Nicolas Demorand et Catherine Nayl, directrice de l’information de France Inter, répondent aux questions d’Emmanuelle Daviet.
« Combien de temps Nicolas Demorand va-t-il accepter ces passages d’antenne qui le desservent pour le sérieux des informations qu’il a ensuite à présenter ? » s’interroge Michel, un auditeur qui ne goûte guère cet humour de bon matin.
Nicolas Demorand, pensez-vous que l’esprit frondeur et les blagues potaches de Daniel Morin desservent le sérieux de votre propos ?
Ça ne vous lasse pas ?
Nicolas Demorand : Non je ne pense, car on ne fait pas semblant de rigoler. D’autant que Daniel Morin a une nouvelle cible qui est Léa Salamé. On se répartit la charge elle et moi, et on voit bien que c’est un moment de rire, parfois de hurlement de rires. Et dès qu’il est 7h on change totalement d’atmosphère… On a la voix, d’ailleurs, qui est là pour marquer ce changement d’atmosphère : ces deux salles, deux ambiances, entre ce moment de rire et la reprise d’antenne à 7h. A chaque fois, je me demande où il va chercher ses blagues, avec ces moments de musique censés illustrer mon caractère ignoble : soit radin, soit méchant, soit violent, soit faible, soit blessé… Je me dis à chaque fois : « mais jusqu’à quand ? ». Une fois il m’a même traité de « Pavarotti à poils courts ». Et ça a beaucoup fait rire dans les couloirs de France Inter.
Catherine Nayl : Mais je crois, en fait, que les auditeurs attendent cela : ce passage d’antenne.
Nicolas Demorand : J’ai beaucoup d’amis, en effet, qui me rapportent qu’ils se réveillent à 6h57 pour écouter ce passage d’antenne !
LE LIEN AVEC LES AUDITEURS
Nicolas Demorand vous êtes plutôt « coupes claires » ou « coupes sombres » ? « Bourg-en Bresse » ou « Bourk-en-Bress » ?
Pour les auditeurs qui auraient raté cet épisode, le 11 octobre dernier, vous avez consacré votre chronique de 80 secondes, à l’expression « coupes claires » à la suite d’un mail envoyé par un auditeur de Bourg-en-Bresse. Vous faites un 80’ et les gens disputent au sens noble du terme. Cela devient un micro-sujet d’enquête et donne lieu à une effervescence incroyable, joyeuse, enthousiasmante même, entre vous et les auditeurs.
Racontez-nous cette séquence et surtout ce qu’elle vous inspire comme réflexions sur le média radio.
Nicolas Demorand : J’ai un certain nombre d’auditeurs avec lesquels j’ai des échanges réguliers sur tel ou tel point, de fond ou de forme. Là, il s’agissait d’un auditeur qui m’interpellait sur un défaut de prononciation, un problème phonétique : « raciZMEU », « lyrizMEU » au lieu de « raciSSme » et « lyriSSme », et il notait que j’avais fait des progrès sur « IZZraëliens », que je disais maintenant « ISSraëliens »… Et il faisait une liste pour un certain nombre de problèmes qu’il faut que je règle urgemment. Donc je l’ai remercié et je l’ai cité dans ma chronique… cet auditeur qui vit donc à Bourg-en-Brest, qui se prononce « BourK » et j’ai dit « BouR-en-BreSS ». Et c’est Dorothée Barba qui m’a dit « non, on ne prononce pas comme ça ». Et comme on n’arrivait pas à trancher la querelle, on a demandé à Alain Rey.
Comment et pourquoi est-il nécessaire de stimuler cette corde-là qui semble être l’une des choses chaleureuses, intenses et positives du lien aux auditeurs ? Qu’est-ce qu’on fait de ça ?
