Le témoignage de Nicolas Demorand ce mercredi sur France Inter, le traitement de la situation géopolitique internationale, ainsi que l’utilisation du terme « conclave » ont suscité de nombreuses réactions de la part de nos auditeurs. Emmanuelle Daviet reçoit Anne Soetemondt, cheffe des informations de France Inter, et Anne-Laure Jumet, directrice adjointe de la rédaction internationale de Radio France, dans le rendez-vous de la médiatrice de France Inter
Nicolas Demorand
Jérôme Cadet: Comme chaque mois, notre rendez vous avec la médiatrice des antennes de Radio France, Emmanuelle Daviet. Nous recevons aujourd’hui Anne Soetemondt cheffe des informations de France Inter, et Anne-Laure Jumet, directrice adjointe de la rédaction internationale de Radio France. On commence Emmanuelle, avec le sujet qui a suscité de très nombreux messages cette semaine, la prise de parole avant-hier sur France Inter de Nicolas Demorand.
Extrait Nicolas Demorand: Oui, je suis un malade mental. C’est cru. C’est violent à dire et peut être à entendre, mais je ne veux plus le cacher ni me cacher. Comme des centaines de milliers de Français. Je suis bipolaire, bipolaire de type 2. J’alterne donc des phases d’euphorie et des périodes de dépression. Mais je suis soigné et je suis là chaque matin, tendu vers un objectif, celui de travailler avec toute l’équipe pour vous informer, vous divertir et vous faire ressentir des émotions. Si je me suis tu si longtemps, c’est parce que la maladie mentale fait peur, parce que la maladie mentale reste une maladie honteuse. Et oui, j’avais honte.
Emmanuelle Daviet: Beaucoup de réactions d’auditeurs à la suite de cette annonce faite par Nicolas Demorand mercredi. Des mots de soutien et d’admiration en très grand nombre comme celui ci d’une auditrice. « J’ai été très touchée par les propos de Monsieur Demorand. Un témoignage aussi sincère et courageux est remarquable. Bravo et merci pour cette chronique émouvante. » Anne Soetemondt, un auditeur souhaiterait en savoir un peu plus sur les coulisses du livre de Nicolas Demorand et les réactions que cela a suscité dans la rédaction?
Anne Soetemondt: Alors, pour ce qui concerne le livre, c’est évidemment la démarche de Nicolas Demorand. Je ne me permettrais pas, en revanche, évidemment, sur ce que ça a pu susciter dans la rédaction. Je crois que ce qu’on vient de réentendre, ce mot équipe de Nicolas Demorand, c’était réciproque. C’est à dire que toute l’équipe, toute la rédaction a été autant émue que la plupart des auditeurs qui ont entendu ce message, mercredi matin. Nicolas a eu beaucoup, beaucoup de messages de soutien. Il était assis juste là où vous êtes, Jérôme. Je pense que ça s’explique parce que notre rédaction est très consciente de l’importance du sujet de la santé mentale.
Jérôme Cadet: Il y a une journée spéciale.
Anne Soetemondt: D’ailleurs la journée spéciale qui était, je crois, le 25 septembre, il en parle dans son 80 secondes. Je ne sais pas si ça a été un déclic, mais je pense qu’en tout cas, que c’est peut être à ce moment là qu’il s’est dit qu’il y avait quelque chose qu’il devait dire parce que c’était important. Et donc, on a fait une journée spéciale et nous on en parle très souvent dans les journaux. Donc, je pense que la rédaction, comme la France, se rend compte que c’est un sujet absolument majeur. Et je pense que les mots qu’a prononcés Nicolas quand il dit « je veux maintenant en faire un combat de ce que j’ai longtemps caché », on s’en est un petit peu saisi ici aussi. Et je peux vous annoncer que lundi, Nicolas Demorand sera dans Le Téléphone sonne aux côtés de Fabienne Sintes et il répondra aux questions de vous, les auditeurs, il y aura un échange.
Jérôme Cadet: Donc il pourra y avoir un dialogue direct après cette annonce. Et on avait, nous, dans le 13/14, mesuré l’impact aussi auprès des professionnels de santé qui attendaient cette prise de parole et qui ont été très heureux aussi pour les malades et pour la prise de conscience qu’elle entraîne. On poursuit Emmanuelle avec des messages reçus à la suite de l’intervention d’Emmanuel Macron. C’était début mars.
La situation géopolitique internationale
Allocution Emmanuel Macron: Les décisions politiques, les équipements militaires, les budgets sont une chose, mais ils ne remplaceront jamais la force d’âme d’une nation. Notre génération ne touchera plus les dividendes de la paix. Il ne tient qu’à nous que nos enfants récoltent demain les dividendes de nos engagements. Alors nous ferons face ensemble.
