Mathieu Vidard, producteur de l’émission « La Terre au Carré » sur France Inter, répond aux questions des auditeurs au micro d’Emmanuelle Daviet :
La nouvelle formule de la Terre au Carré
Emmanuelle Daviet : Au printemps dernier, nous avions reçu de très nombreux messages d’auditeurs inquiets pour l’émission. Une nouvelle formule est proposée depuis la rentrée. Quelle est son ambition ?
Mathieu Vidard : C’est vrai qu’après cinq ans d’émissions avec beaucoup de sujets traités sur un mode assez magazine, on avait envie de repartir sur une nouvelle proposition éditoriale et surtout de laisser plus de place aux invités, de travailler aussi sur la qualité de l’écoute. Ça nous paraissait assez important dans un moment où on est tous, je crois, victime d’une surcharge informationnelle et aussi face à une brutalité et une polarisation du débat qui est très forte. Et donc il nous semblait assez important de redonner toute la place à l’écoute, en tout cas des personnes qu’on a la chance de recevoir à nos micros. Et donc, avec Lucie Sarfaty qui travaille avec moi depuis maintenant pas mal de temps, on a réfléchi vraiment pendant l’été, à un nouveau conducteur, à une nouvelle façon de poser les sujets d’écologie et de science pour les éclairer aussi différemment, pour mieux peut être aussi nous en nourrir. Donc on a par exemple décidé d’arrêter les débats, de réduire aussi le nombre d’invités qui sont moins nombreux à chaque émission, et de nous engager aussi dans une formule plus narrative pour pouvoir raconter des sujets.
Une émission engagée ?
Céline Asselot : Alors, dans le courrier que vous recevez Emmanuelle il y a beaucoup de messages pour Mathieu Vidard avec des questions sur la place, l’influence des auditeurs dans l’émission et puis le caractère engagé aussi de La Terre au carré.
Emmanuelle Daviet : Mathieu Vidard, votre émission traite de thématiques essentielles sur l’environnement et la science et certains se demandent si vous la considérez comme un espace militant. Je vous lis un message que j’ai reçu : « je suis une auditrice de la Terre au carré et j’accorde beaucoup d’importance à la pluralité des opinions sur une radio publique. Mais je suis étonnée que Mathieu Vidard donne régulièrement la parole aux représentants de l’écologie radicale. Pouvez-vous lui rappeler l’importance d’une information plurielle et diversifiée qui nous permettra de nous faire nous-mêmes notre opinion ? » Mathieu Vidard, quelle est la limite entre informer et militer dans une émission comme la vôtre ?
Mathieu Vidard : Je pense qu’il faudrait peut être d’abord s’entendre sur le terme de « radical ». Qu’est ce qu’être radical aujourd’hui quand on est écologiste ? Est-ce que c’est être celle ou celui qui alerte sur l’ampleur de la crise que nous vivons ? Est-ce que c’est dénoncer l’inertie politique ambiante ? Est-ce que c’est faire l’état des lieux documenté justement de l’effondrement de la biodiversité et du réchauffement climatique? Si on regarde de très près la programmation de l’émission, je me suis amusé à le faire d’ailleurs avant de venir ici, la très très grande majorité de nos invités sont scientifiques. Donc quand ils viennent à l’antenne, ce n’est pas pour propager des idées qu’ils auraient inventé, c’est d’abord pour faire l’état de la science et pour pouvoir nous donner une idée de ce qui se passe aujourd’hui sur la planète. Quand je reçois aussi des associations ou des ONG, c’est des gens qui sont des experts de leur sujet, qui ont travaillé vraiment très profondément sur les dossiers, sur les PIFAS, sur la pêche industrielle, sur la question du plastique, sur l’extraction des métaux, de la voiture électrique ou sur le déclin des pollinisateurs. Donc c’est vrai que pour moi en tout cas, la crise écologique que nous traversons, ce n’est pas du tout une affaire d’opinion, loin de là. On ne va pas discuter du fait que la Terre soit plate ou ronde, ou que le réchauffement climatique est lié à des activités humaines. Ça, je crois que tout le monde est d’accord sur la question, ça fait consensus. Donc ce n’est pas la peine de perdre du temps non plus aujourd’hui, dans un moment où l’espace