C’est très étonnant de voir le nombre de réactions à cette chronique. J’avais totalement sous-estimé la langue française car c’est notre outil de travail, ici, sous le micro, mais c’est aussi l’objet d’une passion de la part des auditeurs… qui nous écoutent de très près, et qui nous disent lorsqu’on fait une faute !
LANGUE RADIOPHONIQUE
La spécificité de la radio c’est également le discours radiophonique qui est à la fois écrit et oral, il y a là un statut hybride, voire une ambiguïté qui fait dire aux auditeurs que la rigueur grammaticale ou bien les canons de la langue française ne sont pas toujours respectés, ce qui ne manque pas de les désoler
Nicolas Demorand : C’est un statut hybride, la radio. C’est une écriture dans un premier temps : une écriture oralisée, qui n’est pas exactement l’écrit tel qu’on le connaît et qui n’est pas exactement l’oral pur et dur non plus. Et, dans un second temps, cette écriture change de nature : lorsque vous êtes dans un studio, on quitte l’écrit pour aller vers des formes d’oralité, qui doivent être plus ou moins maîtrisées, mais on ne peut pas toujours le faire. Ensuite, il y a des questions de registre : une question posée rigoureusement à l’écrit sonnera différemment à l’oral. Par exemple, « alors vous lui dites quoi ? », qui est une monstruosité sur le plan grammatical, marche à l’oral, tandis que si vous dites « que lui dites-vous ? » le sens est un petit peu changé. A l’oral, l’emploi des temps change aussi, le passé composé généralisé à la place du passé simple. C’est une facilité, bien sûr. Mais c’est une marque d’oralité aussi. Car la radio c’est de la conversation, donc c’est de la vie… Or si vous employez systématiquement le passé simple, vous instaurez une connotation de marque soutenue, de langue ironique, qui disparaît avec le passé composé. Par conséquent, on est toujours dans des arbitrages, entre ce qui doit être un français correct, disons, mais dans une forme étrange, oralo-écrite, ou l’inverse. Et quand on travaille, quand on écrit, on pèse chacun des mots. Avec Léa Salamé, il y a des mots sur lesquels on passe 5 voire 10 minutes pour savoir si c’est le bon mot, s’il n’a pas d’autres connotations, si c’est exactement ce qu’on veut dire, et de quelle manière, si le mot ouvre ou ferme la question, s’il a des implicites ou non… Ensuite vous vous retrouvez à l’antenne et là tout, dans le feu du travail ou de l’interview, votre travail disparaît en direct, parce que ce n’est pas le moment, parce que ce n’est pas la même forme et puis le direct remet tout en question.
D’autant que certaines formes trop soutenues, très écrites, peuvent virer à la préciosité lorsqu’elles sont employées au micro ?
Nicolas Demorand : Oui, bien sûr. Par exemple « à aucun moment vous n’avez été au courant » au passé simple donne « à aucun moment vous ne fûtes au courant », on voit que la phrase a des connotations différentes dans les deux cas : elles veulent toutes les deux dire la même chose, mais l’une est informative, plate, tandis que l’autre apporte une connotation précieuse… qui n’existait pas il y a encore 40 ans.
Précisons également que la matinale est écoutée par différentes catégories socio-professionnelles, vous vous adressez aussi bien au cadre moyen, qu’à l’agriculteur, au médecin, à l’enseignant, au ministre, aux étudiants. Est-ce un exercice difficile que d’être compris par le plus grand nombre ?
Nicolas Demorand : Non, c’est le postulat. Il faut éviter la cuistrerie, évitez la préciosité. Ce qui ne veut pas dire simplifier ou être dans le simplisme. C’est simplement pouvoir être compris. A certains moment, on a envie de faire des citations, qui sonneraient insupportables à l’antenne. Il ne s’agit pas exactement d’auto-censure, c’est se demander si c’est vraiment nécessaire, utile. C’est de se dire : dans telle citation, tel mot ce n’est nécessaire. Lorsque vous faites une chronique très écrite, c’est différent car les auditeurs entendent bien que c’est un exercice de style ! Dans le cadre d’une interview, c’est quand même différent. Il faut faire attention aux mots rares qu’on emploie et les employer à bon escient.
