Une « certification » des invités en temps de covid et éviter les conflits d’intérêt : deux demandes majeures de nos auditeurs

Les auditeurs veulent une « certification » des invités qui s’expriment. En d’autres mots, avoir la garantie que le propos diffusé est porté par un interlocuteur dont le profil est correctement établi. Emmanuelle Daviet médiatrice des antennes, leurs apporte des éléments de réponse.

Carton plein

L’exigence est nouvelle, elle est apparue en avril dernier, en plein confinement : les auditeurs veulent une « certification » des invités qui s’expriment. En d’autres mots, avoir la garantie que le propos diffusé est porté par un interlocuteur dont le profil est correctement établi.
Quelle est sa légitimité à s’exprimer ? Quel est son positionnement politique ? A-t-il d’éventuels conflits d’intérêts ? Appartient-il à une chapelle idéologique ? Est-il syndicaliste ? Membre d’un mouvement ? Est-il invité à l’occasion de la promotion de son livre ? A-t-il plusieurs « casquettes » ?
Avant l’été, cette demande visait uniquement des scientifiques ou des médecins, très présents alors sur les antennes. Elle s’étend désormais aux différents interlocuteurs et invités des chaînes.
Le chercheur, infectiologue, virologue, épidémiologiste, microbiologiste invité en studio est-il en lien avec des laboratoires pharmaceutiques ?
Le médecin qui témoigne est-il engagé dans un mandat électoral ?
D’où tire sa légitimité, le soi-disant « expert » d’un cabinet de conseil lambda présent en plateau ?
L’enseignant interviewé est-il syndiqué ?
L’universitaire au micro est-il militant au sein d’une association de défense de causes, de droits, d’intérêts spécifiques ?
Le témoin d’un reportage, ou l’un de ses proches, est-il directement, ou indirectement, victime d’une agression, atteint d’une pathologie, etc. ?

La liste serait longue. Ces quelques exemples permettent d’entrevoir la porosité à l’œuvre lorsqu’une seule et même personne évolue dans différentes sphères, politique, sociale, culturelle, économique, militante, ou dans des groupes d’intérêt, d’influence ou de réflexion (« lobby », « think tank ») ou s’avère être un soutien à une personnalité engagée dans une cause particulière.
On comprend dès lors que ces situations d’interférence sont de nature à influencer le propos de l’interviewé et donc, l’entacher de suspicion si ce dernier n’a pas été présenté avec transparence.

Il ne s’agit pas pour le journaliste d’être exhaustif, le temps limité en radio ne l’y autorise pas, néanmoins, parfois, une courte mention suffit à exposer les affinités éclairantes de l’interlocuteur au micro. Donner une identité « enrichie » des intervenants est une simple application des principes déontologiques inhérents à la pratique journalistique. Il s’agit également d’une marque de respect à l’égard des auditeurs. Cette présentation leur permet en effet de juger de la partialité ou non de l’interviewé et de la crédibilité de son propos. À l’auditoire ensuite de se forger un point de vue.

Il n’en demeure pas moins que l’exercice est délicat et peut s’avérer complexe, voire contreproductif. En effet, si l’on comprend bien que l’omission de certaines qualités d’un invité soit sujet à crispations pour des auditeurs, estampiller d’emblée un interlocuteur avec quelques étiquettes peut être réducteur et le ranger sans nuance dans une catégorie qui orientera ipso facto l’écoute de l’auditeur avant même que l’interview n’ait commencé.
Dans une présentation, il ne s’agit ni d’être exhaustif, ni lacunaire mais honnête, et au plus près de la réalité de l’invité au moment où il parle.

Cartons d’invitation

À ce sujet, nous recevons régulièrement des remarques d’auditeurs : « Interview – ou plutôt tribune libre – de Laurent Mucchielli, sociologue, expliquant que la politique anti-Covid n’est pas bien menée. Sur le fond, pourquoi pas ? Encore faudrait-il que Franceinfo fasse preuve d’un peu d’honnêteté intellectuelle : Laurent Mucchielli est connu pour sa sociologie militante… L’interviewer comme s’il s’agissait d’un scientifique analysant des chiffres est malhonnête. Regardez donc ce qu’il a publié avant. Si quelqu’un lui avait apporté la contradiction, pourquoi pas mais là… Ce genre de journalisme pose un problème d’éthique. »

