Par Emmanuelle Daviet médiatrice des antennes de Radio France

Cet article a été publié dans la revue PAROLE PUBLIQUE n°28 de novembre 2021 à découvrir ici

« La confiance est une suspension temporaire et fragile de la méfiance » estime le sociologue Claude Fischler. Dans le champ de l’information ou de la communication publique, quelles modalités mettre en œuvre afin de favoriser une relation de confiance entre les institutions et le public ? Composante essentielle de tout régime démocratique, la notion de confiance est complexe à traiter dans le cadre de relations impersonnelles, à savoir avec une institution, une administration ou encore les médias. La relation s’affirme d’emblée verticale et inégale. Afin de pallier ce déséquilibre, l’élaboration de chartes, de contrats, ou encore la création de comités d’éthique ont institutionnalisé les tentatives de renforcement ou de restauration de la confiance, avec l’incitation faite aux responsables de rendre des comptes. Matérialiser une relation de confiance dans le domaine public reste néanmoins complexe mais s’avère indispensable puisqu’elle relève de l’intérêt général. A contrario, une relation de confiance qui se fragmente, ou peine à s’affirmer, fragilise les relations collectives avec des conséquences qui peuvent durablement altérer l’état d’une démocratie.

La transparence s’oppose donc à l’opacité des pratiques.

« Établir la confiance », l’impératif n’est pas nouveau et trouve de nouvelles formes d’articulation au fil des mandatures. Ainsi, à l’issue de l’élection présidentielle de 2017, l’exécutif a souhaité mettre en place, « le rétablissement de la confiance dans l’action publique ». Les enjeux ont été formulés lors du conseil des ministres du 14 juin 2017 : « la transparence à l’égard des citoyens, la probité des élus, l’exemplarité de leur comportement constituent des exigences démocratiques fondamentales. Elles contribuent à renforcer le lien qui existe entre les citoyens et leurs représentants, comme elles doivent affermir les fondements du contrat social ». La notion de transparence retient ici l’attention. Il s’agit de rendre accessible de l’information dans les domaines qui concernent l’action publique avec le postulat d’expliciter une activité, de reconnaître ses erreurs afin d’établir une relation de confiance.

Deux univers aux temporalités très distinctes : le temps long de la recherche et la contrainte de l’urgence journalistique.

Dans la médiation de presse, être transparent c’est porter à la connaissance du public les remarques voire les critiques qui sont formulées envers les journalistes. La transparence s’oppose donc à l’opacité des pratiques et lorsque l’actualité est dense, et parfois dramatique, expliquer nos méthodes de travail, décrypter nos choix éditoriaux est capital. À ce titre, le traitement éditorial de la pandémie nous paraît exemplaire. Il permet d’observer que le besoin de cohérence et de transparence ne cesse de s’exprimer dans l’opinion publique sur fond d’une défiance affirmée à l’égard de la presse. Depuis le début de la crise sanitaire, nos concitoyens sont déstabilisés par la contradiction des propos entendus : des médecins ne sont pas d’accord entre eux, des scientifiques se querellent dans le contexte d’une situation complexe où tout est porté sur la place publique, face à un auditoire peu formé en matière scientifique ou médicale, journalistes y compris. La couverture de la pandémie de Covid-19 attise les questions du public sur la science et la place que des scientifiques, des chercheurs ou des médecins occupe dans l’espace médiatique et, en ce qui nous concerne, sur les antennes de Radio France.

Quelle est la légitimité de l’interviewé à s’exprimer ?

Il est important de souligner ici que les médias et les chercheurs articulent leur collaboration avec des finalités inhérentes à leurs fonctions respectives : les journalistes souhaitent étayer leurs propos avec des savoirs experts, compréhensibles par le grand public, afin de remplir leur mission d’information. Pour tout citoyen, être informé est un droit, comme le mentionne en préambule la Charte de déontologie de Munich, également appelée Déclaration des devoirs et des droits des journalistes : « Le droit à l’information, à la libre expression et à la critique est une des libertés fondamentales de tout être humain. Ce droit du public de connaître les faits et les opinions procède l’ensemble des devoirs et des droits des journalistes ». Quant aux scientifiques, dans un contexte de compétition entre laboratoires, pour la valorisation de leurs travaux, une mise en lumière médiatique n’est pas négligeable, quitte parfois à favoriser « un buzz » pour amorcer ou asseoir une notoriété, choix de communication éthiquement discutable mais possiblement rentable pour l’avenir de leurs travaux et leur propre carrière.

Ajoutons que cette co-construction d’un discours médiatique, et pragmatique de la vérité à un instant T, s’articule au sein de deux univers aux temporalités très distinctes : le temps long de la recherche et la contrainte de l’urgence journalistique dictée par les impératifs du quotidien.

