Jérôme Cadet : c’est le rendez vous de la médiatrice des antennes de Radio France, Emmanuelle Daviet, votre invité aujourd’hui est le directeur de l’information de France Inter, Marc Fauvelle.

Le traitement éditorial de la colère agricole

Emmanuelle Daviet : Depuis une semaine, nous recevons beaucoup de courriers sur le traitement éditorial de la mobilisation du monde agricole. La montée de cette colère du monde agricole est suivie avec un vif intérêt par les auditeurs et tout particulièrement parmi les premiers concernés : les agriculteurs, très nombreux à nous écrire. Une critique revient fréquemment dans leurs messages : ils s’étonnent de la prédominance de la FNSEA sur l’antenne et regrettent que d’autres mouvements syndicaux agricoles, comme la Confédération Paysanne, ne soient pas suffisamment représentés alors que ces syndicats valorisent des pratiques différentes, notamment en matière environnementale.
Marc Fauvelle, Que répondez vous à ces remarques ?

Marc Fauvelle : Alors, je pense, je peux me tromper, que la plupart de ces réflexions font référence effectivement à l’invitation lancée au patron de la FNSEA, qu’on a entendu rapidement chez Nicolas Demorand et Léa Salamé lundi matin. Pourquoi inviter la FNSEA au moment où un mouvement de colère gronde dans les campagnes ? Tout simplement, nous a t-il semblé, parce que c’est le premier syndicat agricole en France aux dernières élections professionnelles qui ont eu lieu en 2019. La FNSEA, c’est un peu plus de la moitié des voix dans les chambres d’agriculture. Ça ne veut pas dire qu’il est le seul. Et c’est d’ailleurs aussi pour ça qu’on a donné la parole à la Coordination rurale. Invitée de notre antenne également il y a quelques jours, le syndicat classé un peu plus à droite que la FNSEA et qu’on a donné aussi la parole pas plus tard que ce matin dans la matinale à la Confédération paysanne, qui est lui, plutôt classée à gauche, qui est rentrée plus tard, il faut le dire dans ce mouvement. Mais on a vraiment entendu et voulu tendre le micro à ces trois grands syndicats des campagnes. Tous d’ailleurs sont d’accord sur le malaise et le mot est sans doute faible aujourd’hui des agriculteurs, même si tous divergent assez profondément dans les solutions qu’il faut apporter à ça, et toujours dans cette thématique de contradictoire. C’est pour ça qu’on a souhaité que le débat ce matin entre Thomas Porcher et Dominique Seux, soit sur ce thème de l’agriculture. Est-ce que c’est trop de libéralisme, pas assez ? Qu’est ce qui fait mal aujourd’hui aux agriculteurs ? Pourquoi est-ce qu’ils ne s’y retrouvent pas ? Et c’est pour ça, et après j’arrête qu’on organise ce soir avec Claire Servagean un Téléphone Sonne XXL pour donner la parole à tout le monde, aux agriculteurs, à leurs représentants et aussi aux représentants des consommateurs. On a tous sans doute une petite part à jouer dans cette crise.

Jérôme Cadet : Des auditeurs disent également qu’ils entendent sur l’antenne un traitement journalistique « simplifié de cette situation complexe » et que les journalistes donnent une vision négative des professionnels du secteur.

Emmanuelle Daviet : Une auditrice nous écrit : « Je suis lasse d’entendre trop souvent sur votre antenne des informations partielles et à connotation négative sur l’agriculture, un sujet que manifestement les journalistes ne maitrisent pas. J’ai entendu récemment dire dans votre matinale que l’agriculture produit 25% des émissions de carbone en France. Quelle est la source ? Pourquoi céder à la facilité du discours ambiant ?
Marc Fauvelle, quels ont été vos choix éditoriaux pour couvrir cette actualité ?

Marc Fauvelle : D’abord, une réponse sur ce chiffre. Je n’ai pas la science infuse. Je suis allé demander à l’une de nos spécialistes environnement si ce chiffre de 25 % des émissions de CO2 par l’agriculture était exact. C’est faux, c’est 18 % aujourd’hui. La source, c’est le Haut Conseil pour le climat qui fait référence en la matière.

