Informer sur la guerre : un devoir journalistique
Depuis l’intervention d’Emmanuel Macron le 5 mars dernier, la guerre en Ukraine et le réarmement européen occupent une place centrale dans le débat public et, par conséquent, dans le traitement médiatique. Nous recevons de nombreux messages d’auditeurs s’interrogeant sur la manière dont ces sujets sont couverts par les rédactions, certains percevant un déséquilibre dans le discours, d’autres exprimant une inquiétude face à une dramatisation excessive, voire une volonté supposée d’alimenter une rhétorique belliciste de la part des rédactions.
« Je suis totalement scandalisé du parti pris pro-guerre, à longueur d’antenne, de vos journalistes et de vos invités. C’est scandaleux. »
« Ça y est ! C’est parti, on ne parle que de cela, on effraie la population : des journalistes qui ne parlent que de cela, qui invitent des intervenants bellicistes (…). Arrêtez la propagande, la propagande n’est pas l’information. Restons calmes. »
« Les Français sont contre l’escalade guerrière qui est en train de faire vibrer les principaux médias. Or, et encore une fois, on n’entend chez vous, à Radio France, qu’un seul son de cloche. Vous êtes bien conscients que vous êtes en pleine propagande ? »
Ces préoccupations sont légitimes et méritent d’être entendues. Mais il est également fondamental de rappeler un principe essentiel du journalisme : traiter un sujet ne signifie pas y adhérer. Si la guerre, le réarmement et les tensions internationales sont largement abordés, c’est avant tout parce qu’ils constituent une réalité incontournable de l’actualité, qui a des conséquences directes sur nos politiques, nos économies et nos sociétés.
Pourquoi parler de la guerre ? Parce qu’elle façonne notre époque. La guerre en Ukraine, depuis son déclenchement en février 2022, ne peut être ignorée : elle redéfinit les alliances internationales, affecte les marchés mondiaux et modifie profondément les stratégies de défense des États. Il s’agit d’un événement historique majeur qui s’inscrit dans une dynamique de tensions internationales accrues.
Notre rôle de journalistes est d’en rendre compte avec rigueur et sans parti pris. Cela signifie informer sur l’évolution du conflit, sur les décisions politiques qui en découlent, sur les stratégies des différents acteurs impliqués – qu’il s’agisse de l’Ukraine, de la Russie, des États-Unis, de la France ou de l’Union européenne.
L’information doit permettre à chacun de comprendre les enjeux. Or, le réarmement, qui découle directement de ce conflit, est aujourd’hui une réalité incontournable. En Europe, plusieurs pays revoient leur doctrine militaire, augmentent leur budget de défense et multiplient les initiatives pour renforcer leur souveraineté stratégique. La France n’échappe pas à cette dynamique, et cette évolution nécessite d’être analysée, expliquée et mise en perspective.
Informer n’est pas promouvoir
L’un des principaux reproches formulés par des auditeurs est celui d’une supposée adhésion des rédactions de Radio France à une logique de guerre, voire d’une participation à une forme de « propagande » gouvernementale. Ce sentiment découle en partie du fait que le réarmement est aujourd’hui traité comme une nécessité par de nombreux responsables politiques et experts, ce qui donne l’impression que les journalistes relaient cette vision sans la questionner.
Or, ce que nous faisons, c’est expliquer et décrypter. Il est essentiel de comprendre que le journalisme ne consiste pas à dire aux citoyens ce qu’ils doivent penser, mais à leur donner les éléments pour qu’ils puissent se forger leur propre opinion. Informer sur une hausse du budget militaire ne signifie pas encourager cette hausse. Expliquer les nouvelles doctrines stratégiques ne signifie pas les approuver. Relayer les propos d’un chef d’État ou d’un ministre ne signifie pas en être le porte-voix.
Il est évident que la couverture de l’actualité est influencée par les décisions politiques et diplomatiques du moment. Lorsque le président de la République annonce un tournant stratégique, lorsque le président des États-Unis déclare couper l’aide à l’Ukraine, lorsqu’un conflit s’intensifie, ipso facto ces événements occupent une place majeure dans l’actualité. Il serait irresponsable de les passer sous silence ou de les minimiser sous prétexte qu’ils sont anxiogènes.
Des auditeurs regrettent également un déséquilibre dans la représentation des opinions, estimant que les voix prônant des solutions diplomatiques ou pacifistes sont marginalisées. Ce point mérite d’être pris en considération : la pluralité du débat est essentielle dans un espace médiatique sain.
Les choix éditoriaux ne consistent pas à favoriser un camp ou à imposer une vision unique, mais à refléter les dynamiques réelles du débat public. Or, aujourd’hui, force est de constater que les prises de parole en faveur du renforcement militaire sont majoritaires dans les sphères politique et stratégique. Ce déséquilibre du débat ne vient pas nécessairement de nos rédactions, mais de l’état du discours public actuel, où les gouvernements et institutions internationales privilégient une logique de défense face aux menaces perçues.
Néanmoins, cela ne signifie pas que les alternatives doivent être ignorées. C’est pourquoi les antennes se doivent d’ouvrir leurs micros à des experts, universitaires et intellectuels qui proposent des visions différentes, qu’il s’agisse de solutions diplomatiques, de défense non militaire ou de rappels historiques sur d’autres conflits et leurs issues.
Enfin, certains auditeurs expriment leur inquiétude face à une atmosphère anxiogène, où la guerre et l’escalade militaire semblent présentées comme inévitables. Ce ressenti est compréhensible, et il est du devoir des médias de veiller à ne pas alimenter inutilement la peur.
Cependant, éviter un sujet sous prétexte qu’il est « angoissant » serait une forme de déni. La responsabilité des journalistes est d’aborder ces questions avec mesure et pédagogie, en expliquant les faits mais aussi les nuances, en donnant des éléments de contexte et en apportant une analyse qui va au-delà des réactions immédiates et des discours officiels.
Dans de telles circonstances, le journalisme n’est pas un relais d’émotion brute, mais un outil de compréhension. Et dans un monde en tension, où la géopolitique évolue rapidement, il est plus que jamais nécessaire de disposer d’une information complète, factuelle et éclairée, même si elle peut parfois être « pénible » à entendre.
Les médias de service public ont pour mission de donner aux citoyens les clés pour comprendre, en s’efforçant de garantir la diversité des points de vue et de traiter ces sujets avec rigueur, nuance et esprit critique. L’information n’a pas pour but de conforter, mais d’éclairer, et c’est précisément dans les périodes de crise que ce rôle est essentiel.