Franck Mathevon, directeur de l’information internationale de Radio France, et Rémi Sulmont, directeur de la rédaction de France Inter, sont les invités d’Emmanuelle Daviet pour répondre aux différentes questions des auditeurs.
Le procès des assistants d’eurodéputés RN, Boualem Sansal et l’élection présidentielle aux Etats-Unis
Emmanuelle Daviet : Le procès d’assistants d’eurodéputés du Rassemblement national a suscité des questions chez des auditeurs. Avant le réquisitoire du 13 novembre, ils ont estimé que la couverture du procès était insuffisante. L’un d’eux écrit : « Je suis étonné de l’absence de couverture du procès des assistants parlementaires du Rassemblement national. Pouvez-vous m’expliquer pourquoi ce choix éditorial de ne pas traiter ce procès ? » Rémi Sulmont, quels moyens ont été mobilisés pour suivre ce procès ?
Rémi Sulmont : Je vais inciter notre auditeur à écouter encore plus souvent France Inter, car évidemment, on a traité le procès des assistants parlementaires avec beaucoup de régularité et puis d’exigence. On a fait les comptes pour vous ce matin avec le service police justice : il y a eu quinze comptes rendus d’audience à l’antenne sur ce procès, parfois en ouverture de journal. C’était encore le cas le dernier jour du procès mercredi. Et cela alors que l’actualité judiciaire est ultra riche en ce moment. Vous l’entendez, rien que cette semaine, simultanément, nous avions : le procès de l’assassinat de Samuel Paty, celui des viols de Mazan qui se poursuit, le procès de Bernard Squarcini, l’ex patron du renseignement, le procès de l’affaire Pogba. Alors, on ne peut pas suivre toutes les heures, toutes ces audiences, mais évidemment, on fait des choix, on fait des choix éditoriaux forts. Et évidemment, on a suivi le procès où comparaît Marine Le Pen. Nous y étions. Le procès de l’assassinat de Samuel Paty, nous le suivons par exemple en intégralité, durant sept semaines, Charlotte Piret assiste à toutes les audiences. Vous ne l’entendez pas tous les jours, vous ne l’avez pas entendue dans ce journal, mais elle a suivi l’audience de ce matin. Jérôme, elle ne vous a pas appelé parce que l’audience de ce matin ne présentait pas un intérêt, mais elle le fait très souvent à l’antenne. Le procès Mazan Pélicot, nous y étions dès l’ouverture. On n’avait pas prévu de suivre l’intégralité de ce procès, mais vu la charge sociétale rarissime que ce procès a pris, notre chroniqueur Jean-Philippe Deniau a pris ses quartiers à Avignon. Il aura assisté à neuf semaines d’audience sur quinze. Donc, malgré, vous voyez, cette actualité judiciaire dense, évidemment, le procès où comparaît Marine Le Pen, nous en avons rendu compte très régulièrement.
Jérôme Cadet : Ça, c’est pour le dispositif Rémi Sulmont, mais il y a aussi des remarques Emmanuelle sur le fond. Après le réquisitoire, vous avez reçu des remarques sur une trop grande mise en avant de la défense ?
Emmanuelle Daviet : Oui, les auditeurs se sont étonnés d’entendre la défense de Marine Le Pen sur l’antenne. Alors l’un d’entre nous écrit : « On l’entend beaucoup prendre sa propre défense alors qu’il s’agit d’une personne accusée, certes présumée innocente. Pourquoi ne pas étendre ce droit à d’autres accusés dans des affaires médiatisées ? Cela donne l’impression qu’elle se présente comme une victime injustement persécutée. » Rémi Sulmont, comment répondez-vous à ces remarques concernant l’équilibre dans le traitement de ce procès et la place accordée à la défense ?