C’est dans ce contexte qu’est apparue au printemps 2020, en plein confinement, une exigence nouvelle du grand public : la « certification » des invités qui s’expriment. En d’autres mots, avoir la garantie que le propos diffusé est porté par un chercheur, un scientifique, dont le profil est correctement établi. Au fil des mois, cette exigence s’est aiguisée ou, plus exactement, s’est déployée à l’ensemble des interlocuteurs sollicités pour répondre à une interview ; exigence du public argumentée via le champ lexical de la probité : « vérité » et « transparence » et fondée sur de multiples questions :

Quelle est la légitimité de l’interviewé à s’exprimer ? Quel est son positionnement politique ? A-t-il d’éventuels conflits d’intérêts ? Appartient-il à une chapelle idéologique ? Est-il syndicaliste ? Membre d’un mouvement ? Est-il invité à l’occasion de la promotion de son livre ? A-t-il plusieurs « casquettes » ? Le chercheur, infectiologue, virologue, épidémiologiste, microbiologiste invité en studio est-il en lien avec des laboratoires pharmaceutiques ? Le médecin qui témoigne est-il engagé dans un mandat électoral ? D’où tire sa légitimité le soi-disant « expert » d’un cabinet de conseil lambda présent en plateau ? L’enseignant au micro est-il syndiqué ? L’universitaire est-il militant au sein d’une association de défense de causes, de droits, d’intérêts spécifiques ? Le témoin d’un reportage, ou l’un de ses proches, est-il directement, ou indirectement, victime d’une agression, atteint d’une pathologie, etc. ?

La liste serait longue. Ces quelques exemples permettent d’entrevoir la porosité à l’oeuvre lorsqu’une seule et même personne évolue dans différentes sphères, politique, sociale, culturelle, économique, militante, ou dans des groupes d’intérêt, d’influence ou de réflexion (lobby, think tank) ou s’avère être un soutien à une personnalité engagée dans une cause particulière. On comprend dès lors que ces situations d’interférence sont de nature à influencer le propos de l’interviewé et donc, de l’entacher de suspicion si ce dernier n’a pas été présenté avec transparence.

Entre profanes et experts, ces controverses scientifiques, médiatiquement exposées, politiquement arbitrées, étayent spectaculairement le diagnostic de « La société du risque » établi par Ulrich Beck.

Il ne s’agit pas pour le journaliste d’être exhaustif, le temps limité en radio ne l’y autorise pas, néanmoins, parfois, une courte mention suffit à exposer les affinités éclairantes de l’interlocuteur au micro. Donner une identité « enrichie » des intervenants est une simple application des principes déontologiques inhérents à la pratique journalistique. Il s’agit également d’une marque de respect à l’égard des auditeurs. Cette présentation leur permet en effet de juger de la partialité ou non de l’interviewé et de la crédibilité de son propos. À l’auditoire ensuite de se forger un point de vue.

Il n’en demeure pas moins que l’exercice est délicat et peut s’avérer complexe voire contreproductif. En effet, si l’on comprend bien que l’omission de certaines qualités d’un invité soit sujet à crispations pour des auditeurs, estampiller d’emblée un interlocuteur avec quelques étiquettes peut être réducteur et le ranger sans nuance dans une catégorie qui orientera ipso facto l’écoute de l’auditeur avant même que l’interview n’ait commencé. Dans une présentation, il ne s’agit ni d’être exhaustif, ni lacunaire mais honnête, et au plus près de la réalité de l’invité au moment où il parle.

Comment, dès lors, s’instaurent les principes de responsabilité pour favoriser les modalités éthiques entre ces deux univers, médias et chercheurs ? La façon dont se déploient ces principes sont à interroger, mettant en contact deux univers n’ayant pas le même rapport au temps, comme nous l’indiquions précédemment et comme l’écrit la reporter Kathleen Lévesque : « La responsabilité journalistique de rendre compte d’une information qui soit juste et complète suppose du temps » et, selon la Charte d’éthique professionnelle des journalistes du SNJ, fondatrice de la profession : « La notion d’urgence dans la diffusion d’une information ou d’exclusivité ne doit pas l’emporter sur le sérieux de l’enquête et la vérification des sources ».

À ces principes s’agrège un constat : entre profanes et experts, ces controverses scientifiques, médiatiquement exposées, politiquement arbitrées, étayent spectaculairement le diagnostic de « La société du risque » établi par Ulrich Beck. Le sociologue allemand analyse au sein de son oeuvre « une disparition du monopole scientifique de la connaissance, riche de conséquences : la science devient de plus en plus nécessaire, mais de moins en moins suffisante à l’élaboration d’une définition socialement établie de la vérité ».

À l’aune de ces interactions entre médias et chercheurs, et avec en ligne de mire l’intérêt public, toute démarche journalistique est adossée, empiriquement, à l’éthique de la responsabilité de l’information délivrée. Toutes ces situations communicationnelles visent à produire une information fiable, certifiée, de nature à enrichir le débat public et éclairer nos concitoyens, en incarnant la théorie, « celle de l’information-média comme lieu de la conscience collective des États-nations contemporains » défendue par le journaliste Éric Rohde qui estime que « c’est à l’élaboration de cette conscience que l’éthique du journalisme est dévolue », terreau fertile pour lutter contre les croyances et partant, contre les théories conspirationnistes.

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