Dans le même ordre d’idées et au regard de cette exigence, aurait-il fallu mentionner que samedi dernier l’invité dans la matinale de France Inter, François Burgat, politologue et directeur de recherche émérite au CNRS (Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman/IREMAM à Aix en Provence), était l’un des signataires de l’appel international de soutien à Tariq Ramadan en avril dernier ?
Oui, estiment des auditeurs, dans le contexte d’une invitation le lendemain de l’attaque terroriste : « Etonné que le lendemain d’un attentat islamiste et en plein procès Charlie on invite un défenseur de Tariq Ramadan » « qui justifie les attentats de novembre 2015 », « Je suis outré d’entendre François Burgat dire tranquillement que les terroristes ne sont pas seuls responsables pour hier (attaque du 25/09 près des anciens locaux du journal satirique ndlr) et Charlie Hebdo, et que la société française est en partie coupable. L’islamo-relativisme. Burgat est contesté et militant, précisez-le ».
Éric Delvaux, rédacteur en chef et coprésentateur de la matinale du week-end leur répond dans la lettre de la médiatrice #40

Autre réponse à lire dans la Lettre, celle de Laurence Bloch. La directrice de France Inter répond aux centaines de messages reçus à la suite de l’intervention de Geoffroy de Lagasnerie jeudi dans la matinale. Fallait-il l’inviter ? Beaucoup en doutent, ne comprenant pas la pertinence de lui offrir, sur un plateau, la première matinale de France. D’autres, au contraire, ont jugé son propos radical « inspirant ».

En préambule de l’interview, Nicolas Demorand a décliné de manière exemplaire – dans le sens où l’entendent les auditeurs – le profil de l’invité : « Avec Léa Salamé, nous recevons ce matin dans le Grand entretien un sociologue, philosophe. Ses précédents travaux portaient sur Michel Foucault, sur les lanceurs d’alerte. Il est proche d’Assa Traoré et du comité Adama. En cette rentrée, il publie chez Fayard “Sortir de notre impuissance politique » ».
Suivent 24 minutes d’une interview « sidérante », « choquante » « inaudible » « décoiffante » « rafraîchissante » « différente », dixit les auditeurs.
Si d’aucuns se demandaient si Geoffroy de Lagasnerie est clivant, la réponse est désormais incontestable au regard de la teneur des messages reçus, 60% condamnent ses propos ou critiquent cette invitation, 40% apprécient de l’avoir entendu.
Si d’aucuns se demandaient si Geoffroy de Lagasnerie affole les consciences derrière leur poste, la réponse est volumétriquement mesurable : des centaines d’auditeurs se sont aussitôt rués sur leur clavier pour exprimer tout le mal ou tout le bien qu’ils en pensaient :

« Je suis choquée par les propos de cet invité qui se dit de gauche mais qui prône toutes les méthodes des dictatures (manipulation, violence, destruction de l’Etat et non-respect du vote…) »
« Quelle est la légitimité de cette personne ? Quels sont vos critères pour donner la parole à ce genre de discours ? Ce discours est abject. Ce discours d’extrême gauche est connu. Il conduit aux dictatures. »
« Merci pour cet entretien avec Geoffroy de Lagasnerie. Cela change des discours normés des politiciens et tend vers un équilibre des personnes invitées. »
« Avez-vous bien réfléchi avant d’inviter cette personne au débit insupportable et parfois inaudible ? A une heure de grande écoute on aimerait entendre autre chose qu’un trotskiste énervé. »
« Comment pouvez-vous offrir 25 mn d’audience à un individu dont l’ambition assumée et affirmée est de détruire la démocratie est d’imposer à chacun sa vision du monde ? À un siècle de distance j’avais l’impression d’entendre Lénine… Il vous reste à offrir 25 mn d’audience à un obscur intellectuel d’extrême-droite pour que chaque extrême du spectre électoral soit représenté sur votre antenne, et boucler la boucle antidémocratique… La sidération est le seul mot qui me vient pour qualifier ce que je ressens. »
« Merci beaucoup France Inter pour cette interview de Geoffroy de Lagasnerie. C’était passionnant, inspirant, d’une intelligence rare, et si différent de ce qu’on entend tout le temps, partout. Ces voix sont beaucoup trop rares dans l’espace médiatique. »