A l’occasion de la série « Trauma et violence sexuelle : de l’agression à la réparation« , Marina Carrère d’Encausse, productrice de l’émission « Carnets de Santé » sur France Culture, répond aux auditeurs au micro d’Emmanuelle Daviet

Trauma et violence sexuelle : de l’agression à la réparation

Emmanuelle Daviet : Vous animez depuis la rentrée « Carnets de santé » et vous avez bénéficié d’un accueil très chaleureux de la part des auditeurs. Leurs messages que l’on peut retrouver sur le site de la médiatrice en atteste. Nous évoquons aujourd’hui votre podcast intitulé « Trauma et violence sexuelle« . Pourquoi avoir abordé ce sujet ? Quelle était votre ambition principale en réalisant cette série ?

Marina Carrère d’Encausse: Alors déjà, le point de départ, c’était le procès de Mazan où Dominique Pélicot est jugé pour avoir fait violer sa femme pendant des années sous soumission chimique. Donc je voulais évoquer ce traumatisme vécu par la victime et vécu par des dizaines de jeunes filles et des centaines de jeunes filles qui sont agressées sous GHB ou autres produits, mais également les autres victimes de viol qui vivent ce phénomène de mémoire traumatique, comme par exemple les enfants qui ont été victimes d’inceste. Donc c’était vraiment important d’arriver à écouter toutes ces victimes. Et l’idée c’était de faire comprendre en fait ces phénomènes de dissociation, de mémoire traumatique, d’amnésie traumatique des phénomènes qui sont très mal compris parce que mal connus et parce que très complexes du grand public, mais également des institutions policières et judiciaires et avec des conséquences graves. Alors c’est vrai qu’il y a un début de formation de certains de ces professionnels à ces mécanismes qui sont complexes parce qu’on n’arrive pas bien à entendre quand on ne l’a pas vécu. Pourquoi une victime a pu ne pas se défendre? Pourquoi une victime oublie un traumatisme aussi grave? Et c’est extrêmement important pour que ces victimes osent parler à un médecin, à la police et ensuite, un jour, si elles portent plainte au tribunal, de ne pas être agressées une seconde fois par des questions qui montrent que ce phénomène n’est absolument pas compris. Donc c’était essentiel d’arriver à faire comprendre ce mécanisme tellement complexe.

Emmanuelle Daviet : Alors précisément, pour aborder toutes ces questions autour de ces événements, dans la construction de ces épisodes, quel a été l’apport de la collaboration avec Muriel Salmona, psychiatre et spécialiste des victimes de violences ?

Marina Carrère d’Encausse: Deux éléments importants. Le premier, c’est que c’est la grande spécialiste de la mémoire traumatique, donc elle ne voit pratiquement que des victimes atteintes de troubles à mémoire traumatique et c’est essentiel. Et puis, parce qu’elle a révélé il y a quelques temps, au moment du #MeToo, elle est également victime puisqu’elle avait été livrée à des pédocriminels quand elle avait six ans. Elle a vécu cette dissociation, cette mémoire traumatique et donc elle comprend parfaitement ce que vivent les victimes.

Emmanuelle Daviet : Et d’ailleurs on l’entend très bien dans le premier épisode du podcast. Que peut apprendre justement le grand public à travers ce podcast sur les mécanismes des violences sexuelles et leurs conséquences ?

Marina Carrère d’Encausse : Deux choses : d’une part, qu’une victime de viol qui ne se défend pas et qui ne crie pas n’est pas forcément consentante, mais simplement sidérée. C’est un phénomène qui existe, qui est psychiatrique. Et d’autre part, qu’un jeune qui souffre de différents troubles du comportement alimentaire, d’addictions, d’automutilation est peut être une victime qui s’ignore avec un traumatisme qui a été enfoui dans la mémoire.

Emmanuelle Daviet : Si vous ne deviez donner que deux, voire trois conseils à une victime de violences sexuelles, lesquels seraient-il ?

Marina Carrère d’Encausse: Ne jamais rester que sa souffrance. Il faut pouvoir parler de ce qui est arrivé, même si c’est épouvantable, même si ça déconstruit encore. Il faut pouvoir en parler et se faire prendre en charge par un psychiatre, par un psychologue spécialiste. Parce qu’on peut s’en sortir, il faut le dire et c’est essentiel.

Carnets de Santé

Emmanuelle Daviet : Et depuis le début de la saison, vous animez l’émission « Carnets de santé ». Avez vous autant de plaisir à faire de la radio que les auditeurs en ont à vous écouter ?

Marina Carrère d’Encausse: Ecoutez, s’ils ont autant de plaisir à m’écouter que moi, j’ai à le faire c’est qu’ils doivent être vraiment très heureux parce que je suis très heureuse de ce temps qu’on me donne de la possibilité de poser, d’écouter l’autre. Ces 30 minutes, c’est un bonheur absolu.

Emmanuelle Daviet : Quelles différences notez-vous entre le média télé et celui de la radio ? Vous m’avez dit, lorsque nous avons eu l’occasion d’échanger, que vous trouviez la radio très exigeante. Pour quelle raison ?

Marina Carrère d’Encausse : Mais parce que 30 minutes de tête à tête, c’est long en fait, c’est long et c’est court. Mais il faut vraiment avoir à la fois les idées très construites et un conducteur très élaboré et en même temps écouter suffisamment l’autre pour pouvoir en permanence réagir. Donc il faut en amont avoir une connaissance et vraiment très bien travailler le sujet. Et puis la différence c’est qu’il n’y a pas la pression de l’image et ça c’est un vrai bonheur. [19.8]

Emmanuelle Daviet : Comment choisissez-vous les thèmes de vos émissions ?

Marina Carrère d’Encausse: Ça dépend, c’est l’actualité, c’est des livres qui sortent. Et puis beaucoup de sujets qui me tiennent à cœur, notamment les violences sexuelles, les discriminations, la fin de vie. Ce sont effectivement des sujets que je défends, que je porte et voilà. Je veux essayer de donner aux auditeurs le moyen de se positionner, d’avoir des idées, des convictions à partir de mes intervenants.

Emmanuelle Daviet : Dans les messages que j’ai reçus, des auditeurs nous demandent si éventuellement leurs propres mails ou courriels peuvent vous inspirer des thématiques d’émission ?

Marina Carrère d’Encausse: Evidemment, c’est toujours intéressant. Il y a plein de sujets auxquels je ne pense pas parce que je les ai pas encore défendus. Je ne me suis pas encore battue pour ça, mais évidemment, j’avais dit ça dès le début, qu’on m’envoie des idées qui sont en général des idées très personnelles et qui sont souvent très pertinentes et que je ferais une émission dessus.

Emmanuelle Daviet : Donc nous invitons les auditeurs et auditrices à vous écrire ou à écrire sur le site de la médiatrice si des sujets leur tiennent à cœur pour que vous puissiez les développer dans votre émission « Carnets de santé » que l’on retrouve chaque samedi.