consacré à l’écologie dans les médias est quand même assez réduit, de s’aventurer sur des discussions comme ça. Pour moi, la radicalité en tout cas, elle se situe plutôt du côté de la violence qui est engendrée par le peu de réactions politiques, par exemple, justement en lien avec la crise que nous traversons. La violence, pour moi, c’est ce qui se passe en ce moment à Mayotte et qui est un phénomène aussi qui est directement lié aux activités humaines et la façon dont on réchauffe l’atmosphère. La violence, c’est celle qu’on voit quand toutes les inondations se manifestent en France ou à l’étranger comme en Espagne. Ce qui est révoltant aussi, c’est la violence systémique à laquelle on assiste par exemple dans le monde paysan de la part des industries. Donc la pluralité des opinions, évidemment, elle est importante, mais il y a des sujets sur lesquels c’est quand même compliqué de donner la parole à tout le monde, mais on l’a quand même dans certains rendez-vous, comme La Lutte enchantée de Camille Crosnier qui systématiquement, lorsqu’elle aborde un sujet, que ce soit par exemple la chasse ou les motoneiges en montagne, donne la parole à tous les acteurs de la question, qu’ils soient pour ou contre le sujet. Donc on a quand même une diversité d’opinions qui peut s’exprimer. Ce que je peux dire en résumé, c’est que non, nous ne sommes pas des militants dans cette émission, en revanche, nous sommes engagés sur le terrain de l’écologie et moi, c’est le cahier des charges. C’est ce que la direction de France Inter m’a demandé il y a cinq ans, c’est à dire de traiter d’un sujet qui parle de la planète et donc plutôt de défendre les intérêts de cet objet qu’est la planète Terre, donc nous sommes engagés pour ça.
Le choix de sujets
Emmanuelle Daviet : Comment choisissez-vous les thèmes ou les récits que vous allez traiter ?
Mathieu Vidard : Ça, c’est un vrai travail d’équipe, Lucie Sarfaty, Anna Massardier, Joëlle Levert, Jean-Philippe Veret qui travaillent avec moi. Toute la semaine en fait, on observe ce qui se passe autour de nous pour choisir nos sujets qui soient ceux issus de l’actualité d’expositions, de sorties, de livres. C’est aussi des choses qui nous intéressent. Donc on se dit si ça nous intéresse, si ça nous titille, si ça fait débat au sein de l’équipe, A priori, ça va aussi intéresser les auditeurices. Donc c’est comme ça qu’on fait des sujets et qu’on arrive à constituer des semaines avec des sujets assez éclectique. On passe de la culture de la Gaule aux migrations humaines en passant par la question du loup ou encore le climato scepticisme, on peut accueillir une philosophe comme Vinciane Despret. Donc tout ça, c’est assez varié.
Emmanuelle Daviet : Quels sont les principaux défis que vous rencontrez pour allier la rigueur scientifique et une narration accessible à un large public pour justement vulgariser des sujets parfois complexes ?
Mathieu Vidard : Ça, c’est peut être la recette qui a fait l’identité de « La Tête au carré » et de « La Terre » aujourd’hui. Ça repose beaucoup sur la capacité de l’invité à expliquer en des termes clairs la complexité de la science ou de l’écologie. Donc ça, pour nous, c’est vraiment la première préoccupation, c’est de trouver évidemment le bon sujet, mais la bonne personne pour le raconter.
Emmanuelle Daviet : Alors ça fait 18 ans que vous animez cette émission et des auditeurs souhaiteraient savoir si vous observez une évolution de la sensibilité du public aux thématiques scientifiques et écologiques.
Mathieu Vidard : Incontestablement, on a vu vraiment une bascule en 2018 qui a été vraiment une année charnière. C’était l’année des marches pour le climat, l’arrivée de Greta Thunberg aussi dans le paysage médiatique. Une canicule très forte qui avait marqué l’été des Français. La démission de Nicolas Hulot aussi, qui a beaucoup marqué. Et donc, après cette année 2018, on a vu vraiment les sujets liés à l’écologie remonter très fort dans les médias. Je crois que beaucoup de rédactions aussi se sont repositionnées. Et donc c’est à ce moment là aussi qu’on m’a proposé de changer « La Tête au carré » pour arriver à « La Terre au carré ».
