que l’on peut traiter depuis Paris.
Emmanuelle Daviet : On lit à travers les messages des auditeurs la difficulté de se faire un point de vue objectif sur ce conflit. Comment relever ce défi ?
Jean-Marc Four : C’est un défi majeur. Il y a beaucoup de subjectivité de part et d’autre et c’est bien compréhensible sur cette question du conflit israélo-palestinien. La seule solution pour se forger un avis que je qualifierais d’honnête parce que l’objectivité est une notion qui est à mon sens, n’existe pas vraiment. C’est d’aller sur le terrain pour constater de soi-même, par soi-même, ce qu’il se passe. Quels sont les bilans réels ? Qu’est ce qui s’est réellement passé ? Cela nécessite d’aller sur le terrain en sachant que dans ces périodes de conflit et de guerre, quel que soit le conflit ou la guerre, vous êtes confrontés à des formes de propagande, d’un côté comme de l’autre, on cherche à vous manipuler à ne vous communiquer que certaines informations, c’est le propre de la guerre de tous les côtés. Donc, il faut faire très attention aux manipulations des uns comme des autres. Encore une fois, je répète la seule solution pour un journaliste pour se forger un avis honnête, c’est d’aller sur le terrain.
Emmanuelle Daviet : Et puis, on peut peut être ajouter que la tâche est également rendue complexe par les invectives et les mises en cause sur les réseaux sociaux par des personnalités publiques, en France, des politiques, des chercheurs et des militants ?
Jean-Marc Four : ça, c’est très difficile. C’est à dire que : admettons, vous faites un reportage, je vais reprendre l’exemple. Vous faites un reportage à Sdérot ville israélienne qui est touchée par les tirs de roquettes du Hamas. Nous sommes en Israël. Aussitôt, vous allez sur les réseaux sociaux être attaqués par des gens qui vont vous dire « vous êtes pro-israélien. Vous ne faites entendre que la douleur des Israéliens. Nous ne sommes pas à Gaza. Nous n’entendons pas les enfants qui meurent sous les bombardements israéliens. » Puis, après quelques jours plus tard, vous allez pouvoir vous rendre à Gaza. Vous allez faire entendre les victimes civiles, nombreuses à Gaza. Et là, vous allez avoir les attaques inversées de gens qui vont vous dire, « vous êtes décidément trop pro-palestinien. Vous ne faites pas entendre la douleur des Israéliens. Les terroristes, c’est le Hamas. » Et c’est vrai que le Hamas est reconnu comme une organisation terroriste par l’Union Européenne. Et c’est tout le temps comme ça, en fait. Vous êtes tout le temps attaqué d’un côté comme de l’autre, et parfois avec une extrême virulence qui ne prend pas en compte, ce que les Anglais appellent « the bigger picture », c’est le paysage global, l’ensemble de notre couverture qu’il faut regarder toutes éditions, tous journaux confondus, tous reportages confondus. Et je vous assure que notre effort permanent est d’être honnête et de faire entendre tous les points de vue et d’aller sur tous les terrains.
Le temps de parole
Le pluralisme politique est essentiel pour garantir à chacun une information politique diversifiée et à travers des interviews , des reportages, en donnant la parole aux acteurs sur le terrain, France Inter enrichit le débat public, nécessaire pour nous éclairer en tant que citoyens et électeurs. Mais régulièrement les auditeurs nous écrivent au sujet du pluralisme sur l’antenne. Voici quelques messages :
« Je suis un auditeur fidèle et inconditionnel de France Inter depuis très longtemps… mais… je me pose des questions sur le pluralisme et l’équité de cette radio en listant les invités dernièrement : 4 membres du gouvernement en 3 jours sur votre antenne »
Autres messages : « J’aimerais savoir s’il n’existe que 3 partis politiques en France: LR – LREM ET RN car votre radio ne parle pratiquement et exclusivement que de ces 3 partis politiques »
Jean-Christophe Ogier, vous êtes adjoint au secrétaire général de l’information de Radio France en charge des temps de parole sur les antennes, pouvez-vous nous rappeler comment se répartit ce temps de parole des formations politiques en dehors des périodes électorales ?
Jean-Christophe Ogier : Il faut faire un peu d’histoire. Il faut revenir. Peut-être à une époque où il y avait la radio, un peu de télé, mais c’est tout, pas de réseaux sociaux. Et surtout, il n’y avait qu’une voix qui passait à la radio. C’était la voix de la France, c’était celle du pouvoir. 68 est passé par là. On a reconnu que l’opposition avait voix au chapitre et assez vite, on s’est mis à faire une règle, à respecter une règle, qui était la règle dite des trois tiers : un tiers pour le gouvernement, il gouverne, il a donc le droit de dire ce qu’il fait, un tiers pour la majorité qui le soutient et qui explique pourquoi, et un tiers pour l’opposition qui veut combattre ces idées-là et ces actions-là. Et puis, les choses ont évolué parce qu’on s’est aperçu que ça ne suffisait pas à rendre compte de la réalité politique et entre autres choses, il fut un moment où on a décidé qu’il fallait ouvrir cela même aux formations qui n’étaient pas représentées au Parlement, c’est à dire à l’Assemblée nationale et au Sénat. Il y a donc eu la volonté de donner la parole aux partis non représentés, les PNR et les AFP, les autres formations politiques. Les choses ont encore évolué. On est passé à une règle qui voulait que le bloc majorité, parce que on avait oublié quelque chose, le chef de l’Etat, à l’époque, était au dessus, parlait au nom de la France, à tous les Français. Et puis Nicolas Sarkozy est arrivé. Il était partout dans les médias, ou alors ses conseillers. Des gens s’en sont émus. Le CSA, le Conseil d’Etat ont pris conscience de la chose. Et désormais, il y avait un bloc majorité qui était le Président de la République dans le cadre du débat national, ses conseillers, le gouvernement, ça c’est le bloc exécutif avec sa majorité. Et il fallait que l’opposition est au moins la moitié du temps de parole du Bloc majorité. Et on a encore évolué parce qu’en 2017, Emmanuel Macron est élu. L’Assemblée change. On s’aperçoit qu’il n’y a plus une opposition, mais des oppositions variées à droite à gauche. Désormais, nous sommes sous une règle qui veut que l’exécutif, Président de la République et gouvernement, est quoi qu’il arrive 33% du temps de parole, un tiers, et que le reste du temps de parole soit réparti de manière équitable, ça ne veut pas dire égal, équitable selon la force, les forces en présence et leur poids dans l’Assemblée, au Sénat, dans les régions. Donc ça veut dire quand même pour répondre au ressenti de vos auditeurs. On a beaucoup de voix représentées à l’antenne qui portent celle des décideurs, donc de la majorité.
