Deux sujets ont particulièrement fait réagir les auditeurs cette semaine : d’une part, l’affaire Patrick Cohen/Thomas Legrand ; d’autre part, des propos sur l’ancien Premier ministre relayés dans un reportage. Pour leur répondre Thomas Legrand et Phillipe Corbé sont au micro de Jérôme Cadet et Emmanuelle Daviet.

Jérôme Cadet: Les auditeurs vous ont adressé de nombreux messages ces derniers jours à la suite de la vidéo tournée à l’insu de Thomas Legrand et de Patrick Cohen et les montrant en discussion avec des cadres du Parti socialiste. Pouvez-vous nous rappeler ce qui s’est passé?

Emmanuelle Daviet: Dans une vidéo diffusée vendredi par le média conservateur L’Incorrect et filmée en juillet dans un restaurant parisien, les éditorialistes Thomas Legrand et Patrick Cohen échangent avec des cadres du PS. Au cours de ces discussions, la stratégie de la gauche est évoquée en vue des présidentielles de 2027 et des propos de Thomas Legrand peuvent être interprétés comme un parti pris à l’encontre de Rachida Dati, ministre sortante de la Culture, investie comme candidate des Républicains à la mairie de Paris. Dès vendredi soir, la direction de France Inter suspend d’antenne Thomas Legrand. Un peu plus tard dans la soirée, Rachida Dati demande dans un message publié sur X que des mesures soient prises envers les deux éditorialistes. Elle dénonce des propos graves et contraires à la déontologie. On assiste également à un concert de critiques des partis politiques envers les deux éditorialistes, de la France insoumise au Rassemblement national en passant par Les Républicains. On parle, je cite, de complot, infiltration, mafia. Mardi, Thomas Legrand déclare qu’il renonce à son intervention hebdomadaire sur France Inter et j’indique que le comité d’éthique de Radio France a été saisi et son avis sera publié cet après-midi sur le site de la médiatrice.

Jérôme Cadet: Et donc ces derniers jours, Emmanuelle Daviet, Les auditeurs vous ont écrit. Ils ont été nombreux à le faire et à la lecture de ces messages, vous avez constaté deux types de réactions extrêmement clivées.

Emmanuelle Daviet: Oui. D’un côté, ceux qui apportent leur soutien à Thomas Legrand sans réserve. Ils estiment que la diffusion de cette vidéo constitue une violation de la vie privée. Ils évoquent une fragilisation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.

Jérôme Cadet: Et que disent les autres auditeurs?

Emmanuelle Daviet: Et bien, ils se disent choqués. Ils se sentent trahis, ils dénoncent des comportements militants. L’idée que les journalistes font de la politique plutôt que de l’analyser. Pour eux, il y a là un manquement à la neutralité et à la déontologie journalistique du service public. Alors, Thomas Legrand, afin que votre statut soit clairement identifié pour les auditeurs, il est important de rappeler qu’il y a trois ans, après quatorze ans d’édito politique dans la Matinale, vous avez quitté la rédaction et quitté par la même occasion votre CDI pour rejoindre les programmes. Vous avez donc changé de statut et de rythme. D’éditorialiste quotidien, vous êtes devenu producteur avec une émission hebdomadaire consacrée à l’histoire des idées politiques tout en étant journaliste et éditorialiste politique à Libération.

Thomas Legrand: Oui, c’est ça. C’est à dire que quand j’ai quitté l’édito politique ici et comme je partais à Libération, j’ai demandé à la direction de l’époque , j’ai proposé une émission dite « à polémique froide », c’est à dire une émission historique, une émission sur la politique. C’est ma passion et et je l’ai faite pendant trois ans. Et depuis septembre, c’est pas de cette émission dont je me suis retiré après cette polémique, c’est du débat. Je devais, en accord avec Philippe Corbé, directeur de la rédaction, je devais tous les dimanches participer, débattre moi-même avec quelqu’un, un petit peu à la façon de Dominique Seux.

Emmanuelle Daviet: Dominique Seux intervient en tant que journaliste des Echos, vous, vous interveniez en tant qu’éditorialiste Libération ?