Emmanuelle Daviet : Il y a quelques instants, vous indiquiez que l’écologie n’est pas une affaire d’opinion. C’est pour cette raison que vous n’êtes plus sur X ?
Mathieu Vidard : Alors on a décidé de partir il y a deux ans ou déjà, au moment où les discours d’Elon Musk devenaient de plus en plus inquiétants. Et puis ça s’est confirmé d’ailleurs, on ne le regrette pas. C’est vrai que pour nous, Twitter était vraiment devenu un espace très compliqué. On avait même l’impression que l’émission servait de paillasson régulièrement pour les climato sceptiques, les relativistes, les nihilistes, donc aussi pour une question de santé psychique. On a décidé de partir de Twitter et on s’en porte très très bien.
Céline Asselot : Dans les messages que vous recevez Emmanuelle, il y a aussi des auditeurs qui souhaitent savoir quels sont les objectifs de l’émission. Est-ce que c’est une prise de conscience ? Est ce qu’on vise un changement d’attitude ou est-ce que c’est tout simplement mieux comprendre les enjeux ?
Emmanuelle Daviet : Un auditeur écrit : « J’écoute cette émission depuis son lancement. Je ne suis pas particulièrement écolo, mais je fais attention. Toutefois, je suis fatigué du discours de ces intervenants qui se posent en moralisateur, donneur de leçons, me disent quoi manger, quoi aimer, me culpabilise. Parce que oui, j’aime les motos et les voitures. Cette attitude m’irrite et me porte à ne plus écouter ces discours de bobo en trottinette parisianiste et intégriste. Bien sûr, je caricature, mais pas tant que cela en fait. » Mathieu Vidard, comment maintenez-vous un équilibre éditorial entre l’urgence climatique et un discours non culpabilisant ?
Mathieu Vidard : C’est très important d’entendre ce que vient de dire cet auditeur, justement parce qu’effectivement, on traite tous les jours d’une actualité qui est très concernante, évidemment, qui nous engage aussi par rapport à la crise environnementale qu’on traverse. On essaie d’être proactifs au milieu de ce « bordel » écologique, mais sans oublier, évidemment qu’on a tous des réalités de vie très très différentes, des réalités géographiques, sociales. Donc il faut le prendre en compte aussi. Et c’est vrai qu’il n’y a pas plus désagréable que d’avoir l’impression qu’il y a un type dans son studio du 16ᵉ arrondissement de Paris qui va vous demander d’arrêter de manger de la viande, d’arrêter de prendre l’avion, de changer de voiture. Ce n’est pas possible pour plein de gens en fait. Ou en tout cas, ça va se faire, mais très très lentement. Donc ça, il faut l’entendre, Il faut faire très attention de ne pas être excluants. Donc c’est une préoccupation qu’on a. Parfois c’est compliqué quand on parle par exemple de la façon dont sont extrait les métaux pour nos téléphones portables, avec une réalité humaine, sociale, écologique. Par exemple au Congo, comme on a fait une émission récemment, ce sont des drames humains, ce sont des génocides humains et ce n’est pas agréable de s’entendre dire qu’on a du sang dans nos téléphones portables. Ça, évidemment, je le comprends. Mais c’est important quand même de poser les sujets, de les éclairer pour comprendre ce qui se passe et peut être essayer de faire en sorte qu’on évolue dans le bon sens.
La publicité
Céline Asselot : Alors il y a un autre sujet sensible, c’est la publicité avant ou après l’émission « La Terre au carré ».
Emmanuelle Daviet : Alors je peux dire sans prendre de risque, que les auditeurs de « La Terre au carré » qui forment en quelque sorte une communauté, détestent viscéralement la publicité. Et à plus forte raison lorsqu’il s’agit de campagnes incompatibles avec des conduites écologiquement vertueuses. Mathieu Vidard, en tant que producteur, avez-vous un pouvoir ou une influence sur le choix des publicités diffusées ?
