Pour évoquer ces différents sujets qui ont fait réagir les auditeurs ces dernières semaines, Emmanuelle Daviet reçoit Philippe Corbé, directeur de l’information de France Inter, dans le rendez-vous de la médiatrice.
L’émission « Questions politiques » du 9 novembre
Jérôme Cadet: Commençons Emmanuelle par l’émission Questions politiques, dimanche 9 novembre, diffusée sur France Inter à la radio et sur Franceinfo à la télévision. Elle a suscité de nombreux commentaires.
Emmanuelle Daviet: Oui. Cette émission, qui recevait Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, a suscité de nombreuses réactions, notamment en raison des erreurs factuelles relevées dans les interventions d’une des journalistes présentes Alix Bouilhaguet, de France Télévisions. Dès la fin de l’émission, la direction de l’information de France Inter a procédé à une vérification complète des faits évoqués. Ces erreurs ont conduit la France insoumise à saisir la médiation de Radio France. Et le mardi suivant, donc deux jours après l’émission, des corrections ont été apportées par France Télévisions et par Radio France et publiées sur le site de France Inter.
Jérôme Cadet: Cet épisode soulève donc beaucoup de questions.
Emmanuelle Daviet: Oui, parce que certaines de ces erreurs émanent d’une journaliste extérieure à France Inter, et des auditeurs se demandent si cela change quelque chose à la responsabilité éditoriale de l’émission, Philippe Corbé ?
Philippe Corbé: Alors non, c’est une émission de France Inter présentée par une journaliste de France Inter, Alexandra Bensaïd avec une rédactrice en chef de France Inter, Fabienne Le Moal. Elle fonctionne comme toutes les émissions de France Inter avec cette particularité, c’est que parmi les journalistes qui mènent l’entretien, il y a, en plus de la journaliste France Inter, une journaliste du Monde et une journaliste de France Télévisions. Néanmoins, la responsabilité est bien la nôtre et c’est pour cela que, dans la foulée de l’émission, j’ai appelé Alexandra Bensaïd, j’ai appelé la rédactrice en chef Fabienne Le Moal. On a essayé d’évaluer ce qui s’était passé, le problème qu’on avait, des problèmes de contrôle éditorial. Et rapidement, j’ai pris contact avec France Télévisions et nous avons voulu apporter, compléter des choses qui étaient imprécises, corriger des inexactitudes. On souhaitait nous, ici à Radio France, le faire avec France Télévisions. Donc on a discuté ensemble d’un texte qui a été mis en ligne le mardi sur le site de l’émission. On l’a diffusé aussi via les réseaux sociaux et dans l’émission suivante. Donc, dimanche dernier, il y a eu un correctif à l’antenne et des précisions et des excuses présentées par la journaliste de France Télévisions. On a quand même réfléchi aussi, on en avait parlé avec vous et on l’avait annoncé sur le site de la médiatrice, voulu renforcer le contrôle éditorial dans ce fonctionnement. Et donc il y a une réunion, une conférence de rédaction à France Inter, et ensuite on fait une réunion équivalente avec les journalistes du Monde et France Télévisions pour éviter que ce genre de situations ne se reproduisent.
Emmanuelle Daviet: Donc ce sont les nouvelles procédures de vérification que vous allez mettre en place ?
Philippe Corbé: Absolument.
Emmanuelle Daviet: Ces procédures de vérification, justement, comment fonctionnent-elle au quotidien dans la rédaction de France Inter ?