Thomas Legrand: Non, j’intervenais en tant que Thomas Legrand parce que je ne voulais pas et on en avait convenu avec Philippe? Je ne voulais pas intervenir contre quelqu’un de droite ou quelqu’un… Je voulais à chaque fois que ce soit quelqu’un de différent. Je pouvais intervenir contre un socialiste sur le thème de la République, j’aurais été en opposition par exemple, des choses comme ça. Donc je voulais simplement montrer que le débat pouvait être apaisé dans une période de polarisation. Le service public, à mon avis, doit promouvoir, un débat apaisé. Et ce débat, il peut plus être apaisé à cause de la situation et c’est moi et pas la direction qui m’a demandé d’arrêter. Et c’est ça que j’ai arrêté. Mais je ferai autre chose et puis j’interviendrai en tant que éditorialiste de Libération et puis je ferai autre chose. On verra tout ça avec la direction plus tard. Mais je voudrais, parce que les mots ont été forts. Je suis ravi de pouvoir m’expliquer enfin maintenant, ici. Et je voudrais remercier tous les auditeurs qui m’ont soutenu. Je voudrais aussi remercier tout le personnel de Radio France qui m’a très largement soutenu. Et je voudrais surtout m’adresser, parce que quand vous dites trahis, c’est ce qui m’arrache le cœur.

Emmanuelle Daviet: Ce sont vraiment les mots qu’ils emploient.

Thomas Legrand: Et je voudrais m’adresser à cela pour expliquer quel est notre métier qui est compliqué, quel est notre métier, quelles sont nos valeurs et quel est le métier d’éditorialiste en particulier.

Emmanuelle Daviet: Alors justement, l’onde de choc politique et médiatique ne porte pas seulement sur les faits eux mêmes et sur l’image de l’institution et de Radio France. Et il est légitime pour un journaliste de rencontrer et d’échanger avec des responsables politiques. Mais la teneur de la conversation de cette vidéo a brouillé la frontière entre observation journalistique et participation supposée au jeu politique. Alors, Thomas Legrand, où situez vous la frontière dans la relation entre éditorialistes et responsables politiques? Et avant cela, il serait intéressant, justement, vous l’indiquez pour les auditeurs de vous entendre clarifier les différences fondamentales qui existe entre un éditorialiste et un journaliste.

Thomas Legrand: Oui, Alors avant tout, vous avez dit la teneur de ce qui était diffusé. En fait, on ne peut pas, on ne peut prendre aucune décision et émettre aucun jugement à partir de ce qui a été diffusé. C’est un montage. Je ne parle pas de vidéo, c’est un montage. Songez qu’une des minutes qui a été diffusée il y a onze points de montage. C’est un peu technique mais je ne sais même pas si le début correspond à la fin, etc. Donc tout est tronqué, tout est tronqué là dedans. Donc j’entends, je demande aux auditeurs, je demande à ceux qui regardent ces vidéos, je demande à tout le monde de ne prendre aucune décision en fonction de ce qui est un montage et une manipulation. Ce rendez-vous donc au café Le Coucou dans le septième arrondissement. Il m’a été demandé par un socialiste que je connais. Il voulait me présenter Pierre Jouvet que je ne connaissais pas et ils voulaient surtout que je leur présente Patrick Cohen parce qu’ils étaient pas content de l’édito qu’il avait fait et ils étaient pas content des deux que j’avais fait dans Libération. C’étaient deux proches de Faure.

Jérôme Cadet : Olivier Faure, le premier secrétaire du Parti socialiste.

Thomas Legrand: Je défendais plutôt… C’était une analyse que j’ai faite dans Libération pas à Radio France, à France Inter.

Emmanuelle Daviet: Donc, c’est important que les auditeurs comprennent que Patrick Cohen était là au titre de France Inter. Et vous au titre de Libération.