Emmanuelle Daviet : Les élections régionales et départementales ont lieu les 20 et 27 juin prochains. Lorsque les électeurs sont appelés aux urnes, le CSA détermine une période pendant laquelle les antennes doivent aussi respecter des règles spécifiques. Quels principes s’appliquent ?
Jean-Christophe Ogier : Les règles qu’on vient d’évoquer continuent. Mais parallèlement, il y a des règles spécifiques selon les scrutins. Le CSA commence par donner la campagne. En l’occurrence, nous sommes en campagne depuis le 10 mai, au sens CSA du terme. Ça va faire six semaines de campagne avant le premier tour. Là encore, il faudra respecter l’équité en s’intéressant d’une part, par exemple pour les régionales à la circonscription qu’est la région. Donc, regardez quand on fait un focus sur une région. Regardez quel est le poids relatif des forces en présence, et ce n’est pas le même en Alsace, en Ile de France, dans les Hauts de France ou en PACA. Et puis, il y a les règles pour les départementales, la circonscription, c’est le canton. Donc si on fait un focus sur un canton, on regarde l’équité de la même manière avec les candidats qui sont en présence dans le canton. Et il y a également à respecter quelque chose, l’équité toujours, quand on est au niveau du département, même si ce n’est pas formellement parlant une circonscription. Donc, il faut savoir à qui on donne la parole, comment on équilibre toutes les semaines, on envoie les temps de parole au CSA.
Emmanuelle Daviet : Donc le respect de l’équité entre les listes de candidats ou entre les candidats eux-mêmes est vérifié par le CSA tout au long de campagne électorale. Très concrètement comment s’opère cette vérification ?
Jean-Christophe Ogier : Eh bien d’abord, comme nous mesurons à la seconde près, nous envoyons des tableaux toutes les semaines. Ces tableaux sont regardés toutes les semaines par les équipes du CSA qui peuvent également procéder à des écoutes pour vérifier que nous avons bien découpé comme il fallait nos temps de parole que nous respectons effectivement, que nous ne les trompons pas, et puis, surtout, les candidats eux-mêmes. Les formations politiques saisissent le cas quand elles se sentent maltraitées. Le CSA revient vers nous et nous devons justifier de notre travail ou rectifier.
Emmanuelle Daviet : Donc nous pouvons rassurer les auditeurs , tout cela est strictement encadré ?
Jean-Christophe Ogier : C’est encadré tout au long de l’année. Pour le pluralisme hors élections, nous rendons compte tous les mois de nos temps de parole. Le CSA contrôle et nous demande d’équilibrer par trimestre. Quand les choses ne sont pas faites, il peut y avoir des rappels à l’ordre, des mises en garde, des mises en demeure. Ça peut aller même jusqu’à une amende qui est imposée à la société éditrice, c’est à dire la radio, le groupe Radio France, par exemple, en ce qui nous concerne. Donc toute l’année, nous sommes tenus et nous sommes réellement très contrôlés. Pendant les élections, c’est encore plus serré puisque nous devons rendre des comptes toutes les semaines, puisque le CSA se réunit toutes les semaines pour regarder quels sont les temps de parole de tous les éditeurs, toutes les radios, toutes les télés et tout au long de cette campagne, revient vers nous pour nous demander de rectifier s’il y a lieu. Enfin et surtout, les candidats eux-mêmes, les formations politiques saisissent, le CSA pour dire nous nous sentons maltraités. A nous de démontrer que nous faisons bien notre travail.
Je termine cette émission avec un message de Pierre Weill pour les auditeurs, voix historique de France Inter, lundi dernier, à 19 heures, Pierre Weill a présenté son dernier journal après une carrière exceptionnelle à Radio France, commencée en 1979. Une carrière teintée d’une grande modestie, de discrétion et d’une vibrante passion pour ce métier. Les auditeurs ont été très nombreux à réagir à l’annonce de son départ. Pierre a reçu des centaines de messages. Le service de la médiation lui a bien sûr fait parvenir tous les mots que vous lui avez écrit. C’est un trésor absolu, nous a-t-il confié. Et à propos de tous ces courriels, il écrit :
« Je suis totalement bouleversé par ces messages si nombreux, si chaleureux. La radio crée un lien que je ne mesurais pas. Ces messages sont merveilleux. Je n’ai pensé qu’aux auditeurs pendant 42 ans pour les informer au mieux. Quelle récompense, ces messages ? Ma vie a eu un sens quand je lis ces mots d’auditeurs. Ils ne me quitteront jamais. Vous n’imaginez pas comme je suis ému. Merci ». C’est avec ces mots sensibles et plein d’humanité de Pierre Weill que s’achève le rendez-vous de la médiatrice.