Philippe Corbé: Il faut bien avoir à l’esprit que les journalistes qui viennent à l’antenne de France Inter, n’arrivent pas en décidant de ce dont ils veulent parler tout seul et disent ce qu’ils veulent. Il y a tout un travail collectif. Je prends l’exemple de Jérôme Cadet. Certes, il est à l’antenne pendant 1h tous les jours, mais nous avons une conférence de rédaction le matin, avec les chefs de service, la rédaction en chef, la cheffe des informations, le directeur de la rédaction. J’essaie d’être là aussi souvent. C’est un travail collectif, une réflexion. Et même après cette conférence de rédaction, il y a un dialogue permanent entre Jérôme Cadet, la rédaction en chef, la cheffe des informations et, s’il y a un doute, le moindre doute sur un choix éditorial majeur ou parfois sur une précision, un chiffre, un lieu, un arbitrage à faire, c’est d’abord une réflexion collective. Et c’est comme ça que doit fonctionner une rédaction et une émission, que ce soit pour une émission politique ou bien pour un choix plus précis pour tel ou tel reportage.
Emmanuelle Daviet: Et au delà de cet épisode, Philippe Corbé, qu’est ce que cette affaire vous apprend à vous en tant que directeur de l’information sur des fragilités ou bien des points de vigilance à renforcer ?
Philippe Corbé : Qu’à chaque instant, ça vaut pour une brève dans un flash de quelques secondes, un journal de 15 minutes – 20 minutes, une émission, une tranche d’information d’une heure comme le 13/14 ou une émission politique comme Questions politiques, il faut sans cesse contextualiser, ajouter des sources nécessaires, être précis et évidemment toujours être solide sur les faits. Et ensuite, les auditeurs se font une opinion.
Emmanuelle Daviet: Et nous l’écrive si nécessaire.
La Grande Matinale
Jérôme Cadet : Ils vous ont écrit aussi nos auditeurs ces dernières semaines pour vous parler de La Grande matinale de France Inter. Ils sont très nombreux à l’écouter, à y être attachés, mais certains expriment une forme de désarroi.
Emmanuelle Daviet: Oui, des auditeurs disent ne plus très bien en percevoir la ligne, la lisibilité ou le fil conducteur. Ils trouvent que « La Grande matinale » s’étire en longueur, qu’elle accumule les chroniques et les voix, qu’il en résulte parfois une impression de remplissage. Philippe Corbé, je sais que vous lisez très attentivement chaque jour les courriers des auditeurs. Vous avez pris connaissance de leurs remarques au sujet de « La Grande matinale » et beaucoup disent avoir du mal à en saisir, à en percevoir la cohérence. Est-ce que les critiques des auditeurs sont prises en compte et envisagez-vous des ajustements ou des évolutions pour rendre cette grande matinale plus claire et plus fluide ?
Philippe Corbé : Oui. Emmanuelle, en lisant les messages que vous me transmettez tous les jours, j’ai retrouvé des remarques ou des impressions que j’ai moi-même parfois en écoutant certaines tranches de l’antenne, notamment certains rendez-vous dans « La Grande matinale » qui ne sont pas encore clairement identifiés par les auditeurs. Et ça, je partage en partie leurs remarques. Et donc nous sommes en train de travailler avec Adèle Van Reeth, la directrice de France Inter, et Laurent Goumarre, le directeur des programmes, à des ajustements et parfois des changements pour qu’il y ait plus de lisibilité, plus de fidélité, plus de cohérence, et pour que les auditeurs familiers de la matinale de France Inter retrouvent davantage ce qui fait pour eux le sel et l’intérêt d’écouter France Inter chaque matin.
Emmanuelle Daviet : On le sait, une matinale, c’est un équilibre délicat entre l’information, l’analyse, des chroniques, l’humour, la musique. Si l’on revient à l’intention initiale, quelle est ou quelle devrait être l’identité éditoriale de cette grande matinale ? Que voulez-vous que l’auditeur retienne de ces 4h d’antenne ?