Thomas Legrand: Oui, parce qu’il me reprochait des papiers que j’avais fait dans Libération. Je n’ai pas fait d’émission politique sur le Datisme, j’en ai fait sur le Trumpisme que je vous recommande de télécharger parce que ça éclairera nos débats aujourd’hui, mais pas sur le Datisme. Et donc le début de notre conversation était un peu tendu. C’était une explication gravure et parce qu’ils n’étaient pas contents. Et c’est normal en tant qu éditorialiste. Moi je commente. J’ai un peu le complexe du commentateur, vous savez, celui qui commente des gens qui font des choses et donc je leur dois quand ils ne sont pas contents, je leur dois des explications. J’avais fait un édito aussi qui disait que Bruno Retailleau avait l’air plus sincère et c’est pour ça qu’il a gagné la bataille LR que Wauquiez. Il y a des proches de Wauquiez qui m’ont appelé et je leur ai expliqué si vous m’aviez filmé à ce moment là, eh bien vous auriez pu constater avec un bon montage que j’avais l’air d’être vos Wauquiezriste . Je suis ni Wauquiezriste ni Glucksmannien. Je fais des analyses et tout ce que j’ai dit dans ce restaurant, je l’ai écrit dans Libération. Je sais que c’est très compliqué à comprendre pour les auditeurs, mais on doit rencontrer des hommes politiques. Ça se passe bien, ça se passe mal, quand ça se passe mal, eh bien on essaie d’avoir l’air un peu sympa avec eux pour rester…voilà. Et quand c’est filmé et que c’est coupé, eh bien ça crée le « Coucou gate » qui nous occupe aujourd’hui et qui franchement, m’étonne de son ampleur.

Emmanuelle Daviet: Philippe Corbé, vous êtes le directeur de l’information de France Inter. Les auditeurs pointent une différence de traitement entre Thomas Legrand et Patrick Cohen, toujours présent à l’antenne, ce qui soulève pour eux des questions d’équité. Certains estiment que le maintien à l’antenne de Patrick Cohen décrédibilise le service public et nuit à la confiance des auditeurs. Que leur répondez-vous ?

Philippe Corbé: Alors, dès que nous avons découvert l’article puis les montages vidéos en question vendredi soir, on a regardé attentivement et on a considéré qu’il y a une différence entre les propos de Thomas Legrand et les propos de Patrick Cohen dans ces montages vidéos. Les propos de Thomas Legrand, vous venez d’en parler,je ne vais pas rentrer en détail, mais vous avez parlé tout à l’heure de confusion et on le sait et vous nous l’avez dit tout à l’heure, il y a beaucoup d’auditeurs qui nous ont dit qu’ils étaient mal à l’aise et qui se posent des questions sur l’utilisation de notre antenne à des fins partisanes. Et comme cette confusion est là, même si les méthodes de captation et de diffusion sont détestables, même si ces extraits ont été instrumentalisés pour nous attaquer, même si nous croyons à la version qu’a évoqué Thomas Legrand à son honneteté journalistique en général, il n’y a pas de doute là dessus. Il y a une confusion. Elle existe, c’est un fait. Et donc on doit l’écouter, on doit l’entendre. Et c’est aussi en pensant à cette confusion que nous avons pris, quand je dis nous, c’est Adèle Van Reeth la directrice de France Inter et moi, en tant que directeur de l’information, nous avons fait le choix essentiel de protéger notre antenne et de protéger la rédaction, protéger le travail des journalistes de rédaction et notamment le travail des reporters sur le terrain. Il faut qu’on puisse continuer à faire notre travail sereinement. Et donc il faut entendre cette confusion et ne pas être sourds. Les propos de Patrick Cohen dans ces montages vidéo, dans cet article ne participent pas, n’alimentent pas cette confusion. Patrick Cohen est la cible d’attaques inacceptables et il a toute notre confiance.

Emmanuelle Daviet: Alors, selon vous, quelles leçons le journalisme de service public peut-il tirer de cette affaire?