Emmanuelle Daviet: Depuis l’intervention d’Emmanuel Macron, la situation géopolitique internationale. Et bien cette situation génère beaucoup d’interrogations dans les messages des auditeurs qui considèrent que le discours dominant chez les journalistes et les invités est trop orienté vers la nécessité d’une escalade militaire et du renforcement des armées. Anne Soetemondt que répondez vous à ces remarques ?
Anne Soetemondt: Je les comprends complètement et je pense que toute la rédaction les comprend. Pour être tout à fait honnête, Jérôme le sait et d’ailleurs Anne-Laure aussi. On en parle très souvent dans nos conférences de rédaction. C’est vraiment un débat qui traverse toutes nos discussions éditoriales. Ce que je voudrais dire aux auditeurs, c’est que nous, on ne juge pas ce qui est dit. Les mots qui sont utilisés, on les met en perspective. On a par exemple rappelé qu’Emmanuel Macron avait déjà prononcé les mots de guerre pendant le Covid. Et nous, on accompagne, on décrypte, on décortique. Ça, on le fait beaucoup dans Le 13h avec vous Jérôme, la marche du monde. Donc, nous, on a accompagné un événement diplomatique très important, cette rencontre dans le Bureau Ovale qui s’est mal passé entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky . On accompagne d’autres moments diplomatiques qui suivent, on accompagne des annonces. Donc en fait, on accompagne un peu des faits. Parfois on les questionne. La notion de réarmement, on est allé dans des usines, on a fait des reportages des usines françaises, un an après, parce qu’il y avait déjà eu cette question l’année dernière, qui ont augmenté leur cadences. On l’a raconté parfois, on raconte aussi que ça ne va pas aussi vite que ce qui est souhaité ou ce qui avait été fixé comme objectif. Donc voilà, nous, on est plutôt dans cet accompagnement. Après, on essaie toujours de le faire avec parcimonie et avec une forme de recul.
Emmanuelle Daviet: Des auditeurs demandent une meilleure répartition du temps de parole entre les partisans d’un renforcement militaire et ceux qui militent pour d’autres formes de défense, y compris non-violente. Des auditeurs considèrent que les voix qui prônent des alternatives non militaires sont tout simplement marginalisées. Que vous inspire ce constat Anne Soetemondt ?
Anne Soetemondt: Alors ce que je pense, c’est qu’au début, effectivement, ces gens n’ont peut être pas beaucoup parlé parce qu’on était dans un moment de choc, de sidération et qu’on a beaucoup entendu ceux qui commentaient ce moment de choc. Après là, on voit que les choses sont en train. On avait d’ailleurs fait une journée spéciale sur le nouveau désordre mondial où on avait donné de la place aussi aux auditeurs, aux échanges, parce qu’on voulait qu’ils puissent poser des questions et entendre des gens qui discutaient, qui donnait du sens à tout ce qui était en train de se passer. Après, par exemple, j’ai regardé cette semaine, on a diffusé un son en matinale de Pedro Sanchez, le premier ministre espagnol qui est à la tête d’un gouvernement qui gouverne un pays qui est plutôt plus pacifiste que le reste de l’Europe. Et on donne à entendre cette voix. Et là, je vous le donne en avant première, c’est comme Le Téléphone sonne de lundi, on a Bruno Duvic qui est notre correspondant à Rome, qui nous prépare un reportage dans une dizaine de jours, pareil sur cette Italie où, parce que grande tradition catholique, grande tradition communiste, les voix pacifistes sont très fortes. Et ça, on le raconte maintenant. Il y a une question de timing, mais c’est aussi parce que ce n’étaient pas les mêmes, les gens n’ont pas parlé au même moment et là je pense qu’ils commencent à s’exprimer.
Emmanuelle Daviet: Pour traiter journalistiquement une telle séquence géopolitique. Quels sont les écueils à éviter? Quels sont vos points de vigilance à la rédaction?
Anne Soetemondt: Alors, les points de vigilance, en fait, ils sont là par les discussions qu’on a en conférence de rédaction, où on se dit toujours attention, dans notre équilibre, pas d’excès, pas surinterpréter. Aller sur le terrain, c’est notre grande force à Radio-France grâce à la rédaction internationale, on est très déployés un peu partout en Europe. On a pu raconter ce qui se passait en Finlande, en Estonie, en Allemagne. Ce n’est pas donné à tout le monde, donc on essaie de faire attention. Après, on se dit aussi que nous, à France Inter, on a vraiment un ADN où on fait très attention aux questions de santé mentale, on en a parlé, d’environnement par exemple. Et là, tous les jours, on se pose la question, dans le journal que vous venez d’entendre, on a fait un point sur la décarbonation qui va dans le bon sens, mais pas aussi vite que prévu. Et ça, c’est vraiment des sujets qu’on s’efforce de toujours mettre en ligne parce que c’est important.
