Nous avons reçu de très nombreux messages d’auditeurs adressant toute leur affection et leur reconnaissance à Jérôme Garcin. Le 31 décembre, l’animateur emblématique de l’émission « Le Masque et la Plume », sur France Inter, cède les rênes de l’émission à Rebecca Manzoni. A l’occasion de ce changement à la tête du Masque et la plume, dans leurs messages, les auditeurs ont vivement souhaité que soient dévoilées les coulisses de cette “succession”. Jérôme Garcin et Rebecca Manzoni répondent à leurs questions au micro d’Emmanuelle Daviet :
Emmanuelle Daviet : Avant d’aborder les questions nombreuses des auditeurs, je commence par la lecture du message d’une auditrice qui résume parfaitement les très nombreux courriels qui vous ont été adressé Jérôme Garcin puisqu’à la fin de ce mois de décembre, vous quittez le Masque et Rebecca Manzoni vous succède. Voici ce message : « Cher Jérôme, cher Masque, votre liberté de ton me fait un bien fou. Vos désaccords, vos blagues, votre malhonnêteté, parfois vos prises de bec, vos indignations, vos éclats de rire, votre culture, vos références. Je vous aime tellement Jérôme, avec votre rôle de médiateur extraordinaire et taquin, je vous souhaite plein de bonnes choses pour la suite. J’espère continuer à adorer ou détester les conseils du Masque. Finalement, on n’apprend rien avec les gens avec qui nous sommes toujours d’accord. J’aurais tellement aimé débattre, rigoler ou me disputer avec vous. Vous faites partie de ma famille. » Très bel hommage donc de cette auditrice, Jérôme Garcin. Le Masque est devenu une institution dans le paysage culturel français. Comment décririez-vous l’influence de l’émission dans l’univers de la culture en France au fil des décennies ?
Jérôme Garcin : C’est une influence qui est due évidemment à sa longévité. Bientôt 70 ans pour pour le Masque et la Plume qui est due à sa liberté de ton et évidemment, qui est due à l’auditorat qui n’a cessé de croître année après année. Merci, entre parenthèse, le podcast. Ce qui fait qu’aujourd’hui, évidemment, cette émission est selon moi emblématique de notre radio. Elle est culturelle et populaire. Qui dit culturelle et populaire dit évidemment aussi une émission incroyablement prescriptrice. On aime les films, on ne fait pas que les dégommer, on aime les livres, on aime les spectacles vivants. Et évidemment, ces conseils là, ces passions là, sont suivis par énormément d’auditrices et d’auditeurs. Et je pense que c’est aussi à ça qu’on juge de la santé d’une émission.
Emmanuelle Daviet : Le Masque et la Plume a toujours été caractérisé par la diversité des opinions de ses chroniqueurs. « Comment avez-vous réussi à maintenir cet équilibre et à encourager la libre expression tout en préservant l’harmonie de l’émission ? » demandent des auditeurs.
Jérôme Garcin : L’émission ne repose que sur un principe, ce sont les désaccords parfaits. Et écoutez les archives de l’émission. Il n’y a pas de mémoire de l’émission sans les duels entre Bory et Charensol, entre Marcabru et Sandier. Elle ne vaut que parce que les critiques sont en désaccord, y compris avec le public qui assiste à l’émission ou qui l’écoute donc de la part du producteur, animateur et bientôt de la productrice animatrice, évidemment, il s’agit de les construire, ces désaccords et que depuis toujours quand je suis arrivé en 89, je tenais à ce qu’il y ait l’Humanité d’un côté et Le Figaro de l’autre. Aujourd’hui, évidemment, c’est Positif face aux Inrockuptibles, où c’est Le Figaro face à Libération. Et même si ça a changé, les débats étaient beaucoup plus idéologiques. Écoutez les archives dans les années 70-80 qu’aujourd’hui. Aujourd’hui, ce sont des débats essentiellement esthétiques, mais qui partent du principe que les critiques qui s’expriment évidemment, ne sont jamais, j’espère en tous cas, jamais du même avis.
Emmanuelle Daviet : Vous avez cité 1989, je vous propose d’écouter les conseils que vous avait glissé alors Pierre Bouteiller lorsque vous êtes devenu le chef d’orchestre du Masque et la Plume (extrait sonore)
Jérôme Garcin : Alors évidemment, c’étaient des conseils qui tenaient à l’époque, aux critiques qui étaient présents. Il avait donné à l’antenne d’ailleurs un peu plus tard, dans une émission où j’avais rassemblé tous les anciens producteurs du Masque. Il avait donné un autre conseil, c’est surtout de ne pas voir les films pour ne pas être influencés. Évidemment, je n’ai pas suivi ce conseil là. Au contraire, je pense qu’il faut que l’animateur, ne peut pas ne pas voir les films en question. Mais c’est vrai que c’était un joli moment. En 89, ça ne nous rajeunit pas, mais qui est intéressant parce que c’est l’année aussi, je vous rappelle, de la Chute du Mur et c’est là qu’on voit aussi la transformation, encore une fois d’une tribune très politisée à une tribune aussi passionnée mais davantage esthétique.