Rémi Sulmont : Déjà elle n’est pas devant une cour d’assises, donc elle n’est pas accusée mais prévenue. Ça, c’est important pour les auditeurs. Je crois qu’il faut séparer les comptes rendus d’audience de ce qui se passe à la sortie de la salle d’audience. Je vous disais que nous avons fait quinze compte rendus d’audience. Sur ces quinze interventions, quatre ont été consacrées aux réquisitions, donc à l’accusation. J’ai envie de demander, Emmanuelle, à notre auditeur de nous juger sur l’ensemble de la couverture de ce procès, édition après édition, jour après jour, un jour les requisitions, et l’autre jour la défense. Alors c’est vrai, dans ce procès, il y a ce qui se passe en dehors de la salle d’audience qui est aussi important. Évidemment, quand une personnalité politique, comme le fait Marine Le Pen dans ce procès, saisit ce procès pour en faire une tribune politique, eh bien, et qu’elle parle aux médias à la sortie du tribunal, nous ne pouvons pas en faire abstraction. Et vous pouvez regretter qu’un tribunal devienne une arène politique. Mais nous, notre rôle de journaliste c’est de raconter l’ensemble sinon, il vous manquera, à vous auditeurs, une partie de ce feuilleton politico judiciaire.
L’arrestation de l’écrivain Boualem Sansal en Algérie
Jérôme Cadet : Un tout autre sujet. Questions des auditeurs Emmanuelle sur l’écrivain franco algérien Boualem Sansal, qui a donc été arrêté en Algérie le 16 novembre dernier.
Emmanuelle Daviet : Oui. Le sort de l’écrivain en lutte contre le fondamentalisme religieux et l’autoritarisme inquiète les milieux politiques et littéraires français. Et des auditeurs nous ont écrit à ce sujet. Je vous lis un message : « Votre station a indiqué que Boualem Sansal est soutenu par des personnalités de droite. J’imagine qu’il s’agit pour vous d’un véritable handicap qui empêche totalement de défendre cet écrivain. » Franck Mathevon, comment recevez-vous ces remarques des auditeurs ?
Franck Mathevon : Je comprends la remarque de cet auditeur. Boualem Sansal est soutenu par des personnalités de gauche comme de droite. Notre rôle, c’est de décrypter l’affaire et de raconter l’émoi qu’elle suscite. Et puis un point c’est tout. Si de tels propos ont été tenus sur Inter, je vais émettre une hypothèse, c’est sans doute parce que dès qu’on parle d’Algérie en France, vous le savez, il y a tout un passé qui ressort, une longue histoire de relations difficiles entre les deux pays la colonisation, la guerre, les crimes commis par la France. L’immigration, c’est une relation lourde dont s’empare souvent la classe politique française. Mais soyez certains qu’on s’en tient aux faits. Il n’y a aucune arrière pensée dans notre couverture. Boualem Sansal est un écrivain important, franco algérien et il est au cœur des tensions diplomatiques entre les deux pays.
Emmanuelle Daviet : Alors, précisément, comment parvenez vous à couvrir cette actualité quand on connaît le contexte franco algérien ?
Franck Mathevon : Je le redis, les faits d’abord. Nous, on s’efforce de raconter ce que l’on parvient à savoir, de décrypter l’affaire Boualem Sansal. Ce n’est pas simple parce qu’on n’a plus de journalistes en Algérie d’abord, il faut le dire, on a longtemps travaillé avec des pigistes au moins, en tout cas des journalistes freelance. Mais ce n’est plus possible depuis plusieurs années, on n’a plus d’autorisation. Il est même très difficile d’envoyer des journalistes pour des missions ponctuelles sur le terrain. On n’a pas de visa, pas d’autorisations. On travaille depuis Paris, on arrive à joindre des personnes à distance et puis on s’efforce malgré tout, c’est important, dans une affaire comme celle-ci, de donner le point de vue de l’Algérie et de la France sur l’affaire. Donc on parle de la mobilisation du monde culturel, de l’impact politique de l’arrestation de Boualem Sansal. Mais le cœur du dossier, j’y reviens, c’est le contexte diplomatique, les tensions très fortes entre Paris et Alger. Et c’est surtout le cas depuis qu’Emmanuel Macron a pris cet été, vous le savez, le Parti du Maroc au sujet de l’autonomie du Sahara occidental.
L’élection présidentielle aux Etats-Unis
Jérôme Cadet : Actualité internationale évidemment très riche dans ce mois de novembre qui s’achève avec l’élection présidentielle américaine qui a fortement mobilisé les auditeurs. Ils ont été très nombreux à vous écrire.