Emmanuelle Daviet : Merci pour la clarification.

Marc Fauvelle : J’essaie d’être précis si c’est possible. Donner des chiffres, dire que l’agriculture est responsable aujourd’hui, 18 % des émissions, ça ne veut pas dire que les paysans sont les méchants de l’histoire, ça ne veut surtout pas dire ça. Ça pose un fait. Et je pense que les paysans sont comme nous, un paysan, il faudrait dire agriculteur. Ils sont comme nous.

Emmanuelle Daviet : Ce n’est pas une insulte.

Marc Fauvelle : Vous avez raison. Ils sont tiraillés entre l’impérieuse nécessité de changer certaines pratiques et les difficultés économiques qu’ils peuvent traverser. Aujourd’hui, ils sont le reflet de ce qu’on est tous nous aussi, comme consommateurs. Qu’est-ce qu’on achète comme produit le moins cher ou celui qui est fabriqué près de chez moi ? Il ne s’agit pas de faire le procès des agriculteurs et nous y veillons quotidiennement. [

Jérôme Cadet : Un sujet consacré à la rémunération des agriculteurs mardi dans la matinale mercredi a particulièrement fait réagir les auditeurs :

Emmanuelle Daviet : Oui nous avons reçu beaucoup de messages. Des auditeurs ont été surpris par les chiffres annoncés sur les revenus des agriculteurs. Alors, pour bien comprendre ce qui les a fait réagir, je vous cite les propos entendus sur l’antenne : je vous cite le propos qui les a fait réagir : « Une fois payées ses charges sociales et remboursés ses emprunts, un agriculteur ou une agricultrice touche en moyenne 50 000 € par an. On est donc au dessus de 4 000 € par mois, mais avec des disparités importantes (…) 25 % d’entre eux dépassent les 100 000 € annuels, 25 % sont sous la barre des 30 000 € et dans le bas du tableau, 2,5 % touchent le RSA en complément de revenus. »
Les auditeurs qui nous ont écrit contestent ces chiffres, en particulier le revenu moyen des agriculteurs « au-dessus de 4 000 € par mois ». Ils souhaiteraient connaitre la source de ces chiffres.
Marc Fauvelle, ce sujet a fait réagir, est-ce que cela ne mérite pas de revenir sur cette question de la rémunération ?

Marc Fauvelle : D’abord, il nous a fait réagir nous aussi, quand on a travaillé sur ce sujet. Apprendre que le revenu moyen des agriculteurs est de 4 000 € par mois, c’est à dire à peu près deux fois plus que la moyenne des Français. Au début, on n’y a pas cru, nous non plus. On s’est interrogé et j’en ai parlé longuement avec Claire Chaudière qui a réalisé ce sujet du service éco de France Inter. La source tout d’abord, pour répondre aux auditeurs, ce sont les derniers chiffres disponibles, les chiffres du ministère de l’Agriculture pour l’année 2022. La précision maintenant que j’apporte à l’antenne qui n’avait pas été dans ce sujet. 2022, a d’abord été une année assez exceptionnelle en termes de revenus pour les agriculteurs, de l’ordre de 30 % de plus que l’année 2021. Donc ça explique déjà une partie de ce chiffre. La deuxième raison, c’est que ce chiffre de 4 000 € en moyenne, je précise par mois pour les agriculteurs, n’inclut pas certaines choses. Un mécanisme un peu complexe que je ne vais pas expliquer ici que les agriculteurs peuvent réinvestir et les investissements pour leur exploitation agricole qu’ils peuvent également enlever de leurs revenus. Donc c’est bien le revenu mensuel moyen, c’est 4 000 €. Mais il y a d’autres mécanismes qui font que leur revenu, une fois enlevé ce mécanisme d’investissement, peuvent être en dessous. Et puis surtout, et ça, on l’a expliqué à l’antenne, peut être pas assez, j’en conviens, il y a d’énormes disparités aujourd’hui entre les céréaliers, par exemple, qui sont à plus de 100 000 par an, et les éleveurs porcins qui sont de mémoire 120 000 par an, et les éleveurs bovins et d’autres professions. C’est pas un hasard d’ailleurs sans doute si ce conflit a débuté dans le sud ouest, terre d’un élevage bovin. Il y a de grandes différences entre les territoires et même à l’intérieur de chaque filière. Vraiment, C’est sans doute l’une des raisons de la colère aujourd’hui. J’ajoute que si je n’ai pas été assez clair sur ce mécanisme, parce qu’il faut être précis, on vient de mettre en ligne à l’instant même sur FranceInter.fr, le détail de ces revenus et des petites précisions que je vous ai apporté là.