Emmanuelle Daviet : Alors, on a entendu les conseils de Pierre Bouteiller. Avez-vous donné des conseils à Rebecca Manzoni ?
Jérôme Garcin : Mais je me garde bien de donner quelques conseils à la chère Rebecca. Je n’ai fait que lui répéter le vrai conseil que m’avait donné le doyen à l’époque de l’émission, Georges Charensol, qui avait 95 ou 96 ans, qui m’avait dit « Jérôme n’oublie jamais que cette émission, avant tout, c’est du spectacle ». Et Rebecca le sait bien puisqu’elle est venue assister à plusieurs enregistrements du Masque au Théâtre de l’Alliance française. Et je pense que ce conseil que m’avait refilé Georges, je pense que Rebecca va l’adopter.
Emmanuelle Daviet : Rebecca Manzoni, vous héritez donc d’une émission à la longévité exceptionnelle. Question d’un auditeur : « En quoi l’approche de Rebecca Manzoni de l’animation de l’émission pourrait-elle différer de celle de Jérôme Garcin tout en préservant l’esprit et le succès du programme? »
Rebecca Manzoni : En quoi ce serait différent ? Tout simplement parce que je ne suis pas Jérôme Garcin. Je suis Rebecca Manzoni. Tout ça pour dire qu’en fait une émission nous raconte à travers la voix, à travers le ton qu’on emploie et pour ce qui concerne le Masque, à travers le choix des œuvres qui sont débattues. Et il est question d’assurer ce qu’on appelle le renouvellement dans la continuité. Donc renouvellement, parce que je vais en devenir la chef d’orchestre à partir du 7 janvier, parce que des voix nouvelles vont arriver, beaucoup vont rester. Certaines et certains ont choisi de quitter le Masque avec Jérôme tellement il l’incarne. Donc voilà les changements, ce sont ceux-ci pour résumer.
Jérôme Cadet : Emmanuelle, les auditeurs s’interrogent aussi sur l’influence des changements de société dans l’émission.
Emmanuelle Daviet : Jérôme Garcin, quelles sont les évolutions sociétales les plus marquantes que vous avez enregistrées au cours des décennies et comment cela a influencé votre rôle en tant qu’animateur du Masque et la Plume ? » demandent des auditrices et des auditeurs.
Jérôme Garcin : Est-ce qu’on a une heure pour que je puisse raconter ce qui se passe depuis 1955 ? Cette émission, pour aller vite, a épousé à peu près tous les grands mouvements depuis la guerre d’Algérie et Mai 68 jusqu’à aujourd’hui. Le plus récent, le plus puissant, le plus fort, évidemment, c’est la vague #MeToo, où là à ce moment là, d’abord, j’ai essayé davantage encore de féminiser les tribunes qu’elles ne l’étaient. Non sans mal. Parce que si c’était évident, en théâtre et en littérature, en cinéma c’est beaucoup moins. Les gens ne le savent pas. Beaucoup moins facile dans la mesure où il y a une tradition de la critique de cinéma qui, dans ce pays est essentiellement masculine, relisez les cahiers positifs des années 70, ce ne sont que des mecs. Bref, se féminiser, évidemment, aussi faire en sorte que tous ces sujets de société portés, d’ailleurs pour la vague #MeToo par des livres comme celui, évidemment, de Vanessa Springora ou le film qui en a été tiré, soient présent à l’antenne et que donc voilà. Donc c’est un changement radical et je dirais que l’ultime changement radical, c’est l’arrivée de Rebecca Manzoni. J’ai, quand j’ai en début d’année, exprimé à Adèle Van Reeth la directrice de France Inter mon souhait de passer le relais et de quitter, non sans une immense mélancolie, cette émission. J’avais un seul, vraiment une seule exigence, c’est que ce fut une femme et évidemment, ça, ce n’est pas difficile, plus jeune que moi. Et je pense que c’est un peu l’aboutissement d’une histoire, d’une émission mythologique et très longue, mais qui, paradoxalement, n’a été tenue en main que par des hommes, jusqu’à votre serviteur.
Rebecca Manzoni : Mais de toute façon, les œuvres, Le Masque est le reflet de son époque, ne serait-ce que parce que la création raconte l’époque, qu’il s’agisse des films qu’ils se tournent, des livres qui s’écrivent ou des spectacles qui sont mis en scène, ça raconte l’époque et ça permet de mieux la saisir et la comprendre.
Emmanuelle Daviet : Mais alors, justement, par rapport à cette évolution de l’époque, par rapport à ce monde de la culture qui est en constante évolution par rapport aussi à votre sensibilité. Comment vous allez tenir compte de ces changements dans la programmation de l’émission ?