Emmanuelle Daviet : Oui, et effectivement, c’est une victoire sans appel. Donald Trump signe donc un retour historique à la Maison-Blanche. La couverture a été jugée pro démocrate, effectivement. Nous avons reçu plusieurs messages de ce type. Pas mal d’auditeurs qui habitent aux Etats-Unis nous ont écrit, voici l’un d’entre eux : « J’habite dans un Etat clé depuis des décennies. Je vous écoute tous les jours et je trouve vos reportages sur l’élection américaine biaisés et pro démocrates. Ils ne rendent pas vraiment compte de la réalité des Etats-Unis. À mon avis, et même si je peux le regretter, Trump va gagner sans conteste possible. » Alors, Franck Mathevon, diriez-vous que la couverture a été trop favorable aux démocrates ?
Franck Mathevon : J’espère que non. On avait vraiment à cœur, en tout cas d’être le le plus équilibré possible. On a sillonné les Etats-Unis pendant la campagne. On avait des journalistes dans tous les Etats clés, avec Donald Trump, avec le camp démocrate, le camp de Kamala Harris également aussi, autant d’un côté que de l’autre. Et on a vraiment voulu donner la parole aux républicains et éviter la caricature. On en a même parlé en préparant les élections à des réunions auxquelles pouvait participer Rémi d’ailleurs ici présent. En tout cas, j’entends malgré tout ce que dit cet auditeur, on couvre la campagne américaine avec des yeux de Français et des Français pour qui Trump reste une énigme. On a pas c’est vrai en France le même rapport aux armes, à l’argent, à la religion. C’est possible que ça transparaisse dans la couverture de l’élection américaine. Ça vient aussi des invités qui penchent parfois un peu plus côté démocrate, parce que c’est le cas de l’immense majorité des universitaires et des experts sur les Etats-Unis.
Emmanuelle Daviet : Pour les auditeurs, il y a eu un dénigrement systématique de Donald Trump, avec des analyses qui se concentraient beaucoup sur la critique de sa personne et de son action, plutôt que le soutien très favorable dont il bénéficiait par des millions d’Américains. Alors voici un message : « Des mois de Trump bashing où vous avez tout fait pour nous démontrer la stupidité, l’incompétence, pour ne pas dire la folie de Donald Trump. Et voilà que plus de 50 % des électeurs américains votent pour lui. Ces millions d’électeurs ne sont pas des dégénérés. » Que répondez-vous, Franck Mathevon, à ces remarques?
Franck Mathevon : Je réponds que je suis d’accord sur un point : les électeurs de Trump ne sont pas des dégénérés. Et notre travail, c’est de comprendre justement pourquoi ils ont voté pour lui. Je ne crois pas qu’on ait caricaturé ainsi Donald Trump, on a taché d’expliquer par exemple que son plan économique très protectionniste intéressait beaucoup d’Américains. On a essayé de raconter pourquoi l’immigration illégale, qui, c’est vrai, a battu des records sous Joe Biden, pouvait être un sujet de préoccupation pour les électeurs. Et puis, nous, journalistes, on n’a pas à vous dire si Trump est stupide ou brillant. Notre mission, c’est de décrire son programme, son plan pour les Etats-Unis et d’expliquer pourquoi 80 millions d’Américains ont voté pour lui.
Jérôme Cadet : Vous nous avez dit, Frank, qu’il y avait des journalistes de Radio France dans tous les États clés au moment de cette élection américaine. Question précisément des auditeurs sur ce point : Pourquoi y a t il des journalistes sur le terrain pendant cette campagne ?
Emmanuelle Daviet : Oui, alors c’est vraiment beaucoup revenu dans le courrier, pour les auditeurs, envoyer des journalistes et des techniciens aux Etats-Unis, eh bien, ça manque de cohérence avec les discours sur la sobriété et la transition écologique très valorisée sur l’antenne de France Inter. Et puis d’autres auditeurs s’interrogent sur la valeur ajoutée de ces déplacements, estimant que les informations recueillies sur place n’apportent pas suffisamment d’éléments nouveaux pour justifier de tels moyens. Je dois dire que cette question, elle est centrale, elle nous intéresse tous. Elle surprend, mais pas quand on ne connaît pas les coulisses, évidemment, et puis les missions premières peut être du métier de journaliste qui consiste précisément à être sur le terrain. Alors tous les journalistes auraient envie de répondre je vous donne la parole.