Les élections européennes

Jérôme Cadet : Alors, à la faveur de cette crise agricole, on parle beaucoup d’Europe. L’enjeu politique cette année ce sont les élections européennes en juin, différentes personnalités politiques en parlent sur notre antenne. Emmanuelle Daviet, les élections européennes, le pluralisme sur l’antenne : les auditeurs évoquent aussi ces sujets dans leurs messages.

Emmanuelle Daviet : Et de très nombreux auditeurs de France Inter suivent attentivement les dossiers politiques.

Marc Fauvelle : Et ils ont raison.

Emmanuelle Daviet : Mais oui, c’est vrai que c’est un auditorat qui est très sensible aux politiques, donc ils souhaiteraient connaître les principes qui vont guider vos choix dans la couverture éditoriale des élections européennes.

Marc Fauvelle : C’est une élection, ce sont des élections, puisqu’on vote dans toute l’Europe, importantes, pas seulement parce qu’elles pourraient servir de marchepied à l’élection Présidentielle et même surtout pas pour cette raison. Il y a une chose que, je vais vous répondre à l’envers, mais il y a quelque chose que je ne voudrais pas qu’on répète sur l’antenne c’est « c’est la faute à Bruxelles ». Parce que ça, ça ne veut rien dire. Il y a plein de raisons aujourd’hui d’être pour ou contre l’Europe. Et d’ailleurs, quand on est contre l’Europe aujourd’hui, on peut l’être pour des raisons radicalement différentes. Donc d’abord, il va falloir expliquer, réexpliquer ce qu’est le Parlement européen, à quoi sert-il ? Que vote-t-il ? Est-il responsable de ce qui se passe ou non dans nos assiettes ? Tant qu’on n’aura pas expliqué et réexpliqué ce rôle-là, on rate la première marche de cette élection. Ensuite, aller sur le terrain. Là encore, je pense que c’est la base de notre métier d’aller sur le terrain. Je peux vous dire, par exemple, qu’on a choisi, et ce n’est pas que symbolique, de lancer la campagne des européennes avec le 18-20, dans quelques jours, à Kiev. Vous allez me dire « pourquoi aller en Ukraine pour parler des européennes ? » Parce que c’est l’Europe, ça pose la question de la défense, parce que ça pose la question des frontières de l’Europe. Donc on sera à Kiev. La date, c’est le 5 février prochain pour entendre les Ukrainiens et pour parler d’Europe en Ukraine. Il y aura d’autres délocalisations sur le terrain dans le 18-20. Et puis on va insister aussi, mais là, pardon, si j’enfonce quelques portes ouvertes, sur l’écologie qui est un thème majeur aujourd’hui, et pas uniquement parce qu’on en parle en ce moment avec ce qui se passe dans l’agriculture, sur l’immigration aussi. Et puis on sera une radio de débat sur l’Europe. Je crois que là aussi c’est une valeur ajoutée de France Inter d’entendre des points de vue contradictoires pour essayer de se forger une opinion.

Le pluralisme à l’antenne

Jérôme Cadet : Emmanuelle, on parle aussi de la question du pluralisme à l’antenne.

Emmanuelle Daviet : Oui, les auditeurs voudraient savoir quels sont les contrôles mis en place pour garantir la diversité des points de vue politiques sur France Inter ?