Donald Trump
Jérôme Cadet: Il y a une personnalité qui est au cœur des sujets qu’on vient d’évoquer, c’est Donald Trump.
Extrait Donald Trump: On a gagné, on va remettre notre pays sur les rails, plus grand que jamais avant. Beaucoup de gens demandent la destitution de ce juge. Je ne sais pas qu’il est mais c’est un gauchiste nommé par Obama. Si vous ne vous fabriquez pas en Amérique sous l’administration Trump, vous serez taxés. Vous n’êtes pas en position de force. Vous n’avez pas les cartes, sans nous, vous n’avez pas les cartes. Vous jouez avec la Troisième Guerre mondiale.
Emmanuelle Daviet: Depuis le 20 janvier dernier, date de son investiture, Donald Trump fait l’agenda des rédactions à travers le monde. Pas un jour sans annonces, pas un jour sans propos fracassant, aussitôt repris dans tous les médias de la planète. Et les auditeurs s’interrogent, comment les journalistes de la rédaction travaillent sous l’ère Trump face à ce flux constant de déclarations du président des États-Unis? Anne-Laure Jumet. Je le rappelle, vous êtes directrice adjointe de la rédaction internationale de Radio France. Selon quels critères les journalistes décident que les actions ou les déclarations de Donald Trump sont dignes d’être couvertes?
Anne-Laure Jumet: Eh bien, on regarde simplement est-ce qu’il y a des résonances, des conséquences sur le plan intérieur et sur le plan extérieur. Je vous cite quelques exemples la suspension de l’USAID, l’aide au développement qui a des conséquences majeures pour des ONG partout dans le monde. On en parle souvent dans nos journaux. La position de Trump sur l’Ukraine, on a entendu dans l’extrait qu’il y a effectivement un retentissement évidemment extrêmement important. Les annonces sur les droits de douane, on en a parlé encore hier, l’impact sur le secteur automobile, voilà des sujets qui méritent évidemment d’être traités. Mais c’est vrai que pour prendre par exemple le seul exemple des droits de douane, on voit que le président américain a pu changer d’avis en quelques heures. Ça s’est passé par exemple le 11 mars dernier. Donc il ne faut pas rebondir sur chaque déclaration, il faut faire le tri face à un Donald Trump qui pratique la diplomatie de l’intimidation, qui crée par ses déclarations beaucoup d’incertitudes sur le plan géopolitique et économique. Et d’ailleurs, pour nous, c’est un défi quotidien. On n’est pas à l’abri de commettre des erreurs d’appréciation. En tout cas, on est vigilant. On évite par exemple de réagir à chaud à un message qui serait posté par Trump sur son réseau social. Et on évite de se laisser entraîner par le narratif de Trump et de son équipe. En fait, il a même été théorisé par son ancien conseiller Steve Bannon. Inonder les médias de fausses informations d’infos peu importantes pour éviter d’avoir à répondre à l’essentiel et potentiellement à des sujets plus embarrassants.
Anne Soetemondt: Alors, je suis tout à fait d’accord avec Anne-Laure. Dans les conférences de rédaction, tous les jours, on se pose la question de jusqu’où on va.
Jérôme Cadet: Est ce qu’on fait, est-ce qu’on fait pas?
Anne Soetemondt : Est ce qu’on fait ? Est ce qu’on ne fait pas ? C’est très important. Et on a aussi essayé de décrypter cette politique parce qu’en fait, c’est une politique et une marque de Donald Trump. On appelle ça un peu le « carpet bombing ». Comment est ce qu’on réagit face à ça? Et on a aussi eu cette analyse là de la politique intérieure américaine.
Jérôme Cadet: Emmanuelle, vous avez aussi reçu des questions sur les oppositions que Donald Trump rencontre dans son propre pays?
Emmanuelle Daviet: Oui. Cherchez vous à faire entendre des voix dissidentes à l’administration Trump, demandent des auditeurs. Dans l’un des messages, on peut lire « Comme beaucoup, je suis consterné par l’actualité aux USA. Mais que font les démocrates américains? Que disent ils? Pourquoi on entend ni Clinton ni Obama? Pourquoi faut il attendre un sénateur français pour réveiller les consciences? » Alors ce sénateur français évoqué par l’auditrice et Claude Malhuret, on l’écoute.