Philippe Corbé : Pour faire simple, et ce n’est pas facile de faire simple puisque c’est un sujet complexe. Mais France Inter doit s’adresser à la France entière. Et donc l’idée générale, c’est qu’on peut parler de tout, mais à condition de s’adresser à tout le monde. Et donc la difficulté qu’on a, elle n’est pas nouvelle, mais elle s’accentue au fil du temps. C’est que France Inter est la première de France et de loin, tous les rendez vous de l’information, sont en tête parce que c’est celle qui raconte le mieux l’époque dans notre pays. Mais nous sommes dans un moment où de plus en plus de Français sont méfiants et parfois distant vis à vis de l’époque. Et ça, ça crée une difficulté supplémentaire pour raconter une époque et un pays qui est traversé parfois par des fractures. Et ça se retrouve aussi dans nos réflexions et nos difficultés, parfois à ajuster telle ou telle chose et c’est pour ça que nous travaillons pour apporter des changements.
L’absence de Nicolas Demorand
Jérôme Cadet : Emmanuelle, beaucoup d’auditeurs vous ont demandé également ces derniers jours des nouvelles de Nicolas Demorand.
Emmanuelle Daviet : Oui, depuis plusieurs semaines maintenant, je suis destinataire chaque jour de messages d’auditeurs qui s’interrogent sur son absence ou bien des auditeurs qui lui adresse des souhaits chaleureux et qui disent qu’ils pensent bien à lui. Je vous lis l’un de ces messages : « j’aimerais apporter un témoignage de soutien à Nicolas Demorand et lui présenter tous mes vœux de prompt rétablissement. J’ajoute que j’aime beaucoup Florence Paracuellos. Avec tous mes remerciements à ces deux journalistes hors pair. » Philippe Corbé, un couple d’auditeurs écrit également : « Si vous pouvez nous donner quelques petites nouvelles au sujet de Nicolas Demorand, nous serions rassurés ».
Philippe Corbé : Merci pour vos nombreuses lettres qui nous sont adressées, qu’on lit et qu’on va continuer à transmettre à Nicolas Demorand. D’ailleurs Nicolas, me disait il y quelques jours que ces messages des auditeurs lui font plaisir, le touche au cœur. Il se repose, il en a besoin. Nous sommes impatients de le retrouver. Mais pour l’instant, il a besoin d’un peu de repos. Et en attendant, nous avons demandé à Florence Paracuellos, qui est une voix familière pour les auditeurs de la matinale, de les réveiller tous les matins. Et elle le fait avec Benjamin Duhamel qui la rejoint pour l’interview de 7h50 et le Grand entretien de 8h20. Et nous avons demandé à Florence de se rendre disponible jusqu’à Noël, au cas où, si besoin. Mais nous espérons pouvoir retrouver Nicolas avant cela.
Emmanuelle Daviet : Alors j’ajoute que les auditeurs écrivent également au sujet de Florence Paracuellos et nous publions cet après-midi dans la Lettre de la médiatrice des messages qui sont adressés à Nicolas et à Florence. Si vous voulez, vous pouvez aller sur le site de la médiatrice.
La condamnation de Nicolas Sarkozy
Jérôme Cadet: On en vient Emmanuelle au traitement éditorial de l’incarcération et de la sortie de prison de l’ancien président de la République, Nicolas Sarkozy, ce qui avait occasionné des questions sur la hiérarchie de l’info.
Emmanuelle Daviet: Oui, des auditeurs regrettent une forte médiatisation de l’ancien chef d’Etat, parfois au détriment disent-ils, d’autres sujets majeurs. Est-ce un ressenti des auditeurs ou la réalité de votre couverture journalistique? Et quels sont, Philippe Corbé, vos critères pour évaluer l’importance d’une information et la place à lui accorder sur l’antenne ?