Mathieu Vidard : Aucun pouvoir. C’est la régie publicitaire qui s’en occupe.
Emmanuelle Daviet : Et pensez-vous que la diffusion de publicités, parfois en décalage avec les valeurs écologiques, peuvent nuire à la crédibilité de votre émission ? Demande un auditeur.
Mathieu Vidard : Non, je pense que les auditeurices savent exactement faire la part des choses. Ils savent bien qu’on n’est pas responsable et au contraire, on a beaucoup critiqué aussi la publicité au sein même de l’émission. Donc on ne peut pas se tromper sur ce sujet je pense.
« Auditeurices »
Céline Asselot : On poursuit Emmanuelle avec un message d’ordre sémantique.
Emmanuelle Daviet : C’est une remarque que je reçois assez régulièrement. Je vous lis le message : « Dans son émission, Mathieu Vidard a l’habitude d’employer les expressions « auditeurices », « agriculteurice », « amateurice », etc. Est-ce une consigne éditoriale ou une volonté personnelle ? En tout cas, c’est désagréable à l’écoute et je doute que l’apprentissage de la langue française en soit facilitée pour les enfants. Autant dire auditeur et auditrice, agriculteur et agricultrice, ça ne prendra pas beaucoup plus de temps et ce sera tout aussi inclusif. » Alors des auditeurs m’écrivent même que ça leur chiffonne les oreilles. Qu’est-ce que cela vous inspire Mathieu Vidard ?
Mathieu Vidard : Moi, je botte un peu en touche sur l’aspect beauté ou laideur d’un terme. J’ai aucun avis à donner à ce sujet là. Aucun mot n’est intrinsèquement beau. En tout cas, c’est vraiment une question d’habitude et d’écoute. En tout cas, c’est vrai qu’il y a quand même une volonté personnelle d’être plus inclusif et de gagner un peu de temps aussi. C’est plus facile de dire « auditeurice » que « auditeur et auditrice ». Et puis aussi, il faut dire qu’il y a de nombreuses études scientifiques qui montrent quand même qu’un langage inclusif a un vrai impact sur la présentation qu’on peut avoir des choses. Donc c’est un aspect essentiel aujourd’hui et ce n’est pas du tout gadget ni une lubie. C’est à mon avis même un devoir pour que tout le monde puisse être représenté. Donc malheureusement, je suis désolée, mais je vais continuer à dire « auditeurices ».
Les chroniques de l’émission
Emmanuelle Daviet : Les chroniques de Cyril Dion sont plébiscitées. Mathieu Vidard, un mot sur vos chroniqueurs et puis une ou des nouvelles signatures à venir en janvier ?
Mathieu Vidard : Oui, l’arrivée de Cyril Dion dans la Lutte enchantée, que présente aussi Camille Crosnier lundi et mardi, c’est vrai que l’arrivée de Cyril a suscité un engouement énorme auquel je m’attendais pas du tout d’ailleurs. Je savais que les gens l’aimaient bien, mais pas à ce point là. Il est vraiment très apprécié, ça cartonne sur les réseaux sociaux. Il a fait une chronique où il s’imaginait justement candidat à l’élection présidentielle, comme on l’a vu, et les gens l’ont pris au sérieux. En fait, c’est pas du tout son souhait, mais ça a été vraiment interprété comme ça, donc on sait pas. On verra ce qui se passe dans le futur. En tout cas bientôt une nouvelle signature. C’est Claire Nouvian, c’est quelqu’un que j’admire beaucoup. C’est la présidente de Bloom. Elle fait énormément sur la question de la surpêche. Pour moi, c’est un peu une héroïne des temps modernes et je suis très content parce qu’elle va signer des luttes enchantées régulièrement dans l’émission.
Emmanuelle Daviet : Puisqu’on se projette à l’année prochaine, quel grand récit aimeriez vous aborder que vous n’avez pas encore eu l’occasion de traiter ?
Mathieu Vidard : Là, on est en train de travailler sur une histoire du capitalisme et sur ses conséquences sur la planète. Donc il y aura cinq épisodes à partir du mois de janvier.