Extrait Claude Malhuret: Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesieurs les ministres, mesdames et messieurs les ministres, mes chers collègues. L’Europe est à un tournant critique de son histoire. Le bouclier américain se dérobe. L’Ukraine risque d’être abandonnée, la Russie renforcée. Washington est devenu la cour de Néron. Un empereur incendiaire, des courtisans soumis et un bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la fonction publique.
Emmanuelle Daviet: Anne-Laure Jumet, Que répondez vous aux auditeurs qui souhaitent entendre davantage les oppositions que Trump rencontre dans son propre pays?
Anne-Laure Jumet: Alors d’abord, il est difficile de faire entendre cette parole, car elle peine à émerger. Les démocrates sont minoritaires au Congrès, ils sont divisés. Il manque de leader charismatique pour porter leur message. On a Bernie Sanders, qui a 83 ans, cet ex-candidat de la Maison-Blanche à la Maison-Blanche, qui annonçait une tournée anti-Trump, il paraît un peu seul et c’est peut être pour ça d’ailleurs qu’un Claude Malhuret est devenu un peu une star sur les plateaux de télé américains. C’est à dire que l’on entendait assez peu de critiques,e t donc ce sénateur français, tout d’un coup, devient un peu une parole qu’on a envie d’entendre, même outre-Atlantique. Alors à surveiller quand même, on a les suites de la fuite d’informations, classé secret défense sur Signal, qui ont un peu réveillé les démocrates. Et sur le terrain, la résistance à Trump commence à s’organiser. On l’a vu dans un zoom signé avec Camille Magnard, le 12 mars dernier. Et du côté des électeurs républicains, on entend aussi dans certains sujets diffusés sur France Inter un peu de scepticisme, un peu de déception, donc on fait entendre cette parole. Mais je dois quand même dire que bien sûr, on va au contact des partisans de Trump. C’est d’ailleurs pour ça qu’on a décidé d’ouvrir un bureau provisoire à Atlanta, en Géorgie, pour faire remonter d’autres voix que celles qu’on peut entendre à Washington ou à New York.
Jérôme Cadet: Et je précise qu’on avait ici même, dans le 13-14, expliquer pourquoi Barack Obama, pourquoi Joe Biden, pourquoi Hillary Clinton ne réagissent pas aux propos de Donald Trump. C’est un sujet de Loig Loury me semble t il. C’était il y a une quinzaine de jours.
Conclave
Jérôme Cadet: On aborde à présent des questions de sémantique et de religion avec l’utilisation d’un mot qui a irrité nos auditeurs.
Emmanuelle Daviet: Oui, de nombreux auditeurs reprochent l’utilisation du terme conclave par les journalistes dans le contexte politique, pour décrire les réunions liées à la réforme des retraites. Ils estiment que conclave est un terme spécifiquement lié à l’Église catholique désignant l’assemblée des cardinaux pour l’élection du pape. En l’utilisant dans un cadre politique, des auditeurs ressentent une influence religieuse sur la politique, ce qui semble aller à l’encontre des principes de la laïcité qui régissent la République française. Et des auditeurs appellent donc à un usage plus rigoureux et plus neutre du vocabulaire sur les antennes. Anne Soëtemondt, que vous inspirent ces remarques?
Anne Soetemondt: Je les entends parce qu’elles sont partagées par encore une fois, toute une partie de la rédaction on en a encore parlé hier, pour tout vous dire, dans la conférence de rédaction de 15 h, il y a certains présentateurs, certains journalistes qui considèrent qu’il ne faut pas utiliser le mot de conclave et d’autres qui considèrent qu’il faut l’utiliser. Pourquoi faudrait il l’utiliser selon certains? Parce qu’en fait, il a été utilisé pour la première fois par François Bayrou, qui a un peu donné le tempo de la couverture de cet événement, de ces négociations sur les retraites. C’est vrai que si on a commencé en expliquant qu’un conclave commençait à se réunir, c’est difficile de l’appeler ensuite conférence sur les retraites parce qu’en fait les auditeurs peuvent se perdre un peu dans le sujet. Est-ce qu’on a déjà parlé de ce sujet ou pas? Moi ça me fait penser à un autre sujet vous savez, c’était le Covid. L’Académie française disait qu’il fallait dire la Covid et en fait l’usage a dépassé l’Académie française. C’est un petit peu ce qui se passe sur la terminologie conclave.
Jérôme Cadet: Moi j’essaye de l’employer, mais vraiment de manière mesurée, avec parcimonie.