Rémi Sulmont : Bien sûr qu’il faut aller sur place ! Les journalistes, c’est d’abord des reporters avant d’être des présentateurs et des journalistes qui mettent en scène l’information. Ce n’est pas à vous, Jérôme, que je vais le dire, vous qui allez régulièrement sur le terrain. Vous, vous allez plutôt en France. C’est plutôt le rôle du 18h/20h d’aller sur place. Mais vous allez régulièrement, c’est le même métier, vous faites le même métier que les journalistes qui vont aux Etats-Unis, aller recueillir la parole, écouter ici nos concitoyens dans le treize quatorze et les reporters de France Inter sont tous les jours sur le terrain en France. Eh bien, c’est la même démarche aux Etats-Unis. Pour comprendre, il faut aller voir, il faut écouter et ça coûte. Oui, ça coûte. Effectivement, ça coûte en émissions carbone, mais ça fait surtout des émissions de radio vraiment nécessaires. C’est du carbone émis pour la bonne cause. Je pense notamment au 18/20 de Fabienne Sintès qui s’est délocalisée pour 4h de spéciale. Vous pouvez même la réécouter parce que c’est très instructif. Je vais vous dire, ceux qui ont le mieux compris le vote de l’Amérique, le vote Trump, c’est ceux qui ont été sur place en reportage, comme vous et ceux qui ont passé du temps vraiment à écouter les Américains.
Franck Mathevon : Bon, en deux mots, simplement parce que je vois que le temps court. Le terrain, c’est la valeur cardinale de notre métier. Il faut être sur le terrain le plus souvent possible, que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs, pour comprendre les enjeux du monde aujourd’hui.
Emmanuelle Daviet : Oui, et puis, à l’inverse, quels types de courriers j’aurais reçu si vous n’alliez pas sur le terrain ?
Le Vendée Globe
Jérôme Cadet : On peut l’imaginer. On va terminer très brièvement. Il nous reste deux minutes, avec ce rendez vous : la plus jeune participante de l’histoire du Vendée Globe, Violette Dorange, 23 ans, dans ce 13/14.
Emmanuelle Daviet : Je vous lis le message d’un auditeur. C’est manifestement un amoureux du Vendée Globe. Il écrit : « J’apprécie beaucoup la qualité du 13/14 ainsi que beaucoup d’autres programmes de France Inter. Cependant, je trouve que vous ne parlez pas assez du Vendée Globe. Dans ce monde de fou où les guerres et les pseudo dictateurs font la Une, ces marins nous font rêver et nous en avons bien besoin. Le niveau d’engagement dans ce tour du monde en solitaire est énorme et mérite que vous en parliez un peu plus. Même si les passionnés de voile suivent la course sur Internet. Je rappelle et merci à cet auditeur de nous rappeler que cette course n’a lieu que tous les quatre ans ». Alors Jérôme Cadet ?
Jérôme Cadet : Que dire de plus ? On entend Violette Dorange deux fois par semaine. C’est la navigatrice qu’on suit, évidemment. Elle était avec nous sur les pontons des Sables d’Olonne pour cette émission spéciale, à deux jours du départ. On l’avait reçue ici même on vous l’avez présentée il y a plusieurs semaines, quand personne ne faisait de papier d’article sur elle. Aujourd’hui, il y en a partout. Nos petits camarades du matin, il y avait un reportage encore exceptionnel sur la fatigue des skippers. Comment ils gèrent ça ? Jérôme Val vous a raconté tout ça en début de semaine, dans le 18/20 Fabienne Sintes avec les skippers mais aussi avec tous ceux qui font Virtual Regatta, le Vendée Globe virtuel. Donc je crois pas qu’on soit en dessous du rendez-vous.
Emmanuelle Daviet : Et puis un mot pour tous les skippers qui sont hyper inspirants et que l’on suit très attentivement chaque jour.