Stéphane Pair, journaliste chargé des enquêtes à Franceinfo est au micro d’Emmanuelle Daviet pour répondre aux questions des auditeurs

Emmanuelle Daviet : Mardi dernier, Emmanuel Macron était à Marseille pour le lancement de l’opération « Planète Nette XXL ». Objectif : porter un coup d’arrêt au trafic de drogue qui gangrène la deuxième ville de France. Stéphane Pair, vous avez pu joindre en prison un trafiquant de drogue marseillais. Cet homme a suivi le déplacement du chef de l’Etat en regardant la télévision et a déclaré à votre micro « Avec tous les prisonniers, on a bien rigolé devant la télé ». Alors on va commencer par les conditions de réalisation de cette interview qui intéresse particulièrement les auditeurs. L’entretien avec ce trafiquant a été réalisé avec un téléphone portable clandestin en prison. Première question en tant que journaliste chargé des enquêtes à Franceinfo y-a-t-il des limites déontologiques à ne pas franchir ?

Stéphane Pair : Evidemment, il y a des limites déontologiques à mettre quand on va vers ce type de document, de témoignage. Ça fait plusieurs mois qu’on travaille sur l’efficacité de la lutte anti-drogue à Franceinfo, et notamment sur l’efficacité du pilonnage. Cette méthode, qui est utilisée par les pouvoirs publics aujourd’hui pour essayer d’attaquer et d’asphyxier les points de deal. Pour aller vers ce type de témoignage là, on n’avait pas programmé. Mais voilà, effectivement, des téléphones circulent en prison, on le sait, on a consacré nous mêmes des reportages à cela. C’est interdit. Mais c’est vrai que pour aller vers ce témoignage là, et bien nous avons contacté quelqu’un qui était en prison. De son point de vue, c’est interdit d’avoir un téléphone en prison. Mais nous, nous avons effectivement contacté cet homme pour aller vers ce témoignage et décrire une situation.

Emmanuelle Daviet : Votre interview a fait beaucoup réagir. Voici quelques extraits de messages d’auditeurs. « C’est inacceptable de donner la parole à ce genre d’individus qui fait de la publicité pour son trafic tout en bafouant le travail de la police. » Un autre auditeur écrit que FranceInfo, média d’information payée par nos impôts, se paye le luxe de mettre à l’honneur des criminels en prison est une honte.
Que répondez-vous aux auditeurs qui se disent choqués d’avoir entendu ce témoignage ? Est-ce que c’est votre rôle de faire entendre une telle parole ?

Stéphane Pair : Alors, la question de la drogue en France, le marché de la drogue en France est tellement présent dans notre société que oui, je pense que c’est un rôle important du journaliste d’aller vers ce type de témoignage, fusse-t-il celui d’une personne qui est détenue en prison et qui a été condamnée. Je ne suis pas le premier journaliste à interroger quelqu’un en détention. Je ne suis pas le premier journaliste à interroger un trafiquant. D’ailleurs, par exemple, nos confrères de La Provence font un excellent travail avec un podcast qui s’appelle Cartel Nord, où il interroge également des trafiquants qui, évidemment, au nom de la protection des sources, ne sont pas cités. Donc c’est évidemment le travail des journalistes d’aller vers ce type de témoignage pour décrire toute la totalité, la grande photo du trafic de drogue et de la pénétration, surtout de la drogue, dans la société française.

Emmanuelle Daviet : On termine avec cette remarque Je ne vois pas l’intérêt de relayer les propos d’un délinquant en prison. « En quoi sa parole est plus importante que celle de tout autre citoyen honnête », nous écrit un auditeur. Stephane Pair. Quel est l’intérêt journalistique de diffuser ce type de témoignage ?

Stéphane Pair : Après la visite du chef de l’Etat à Marseille donc, où a été donnée la parole aux forces de police à tout ce qui est fait dans la lutte anti-drogue en France, ce qui est énorme. Ce sont des moyens exceptionnels qui sont déployés en ce moment par les pouvoirs publics pour lutter contre la drogue. Il nous semble, oui, important de donner aussi la parole ou un contrepoint aussi à cette lutte anti-drogue. Est-ce qu’elle est efficace ? C’est le cœur de notre travail aujourd’hui, dans le cadre d’enquêtes, nous cherchons à savoir si cette action de l’Etat est efficace. Et pour cela, eh bien oui, il faut aller chercher aussi ce type de documents, c’est-à-dire essayer de comprendre si cette action a un impact sur ces trafiquants, sur ces dealers. Et le journaliste, il est là aussi pour interroger tous les points de la société, convoquer, tous les points de la société, pour essayer d’avoir une vision finalement de ce qui se passe réellement sur le terrain et en France.

Emmanuelle Daviet : Et pour tous les auditeurs qui n’auraient pas écouté cette interview, je les invite à se rendre sur le site de Franceinfo.