Philippe Corbé: En fait, l’essentiel pour nous tous les jours, c’est la confiance. La confiance, c’est la clé du travail qu’on fait. C’est un travail assez, difficile, patient, long. Et la confiance, ça ne se décrète pas. C’est un effort de tous les jours, un effort modeste. Faire un bon reportage, raconter ce qui se passe, inviter les bonnes personnes, poser les bonnes questions, hiérarchiser, etc. La confiance est essentielle. La responsabilité, c’est à dire qu’il faut parfois écouter quand il y a un trouble, écouter quand il y a une confusion et parfois assumer quand il y a un malaise ou une incompréhension, une maladresse. Et puis l’indépendance, c’est dire, il y a eu beaucoup de discussions ces derniers jours dans la rédaction. On a passé plusieurs heures à parler collectivement de cette histoire et l’une des choses dont on a parlé, c’est notamment de ce qu’il ne faut pas davantage ou mieux expliquer la manière dont on travaille, la manière dont nous faisons nos choix éditoriaux. La différence entre, vous venez de le faire, éditorialiste et reporter par exemple, on le fait régulièrement avec vous Emmanuelle, on écoute les messages des auditeurs, mais là on a eu toute une réflexion là dessus. Mais la clé, c’est la confiance. Comment pouvoir travailler en confiance et c’est important pour nos auditeurs, mais c’est important aussi pour ceux qui ne nous écoutent pas. France Inter et la radio de tous les Français, même ceux qui ne nous écoutent pas. Et c’est ça, la garantie de notre indépendance éditoriale, que tous les Français considèrent que France Inter est leur radio.

Thomas Legrand: Autre courrier et on va poursuivre Emmanuel Daviet dans l’actualité politique qui a été riche cette semaine. Un propos tenus dans un reportage diffusé ici même dans ce treize quatorze. C’était lundi.

Emmanuelle Daviet: Oui, on écoute un extrait.

Extrait du reportage

Emmanuelle Daviet: Dans ce reportage, François Bayrou est qualifié de pourri et le passant interviewé poursuit en disant et puis le président, c’est pareil, c’est la même clique. Des auditeurs n ont pas compris que de tels propos aient été diffusés. Il parle d’un manque de respect envers des hommes politiques qui, quoiqu’on pense d’eux, occupent des fonctions importantes dans la vie publique. Jérôme Cadet, comprenez vous la réaction des auditeurs qui estiment que le service public est tenu à une exigence particulière de respect et d’objectivité? Je m’adresse à vous puisque cela a été diffusé dans votre journal.

Jérôme Cadet: Absolument, et c’est un choix qu’on a fait communément avec Estelle Schmitt, qui est la rédactrice en chef de ce 13h. Je voudrais d’abord remercier les auditeurs qui nous écrivent parce que je reçois beaucoup de courriers. Je réponds toujours et j’aime qu’il y ait cet échange. Et c’est une particularité de France Inter, je crois, d’avoir cet échange direct avec les auditeurs et c’est extrêmement précieux. Il faut se remettre dans le contexte que lundi 13 h, effectivement, on est 2h avant la prise de parole de François Bayrou à l’Assemblée nationale dans ce vote de confiance. Ce qui nous importe à ce moment là, c’est effectivement de dépeindre l’Assemblée nationale, le rapport de force politique, mais aussi de sentir quel est l’état d’esprit du pays. Et quand on regarde les enquêtes d’opinion depuis des jours, on voit un Premier ministre qui est très impopulaire, le plus impopulaire de la cinquième République. On voit aussi une défiance contre le chef de l’Etat. Ça, c’est un élément d’appréciation. Et puis on écoute les reportages que font les reporters de la rédaction de France Inter. Et puis on écoute aussi les reportages que font les locales d’ICI? Ex France Bleu et lundi, tout ce qui remonte, c’est beaucoup de véhémence, voire de violence à l’égard de François Bayrou. Et ça va évidemment peser dans le vote de l’après-midi. Donc, il faut aussi qu’on en fasse l’écho. Donc on choisit à la fois de transmettre cette cette parole, c’est ce que vous venez d’entendre, et aussi, dans un second temps, parce qu’il y a un autre son qui est diffusé quelques secondes après d’un représentant du bâtiment, je crois, des Bouches du Rhône qui nous dit « Moi, je suis inquiet pour la suite, je suis inquiet de l’instabilité, donc j’aimerais bien de la stabilité aussi pour mon activité économique ». Donc on à la fois la colère d’une certaine partie du pays et puis aussi cette inquiétude sur la stabilité. Donc on a essayé de mettre les deux face à face si je puis dire, et de montrer la pluralité des opinions. Alors j’ai conscience que peut être ça a pu choquer certains auditeurs. Je m’en excuse. Simplement, il faut qu’on soit aussi sur ces deux lignes là entendre le pays et en même temps faire entendre la pluralité des opinions.