Retour sur le traitement médiatique du mouvement des Gilets jaunes sur France Culture. Les questions et réactions sont nombreuses. Pour répondre aux auditeurs, Emmanuelle Daviet reçoit Sandrine Treiner, directrice de France Culture.
Quelle ligne éditoriale a choisi France Culture pour traiter du mouvement des gilets jaunes ?
Vincent : « Toute perception est subjective mais il me semble que vous avez fait part jusqu’à ce jour d’une immense bienveillance pour nos chers (oui définitivement très chers) gilets jaunes… On est là, face à un mouvement effrayant, apolitique car tellement individualiste qu’il réfute la simple notion de représentation mais brassant joyeusement les thèses les plus extrémistes de droites et gauches. » Marie Odile une auditrice rejoint son point de vue : « Je suis très déçue de la façon dont France culture traite de l’actualité. Cette radio donne un avis favorable aux Gilets Jaunes de façon très nette. Dès le samedi 17 novembre, dans le choix du vocabulaire, et le choix des infos. Aucune proposition de donner la parole à ceux qui prônaient la taxe carbone: les écologistes. Aujourd’hui, un mois après , c’est encore le cas. Pourquoi ne pas au moins proposer un peu d’analyse sur ces nouveaux types de manifestations, qui montrent des passages à l’acte violent, avec des prises en otages de la population ? C’est un fait de société grave, et on dirait que les journalistes du matin cautionnent et adhèrent. je trouve cela écœurant qu’une radio comme la vôtre prenne si peu de recul intellectuel et clairement favorise le mouvement populiste. »
Nous avons fait ce que fait France Culture. Dès le début du mouvement, nous avons décidé de laisser l’essentiel des émissions telles qu’elles avaient prévu leur programmation. En revanche, nous avons décidé de consacrer les Matins, la deuxième partie de la Grande Table et du Grain à Moudre aux grands sujets qui étaient amenés par ce mouvement. Nous avons regardé quels fils nous semblaient intéressant de tirer et nous avons invité des historiens, chercheurs, géographes, philosophes ou spécialistes des réseaux sociaux pour analyser la situation.
Nous avons travaillé sur du temps long, avec du recul. Nous avons analysé la situation. J’espère que parmi les auditeurs qui écoutaient les analyses de nos chercheurs ou philosophes, il y avait des gens qui participaient au mouvement.
Le micro-trottoir… cette pratique journalistique a-t-elle sa place sur France Culture ?
Un auditeur écrit : « France Culture imite les média privés dans la dramatisation d’un malaise social réel en distinguant les « gentils » gilets des « méchants » du gouvernement. Le micro-trottoir permet de signaler les leaders auto-proclamés qui appellent à la révolte tandis que des journalistes de terrain multiplient les annonces de mobilisation de groupuscules aux revendications disparates. Avez-vous eu l’impression de dramatiser la crise sociale traversée par notre pays ?
Le matin de la manifestation du 8 décembre, Caroline Broué recevait Cyril Dion pour parler de l’écologie et de la marche pour le climat. Il a fait le pont entre la question de l’environnement et la question sociale telle qu’elle se manifestait dans le mouvement. Les journalistes font du reportage, il faut entendre les différentes tendances.
N’y a-t-il pas le risque d’un glissement métonymique de la figure du djihadiste à celle du gilet jaune ?
Pierre : Je m’inquiète d’entendre l’expression » gilets jaunes radicalisés » utilisée sans les guillemets de mise en distance par des journalistes de France Culture. Le dictionnaire autorise l’emploi de cet adjectif, mais on ne peut ignorer les implications politiques de la sémantique quand on produit le discours médiatique . Depuis l’émergence du terrorisme islamique ces dernières années, l’adjectif » radicalisé » évoque automatiquement la figure du terroriste djihadiste. Je suggère d’utiliser la richesse de la langue française pour qualifier l’évolution des mouvements de masse d’une manière moins connotée et moins stigmatisante.
Il faut utiliser la richesse de la langue française : le mot « radicalisé » ne veut pas dire « djihadiste ». On pourrait utiliser ce terme dans différentes circonstances.
Jean Pruvost, lexicologue et professeur d’université, explique le sens du mot « Radicalisé »