Rebecca Manzoni : À travers ce qui est publié, ce qui sort en salle ou ce qui y est mis en scène. Ce qui se passe à Paris comme ailleurs en France, ce qui s’écrit en France comme à l’étranger. Il y a forcément des incontournables. Et oui, être attentif à la façon dont ces œuvres là nous connectent à l’époque et de maintenir le plus possible une diversité pour mélanger les artistes qui sont déjà bien établis et les artistes qui publient, réalisent ou mettent en scène une œuvre pour la toute première fois de leur vie.
Emmanuelle Daviet : Alors, par rapport à cette diversité, Le Masque et la Plume aborde différentes disciplines, de la littérature au cinéma en passant par le théâtre. Une auditrice souhaiterait savoir quelles sont les tendances actuelles qui vous attirent, Rebecca, et les disciplines que vous aimeriez explorer davantage dans l’émission ?
Rebecca Manzoni : Plus que les tendances, je parlerais d’une réalité de la création contemporaine. Je pense évidemment à la musique et je pense aussi aux séries. Donc voilà, ça fait deux des disciplines qui me semblent essentielles. Mais ces disciplines ne vont pas arriver au Masque dans l’immédiat parce que les changements sont déjà copieux puisque je me plais à dire. Donc effectivement, à partir du 7 janvier, Jérôme Garcin devient une femme. Et ces changements étant copieux, je crois que la radio, et c’est ce qui explique le lien affectif qui nous lie, nous qui la faisons et et vous qui l’écoutez. C’est une histoire de rendez-vous. Et apporter de nouvelles disciplines, c’est aussi évidemment amener encore de nouvelles voies et cette régularité s’en trouverait diluée. Donc, l’arrivée de nouvelles disciplines à la tribune du Masque, évidemment, la porte n’est absolument pas fermée, mais ça ne va pas se faire tout de suite.
Emmanuelle Daviet : Jérôme Garcin, un Masque réussi, il ressemble à quoi ?
Jérôme Garcin : C’est un Masque qui à la fois exaspère les auditeurs et qui en même temps, les rend totalement accros à l’émission. Une bonne émission, elle suscite de la passion, elle suscite de l’enthousiasme, elle suscite des énervements. Les gens, quand ils ont le sentiment que c’est une bataille, mais une bataille de famille, ça veut dire qu’elle est réussie.
Jérôme Cadet : Et puis, les auditeurs Emmanuelle ont des questions également d’ordre plus personnelles pour tous les deux, Jérôme Garcin et Rebecca Manzoni.
Emmanuelle Daviet : En effet, ils se demandent et d’ailleurs, je vous livre une question qui résume bien celles que j’ai reçues. La voici, ils se demandent si vous vous connaissez : « Jérôme Garcin et Rebecca Manzoni se connaissent-ils ? Sont-ils amis dans la vie et travaillent-ils ensemble pour la suite de l’émission ?
Rebecca Manzoni : En fait, c’est ça qui est quand même formidable. Je vais parler de cette émission comme comme d’une personne. Grâce à elle, nous nous sommes rencontrés et ça, c’est une chance pour moi et c’est très important pour moi. Donc nous ne nous connaissions pas, mais Le Masque m’a permis de partager quelques déjeuners avec Jérôme. J’espère qu’il y en a encore où tu me racontera ta vie de cavalier et moi, je te parlerai de toutes les voitures que j’ai cassé, non pas par amour de la vitesse, mais surtout par maladresse. Mais non, nous ne nous connaissions pas.
Jérôme Garcin : C’est d’ailleurs assez étrange. La question est très bonne parce que j’ai 45 ans de Maison quand même. Et je connais à peu près tout le monde et je ne connaissais pas Rebecca Manzoni, sauf évidemment comme tout le monde, parce que j’étais proche de l’ébriété quand j’entendais sa voix à la radio tellement elle me semble, c’est peut être la plus belle voix d’Inter, si vous le permettez. Et donc, mais je ne savais pas qui il y avait derrière cette voix. Et depuis l’été dernier, où on peut dire qu’on, je ne dirais pas qu’on travaille mais qu’on est complices autour de l’idée de ce passage de relais, j’ai découvert une femme formidable.
Emmanuelle Daviet : Vous enregistrez une émission ce soir qui sera diffusée le 31 décembre. Rebecca, à quelle date sera enregistré le premier Masque et la Plume de ce mois de janvier ?
Rebecca Manzoni : Alors ce sera enregistré le mercredi 3 janvier. Donc, je le répète, le mercredi et plus le jeudi parce que pour ma part, je suis à l’antenne le vendredi matin, donc le mercredi 3 janvier entre 19h et 21h, toujours au Théâtre de l’Alliance française et le premier Masque de 2024. Ce sera le dimanche 7 janvier où il sera question de cinéma.
Emmanuelle Daviet : Merci Jérôme, Merci Rebecca d’avoir pris le temps de répondre aux questions des auditeurs et des auditrices.