LE SUPPOSÉ BORD POLITIQUE
Le bord politique supposé de l’intervieweur… Nicolas Demorand, lorsqu’on a une carte de presse, comment met-on sa carte d’électeur de côté ? Message d’une auditrice: « Votre soutien indéfectible à Emmanuel Macron et son exécutif deviennent insupportables ». Les insoumis vous pensent macronien et les pro-Macron vous jugent insoumis….
Nicolas Demorand : Un énoncé à un moment vous échappe. Les auditeurs reçoivent ce que nous émettons comme ils le souhaitent le recevoir. Donc je n’ai pas de contestation ou de critique à faire sur la manière dont un message est reçu. D’autre part, la polarisation que vous évoquez n’existe plus seulement en politique. Lorsque vous recevez un écrivain, un poète, une essayiste, on va vous accuser de le recevoir lui plutôt qu’elle et inversement. Et essayer de déduire une idéologie derrière une invitation, qui n’est en fait que le pluralisme. Ce pluralisme c’est quelque chose qui se construit à long terme, tous les jours, toutes les semaines, puis tous les mois. Et on interviewe des gens car il nous semble intéressant de le faire, absolument pas pour instruire des procès, exprimer des préférences ou des appartenances ! Si on veut avoir une parole personnelle, moi j’ai 80 secondes pour le faire, et je ne fais pas de politique. Il n’y pas de volonté de frapper de la fausse monnaie, ou d’avoir des combats politiques.
Le duo avec Léa Salamé : une collaboration heureuse
Nicolas Demorand : La radio est un média de vérité, et cela s’entend quand les gens ne peuvent pas s’encadrer dans la vie. Au contraire, quand on a plaisir à travailler ensemble, cela s’entend ! Et de mon coté du micro, c’est toujours un bonheur !
Quel auditeur êtes-vous ?
Infidèle, butineur, et vieux aussi car je suis encore attaché au poste de radio. J’écoute des podcasts mais je reste attaché à l’écoute linéaire.
Jean-Marie Le Pen sur France Inter
De nombreux auditeurs se sont interrogés sur l’opportunité d’inviter Jean Marie Lepen dans la matinale de France Inter. C’était il y a quelques semaines et le sujet continue à faire réagir.
Michèle, une auditrice : « Je suis de plus en plus irritée par le choix d’ouvrir vos ondes au Rassemblement National : Jean-Marie Le Pen, Marine Le Pen et leurs jeunes loups : Sébastien Chenut et Nicolas Bey. Pourquoi ? Quel intérêt ? Je n’imagine pas que leurs idées soient celles de France Inter. Ni celles de ses auditeurs. Au contraire, elles les font fuir. Par souci de démocratie, me direz-vous, de pluralisme, d’équité ? Mais à quoi bon ? Pourquoi faire au Rassemblement Nationale l’honneur de vos studios si chaleureux ? »
Ce point de vue n’est pas isolé. Que répondez-vous à l’irritation des auditeurs au sujet de la présence au micro de France Inter de membres de la famille Le Pen ou de représentants du Rassemblement National ?
Catherine Nayl : Je réponds simplement que nous ne pouvons sur une radio de service public exclure un courant de pensée de l’antenne. Nous ne pouvons pas faire comme si un tiers ou presque de Français n’avait pas voté pour Marine Le Pen. Nous faisons notre travail : cela n’est pas une tribune, nous questionnons, nous fact-checkons, mais effectivement c’est notre rôle d’accueillir chaque courant de pensée.
Xavier Dupont de Ligonnès
Autre sujet de crispation ce mois-ci : la couverture éditoriale de l’affaire Xavier Dupont De Ligonnès et du français arrêté à l’aéroport de Glasgow. De nombreux messages exprimaient la colère et l’indignation.
