Le traitement éditorial de la guerre entre Israël et le Hamas dans « Les Matins » de France Culture fait l’objet de nombreux messages d’auditeurs depuis le début du conflit. Guillaume Erner, producteur de l’émission répond aux questions des auditeurs au micro d’Emmanuelle Daviet.
Emmanuelle Daviet : Certains auditeurs estiment que votre approche du conflit entre Israël et le Hamas est biaisée en faveur d’une des parties impliquées, que vous seriez pro-israélien. Comment réagissez-vous à ces remarques ?
Guillaume Erner : Alors moi, je pense tout d’abord qu’il faut refuser le campisme si vous voulez quand on est journaliste. Dans cette actualité comme dans les autres, on ne choisit pas un camp ou un autre. On informe les auditeurs en tentant de faire ce que France Culture fait toujours, c’est-à-dire d’aller plus loin, c’est-à-dire de donner de la profondeur historique aux sujets. L’idée, c’est pas de donner un temps de parole équivalent aux uns et aux autres, mais de chroniquer cette guerre de la manière la plus juste et la plus honnête possible. Et à ce propos, je dois dire que je ne fais pas « Les Matins » seul. On est toute une équipe, il y a la rédaction, chacun a ses idées, sa sensibilité. Je dois dire que depuis ce début de conflit, eh bien nous, on a une très bonne entente. J’ai entendu dire qu’il y avait des rédactions qui se déchiraient sur la question israélo palestinienne. C’est pas du tout le cas. Maintenant, effectivement, moi je peux dire d’où je parle, le fait que je sois juif par exemple. D’abord parce que tant qu’il y aura de l’antisémitisme, je dirais que je suis juif. Et puis aussi parce que le fait d’être allé plusieurs fois en Israël, d’y avoir de la famille, d’avoir par exemple un vieil oncle qui, dans un kibboutz non loin de Gaza, pas celui qui a été touché. Tout cela me rend plus objectif et je vais vous dire pourquoi, Emmanuelle. Parce que cette question, je la connais depuis longtemps. Je l’ai vécue de manière quasiment charnelle. Depuis que j’y vais, je sais que la situation n’est pas tenable à Gaza. Je sais également qu’il faut une solution à deux États et je sors de mon devoir de réserve. Mais je vous dis les choses et c’est pour cette raison-là que je sais que cette région du monde, elle ne peut pas s’aborder avec des idées simples. Et c’est pourquoi, en fait, cette proximité, eh bien, elle me fait dire qu’il faut raffiner les notions, qu’il faut travailler sur les concepts, et c’est pour ça qu’on a mis une attention particulière aux mots à France Culture. C’est pour ça qu’on a fait un podcast sur les mots du conflit, parce qu’on s’est dit qu’il y avait effectivement une dimension historique, une dimension de problématisation qui devait être appréhendée pour que ce conflit soit diffusé, soit présenté de la manière la plus objective qui soit.
Emmanuelle Daviet : Je pense que les auditeurs qui ont été nombreux à nous écrire à ce sujet apprécieront la sincérité de votre propos.
Alors justement, parmi ces auditeurs, l’un d’entre eux voulait savoir si vous travaillez seul ou non, et vous lui avez répondu en partie puisque effectivement il y a une équipe de la matinale. Alors avec toute votre équipe, de quelle manière traitez-vous la diversité des opinions et des perspectives sur la guerre entre Israël et le Hamas pour garantir, justement, cette couverture équilibrée ?
Guillaume Erner : On débat et on essaie de désymboliser les choses. Parce que c’est justement ça qui est important et c’est problématique dans ce conflit. C’est un conflit où beaucoup de gens en France, qu’ils soient juifs, musulmans, non juifs, non musulmans, que sais-je, mettent une part de leur identité. Mais nous, en fait, lorsqu’on informe les gens, on n’a pas à mettre cette part identitaire en premier lieu. Bien sûr, elle est là et elle affecte la manière dont on appréhende cette guerre. Mais ce qui est important, c’est de raconter une guerre avec des questions prosaïques, des faits, vérifier les faits, vérifier les sources qui nous parlent. Et ça, c’est particulièrement important. Alors je sais qu’il y a deux émissions qui ont fait débat, Emmanuelle. Une émission où était invitée une romancière anthropologue palestinienne formidable. Elle s’appelle Yara El-Ghadban. Et cette romancière m’a reproché de lui avoir posé une question sur la manière dont le Hamas utilisait les financements dont il disposait. Je lui ai demandé pourquoi le Hamas avait construit des tunnels, fabriquer des roquettes plutôt que de fabriquer des infrastructures pour le peuple. Il arrive qu’un invité juge une question inconsidérée, mais moi je pense que c’était mon devoir de la poser. Et ensuite, il y a eu la question de Sabra et Chatila où je me suis rendu compte qu’évidemment elle n’avait pas la même perception que moi de cette histoire. Elle n’avait pas la même perception parce qu’elle voyait les choses, disons de son point de vue, avec uniquement la question israélienne. Je lui ai rappelé qu’il y avait des phalanges libanaises dans cette histoire et c’est pour ça qu’on a créé ce podcast sur les mots de la guerre, parce qu’on s’est dit qu’on ne pouvait pas, au milieu d’une émission, s’arrêter et discuter pendant quinze minutes d’un fait historique. Et puis la deuxième émission qui a fait débat, c’est celle que j’ai consacré aux films du 7 octobre, le 14 novembre. Et alors là, effectivement, on l’a dit tout de suite, je l’ai dit qu’effectivement c’était un film qui était présenté par un Etat en temps de guerre, donc c’était de la propagande. Mais une fois qu’on a dit ça, on n’épuise pas le sujet. Et ces films, ils ont hélas été tournés par le Hamas, avec un dispositif qu’on connaît, avec ce qu’on appelle des caméras GoPro. Et je me suis dit que c’était un document pour l’histoire qu’il était essentiel d’analyser. D’autant plus que ces faits étaient liés et j’ai entendu récemment une dignitaire palestinienne nier même l’existence de certains faits qui ont été perpétrés le 7 octobre. Et c’est la raison pour laquelle cette émission, je crois aujourd’hui avec encore plus de force, qu’il fallait la faire.
Emmanuelle Daviet : Mais de toute façon, ce que je peux aussi ajouter, c’est que de nombreux auditeurs écrivent pour remercier France Culture, puisque votre couverture éditoriale contribue pour eux à une meilleure compréhension de cette guerre entre Israël et le Hamas plutôt que à sa polarisation. Dernière question Guillaume Erner, quelle est selon vous, la plus grande difficulté journalistique pour évoquer cette guerre ?
Guillaume Erner : C’est simple, C’est qu’en fait, cette guerre-là et pas les autres est devenue un sujet de politique intérieure français. C’est à dire que si vous prenez par exemple le massacre des Rohingyas en Birmanie, sujet terrible là aussi, il y a 2 millions de personnes qui sont dans une situation absolument épouvantable. Aucun parti politique ne s’en saisit. Ça ne donne pas lieu à un débat national et donc il est possible d’en traiter quasiment factuellement. Ça n’est pas le cas de ce conflit au Proche-Orient, qui est devenu un sujet presque de politique intérieure, où chaque camp et quand je dis chaque camp, il y en a une multitude, s’en empare pour essayer de peser, pour essayer d’influencer l’autre. Et c’est la raison pour laquelle les journalistes doivent redoubler de prudence sans cacher qui ils sont et en expliquant pourquoi ils font ce qu’ils font.