Marc Fauvelle : Très bonne question. Le contrôle c’est la loi. Nous sommes, comme tous les médias, soumis à une loi qui s’appelle la loi sur le pluralisme. Et comme toute loi, il y a un gendarme pour la faire respecter. Ce gendarme s’appelle l’ARCOM, c’est l’ancien CSA, qui surveille nos comptes tous les trimestres, on lui envoie, on se fait taper ou non sur les doigts en fonction des scores de chaque partis. Je pense qu’il faut expliquer comment fonctionne le pluralisme aujourd’hui parce que c’est une source d’incompréhension parfois avec les auditeurs. Ce que nous dit l’ARCOM, c’est assez simple et à la fois très compliqué. L’ARCOM nous dit : sur une période normale et sur un trimestre, vous devez donner la parole à 33%, un tiers, à l’exécutif. L’Exécutif, c’est le Président et ce sont les ministres. Ils reste donc, si j’ai des bons souvenirs en maths de quand j’étais petit, 67 % à répartir et ces 67 % doit être réparti, tenez vous bien, entre tous les autres partis en fonction du nombre de députés et de sénateurs, des résultats des élections récentes, de l’animation du débat politique et des sondages d’opinion. Tout cela veut dire que on se réunit ici à Radio France et on estime là où on doit mettre chaque parti. Je vais vous donner les chiffres, je suis pas sûr qu’on l’ait déjà fait avant. Les chiffres qu’on vient de transmettre à l’ARCOM, ce sont ceux du dernier trimestre 2023 : exécutif, je vous ai arrondi les chiffres, rassurez vous, 29 %, donc on devrait faire 33% on fait 29%. Renaissance : qui est le premier parti à l’Assemblée nationale : 11 %. RN : 10 %. LFI : 9 %. LR 9 %. PS : 6%. Europe Ecologie-Les Verts qui a changé de nom : 4 %, MoDem : 3%. etc.

Emmanuelle Daviet : Merci pour toutes ces précisions. Marc Fauvelle, un auditeur écrit : « Une radio publique financée par l’impôt peut-elle être une radio militante de gauche ? Je trouve que votre ligne éditoriale ne respecte pas le concept basique d’information des auditeurs. Le prêt à penser que vous délivrez en permanence est infantilisant. » Que peut-on répondre à cette critique ?

Marc Fauvelle : Vous me permettrez de citer un auditeur qui était dans ce studio il y a quelques semaines, dans le cadre de l’opération portes ouvertes, qu’on réalise depuis cette année dans le 13/14 de Jérôme Cadet, qui est venu et qui a dit au début je vais le citer de mémoire, il a dit : « Quand j’ai dit à mes copains que je venais à France Inter, il y a la moitié qui m’est tombée dessus en me disant : Ah, tu vas chez les Insoumis, et l’autre moitié qui me tombe dessus en disant : Ah, tu vas chez les macronistes », c’est très bon signe. Et quand on est radio numéro un en France, de toute façon on se fait attaquer. Pour vous répondre sur le fond, une radio publique et d’ailleurs France Inter ne l’est pas, ne peut pas être militante. Tout simplement parce qu’un journaliste ne peut pas être militant et être journaliste, et j’ai une très haute opinion de la profession que j’ai le plaisir de présenter à ce micro avec vous, c’est s’en tenir aux faits et c’est apporter dans tous les cas de figure des éléments de contradiction.

Emmanuelle Daviet : Dernière question très rapide : comment réagissez-vous aux critiques concernant une éventuelle sur-représentation de l’extrême droite en tant qu’invités politiques ? Nous avons reçu beaucoup de messages au mois de décembre. Quelles mesures vous prenez pour maintenir l’équilibre ?

Marc Fauvelle : Je vous ai redonné les chiffres : le Rassemblement national au dernier trimestre sur Inter, c’est 10 % et c’est vrai qu’il y en a eu un petit peu plus au mois de décembre parce que c’était la fin du trimestre et nous n’étions pas du tout dans les clous. D’où cette sensation qu’ont pu ressentir, à juste titre, certains auditeurs sur la représentation du RN.

Emmanuelle Daviet : Merci d’avoir pris le temps de répondre aux questions des auditeurs.

Jérôme Cadet : Et merci à vous, Emmanuelle Daviet, les auditeurs vous sollicitent sur le site de la médiatrice de Radio France. Ils sont d’ailleurs de plus en plus nombreux à le faire.