En voici un parmi d’autres : « Cette affaire illustre un manque d’éthique et de professionnalisme ! Aucun emploi du conditionnel, aucune mise n’en garde, alors que rien ne confirmait que c’était bien Xavier Dupont De Ligonnès qui avait été arrêté. » « Un mea culpa s’impose. »
Deux jours plus tard Catherine Nayl vous avez publié un communiqué pour les auditeurs dans lequel vous revenez sur le traitement journalistique de cette affaire.
Quels enseignements avez- vous tiré de cette séquence ?
Catherine Nayl : Il sera peut-être difficile de promettre à nos auditeurs que jamais, plus jamais, nous reproduirons une erreur de ce type. Car il ne s’agit pas d’une fake news, au sens de manipulation. Il s’agit d’une erreur de sources : or les journalistes, qui travaillent à partir de ces sources, en ont eu confirmation. L’emballement, bien sûr, nous y avons participé, mais dès le lendemain matin dans les journaux nous mettons ce point d’interrogation et ce conditionnel, bien avant que l’information ne soit certifiée avant 13h. Donc les journalistes de France Inter, après avoir fait leur travail, ont immédiatement été alertés par un certain nombre de choses. Emballement, oui, dans un premier temps ; réflexion tout de suite après. Et puis que faire devant des sources qui, à plusieurs reprises, vous certifient que c’est la bonne information ? C’est pour cela qu’il est difficile de vous assurer que cela ne se repassera plus jamais !
Vous assumez ou revendiquez le droit à l’erreur ?
Catherine Nayl : Oui, l’erreur est humaine.
LE TRAITEMENT EDITORIAL DU VOILE
Après l’affaire Xavier Dupont De Ligonnès,
dernièrement le sujet de débats au sein des rédactions a incontestablement été
le voile. Comment en parle-t-on ? Quels angles choisir ? Comment trouver le
juste équilibre ? Si certains journalistes regrettent une surexposition
médiatique, les auditeurs (qui nous écrivent) estiment eux, que ce sujet n’est
pas assez traité notamment sur l’antenne de France Inter et, lorsqu’il l’est,
la sémantique employée ou les angles de reportages choisis ne reflètent pas
leur avis sur la question écrivent-ils.
Le sujet semble tellement appartenir au camp de
l’extrême-droite, que ces auditeurs jugent nécessaire de préciser qu’ils sont
de gauche et considèrent que, je cite, « les journalistes sont
aveuglés par leur bien pensance », « ne pas parler du sujet c’est
laisser la place au Rassemblement National.» l’un d’eux écrit aussi :
« c’est navrant de traiter le voile des femmes musulmanes comme un fait
ou phénomène mineur ». Nous avons reçu au service de la médiation des
dizaines de messages très majoritairement de cette teneur.
Que vous inspirent ces réflexions Catherine Nayl ?
Catherine Nayl : C’est un sujet extrêmement complexe à traiter. Ce n’est pas un sujet binaire. Et il faut en arriver, comme toujours, à un traitement professionnel : entendre ceux qui alertent sur une possible stigmatisation, et entendre tous ceux qui alertent sur ce débat. La faute professionnelle aurait été de ne pas en parler, la faute professionnelle aurait été qu’il fallait, de nous-mêmes, le sous-traiter. C’est notre mission de service public de parler de manière proportionnée ce qui clashe.
Quelle auditrice êtes-vous Catherine Nayl ?
Catherine Nayl : Une, fidèle, d’abord parce que c’est mon antenne : il faut que je repère ce qui va, ce qui va moins bien. Et puis parce que je l’aime, que je la trouve impertinente, drôle, rigoureuse. Même si parfois je ne la reconnais pas. Et c’est bien aussi de ne pas la reconnaître, parce qu’on la fait aussi pour les auditeurs.