Philippe Corbé : Dans ce cas précis, c’est un moment historique. Jamais un chef de l’Etat ou l’ancien chef de l’Etat de la cinquième République n’avait été incarcéré. C’est pour cela que nous avons consacré de la place à cet événement, à la condamnation, à l’incarcération, puis à la libération. Mais néanmoins, il me semble que nous n’avons jamais alimenté un feuilleton au quotidien, comme ont pu le faire d’autres médias. Et je pense aussi que dans cette histoire, il y a une affaire de perception. Il se trouve que c’est sur France Inter que le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, est venu dans ce studio annoncer qu’il allait rendre visite à l’ancien président en prison. Cet extrait d’entretien, c’était face à Benjamin Duhamel, de quelques secondes a été beaucoup repris, a été beaucoup vu sur les réseaux, nos réseaux, mais aussi repris par d’autres, beaucoup vu sur toutes les chaînes ailleurs et a pu donner l’impression, et c’était un effet d’optique, que nous consacrions une place vraiment importante à cette question-là, alors que nous la traitions dans la mesure de ce qu’était cet événement. Je ne pense pas que nous ayons couvert de façon excessive, en tout cas en volume ou en intensité, cet événement qui reste, je vous le disais, un moment historique.
Emmanuelle Daviet : C’est vrai que l’épisode que vous citez, le logo de France Inter a été vu de très nombreuses fois et ça peut effectivement ajouter un peu à cette impression d’une forte médiatisation.
Certains estiment également que l’émotion a pris le pas sur la pédagogie, rendant peu compréhensible la décision de justice et ses motivations. Comment concilier le récit d’un événement politique inédit avec la nécessité d’expliquer les motifs juridiques d’une décision assez complexe ?
Philippe Corbé : Alors, c’est un vrai sujet et c’est pour cela que nous avons que j’avais demandé à Sara Ghibaudo, qui, la cheffe de service du service Police-Justice, de venir le lendemain de la condamnation dans le Grand entretien de France Inter sur la longueur, sur 25 minutes, expliquer les motifs et les raisons de cette condamnation. C’est un travail de pédagogie qui est exceptionnel. D’habitude, les chefs de service ne sont pas les invités du Grand entretien, mais on a pensé que c’était important. Et de manière plus large, nous avons traité cet événement, donc condamnation, incarcération, libération, d’abord comme des événements judiciaires plutôt que comme des événements politiques. Et nous avons finalement laissé assez peu de place au débat politique autour de ce qui a alimenté d’autres antennes et parfois avec un volume important. Nous sommes restés davantage sur l’événement judiciaire. Et donc ce bruit qui a pu exister d’un débat politique intense qui était alimenté par des soutiens ou des opposants de Nicolas Sarkozy. Nous y avons finalement consacré assez peu de place.
Emmanuelle Daviet : Dernière question et j’aimerais qu’on prenne vraiment le temps d’y répondre parce qu’elle est revenue fréquemment dans les messages des auditeurs. Ils ont le sentiment d’avoir davantage entendu la parole des défenseurs de Nicolas Sarkozy au détriment d’un rappel factuel de sa condamnation, avec l’idée que la justice serait injuste ou bien politisée. Une idée très présente dans le discours de l’ancien chef d’Etat. Comment garantir l’équilibre des points de vue, Philippe Corbé, notamment lorsqu’il s’agit d’une figure politique majeure ? Je pense qu’il est important de bien prendre le temps de répondre à ce point.
Philippe Corbé : C’est vrai que ce n’est pas ce n’est pas facile, mais encore une fois, nous avons d’abord traité cet événement comme un événement judiciaire. Il n’y a pas eu à l’antenne, que ce soit dans les reportages ou dans les endroits de la matinale ou des autres émissions d’information, que ce soit à 7h50 face à Benjamin Duhamel ou à 8h20, dans le Grand entretien, des débats sans fin entre soutiens et opposants Nicolas Sarkozy. On a d’abord traité cela, d’un point de vue judiciaire. Il y a finalement, quand on prend un peu de recul, assez peu de place ou en tout cas, il n’y a pas eu un excès de place pour un débat politique et purement politique autour de cette condamnation là. Si nous l’avions fait, on aurait eu l’impression effectivement de critiquer ou de remettre en cause une décision de justice. En tout cas, certains invités auraient pu donner cette impression, mais ce n’était pas du tout ce que nous avons fait. Et je sais très bien que d’autres antennes y ont consacré plus de place et peut-être que cette impression là nous rattrape, mais ce n’était pas le cas sur France Inter.