A la suite des récents événements survenus autour du narcotrafic, les auditeurs s’interrogent sur le traitement éditorial. Richard Place, directeur de la rédaction de Franceinfo, est au micro d’Emmanuelle Daviet pour leur répondre.

Emmanuelle Daviet : Il y a une semaine, la criminalité liée au trafic de drogue a franchi un nouveau seuil avec le meurtre du frère d’Amine Kessaci engagé dans la lutte contre la drogue. Depuis, le narcotrafic est évoqué chaque jour sur l’antenne. Alors, comment la rédaction s’organise pour couvrir un sujet aussi complexe et multiforme ?

Richard Place : Alors d’abord, sur cette affaire précise, nous avons réagi très rapidement grâce à Mathilde Vinceneux notre correspondante à Marseille, qui nous a avertis très tôt de cet assassinat. Nous avons donc pu avoir le maire de Marseille très rapidement à l’antenne. Nous avons eu aussi très vite le procureur de Marseille dans la matinale du lendemain. Et puis nous avons couvert toute l’évolution de ce sujet jusqu’à l’interview d’Amine Kessaci lui-même. La première interview qu’il a donnée, c’est à nous à Franceinfo sur YouTube, notre programme « Pour info », où il s’est confié longuement, je vous invite à écouter ce témoignage qui est très fort. Et puis bien sûr, notre service police justice entièrement mobilisé pour couvrir cette affaire, cette enquête et raconter ce fait divers qui est bien plus qu’un fait divers, mais un vrai fait de société aujourd’hui en France.

Emmanuelle Daviet : Alors justement, comment la rédaction donne-t-elle une vision équilibrée du phénomène qui ne repose pas uniquement sur un aspect criminel ? Je vous lis le message d’un auditeur, il nous dit : « depuis plusieurs jours que vous parlez du thème de la lutte contre le narcotrafic sous l’angle des réseaux et des criminels. Mais vous n’abordez pas la question du consommateur de drogue. Or, ils sont de plus en plus nombreux et dans toutes les strates de la société. Et, nous dit cet auditeur, pas de consommateurs, pas de trafic ». Richard Place, avez-vous traité cet angle ?

Richard Place : Oui, bien sûr, et nous l’avons traité notamment par un reportage qui me revient à l’esprit de Philippine Thibaudault, qui est allée à la rencontre de deux consommatrices, un peu celles qu’Emmanuel Macron a pointé du doigt en parlant de « ces bourgeois qui font le narcotrafic », des gens qui sont plutôt confortables financièrement et qui racontaient leur consommation quotidienne et auprès de qui ils se ravitaillent, qui sont leurs dealers. On a pu donc raconter ça et la mauvaise conscience de ces consommatrices en l’occurrence, même si au final, elles consomment quand même. On a aussi raconté la détresse de ces femmes SDF qui sont hébergées dans une maison à Lille, c’est un reportage d’Agathe Mahuet, la « Maison Corinne Masiero », des dames qui consomment du crack pour la plupart, qui sont en énorme situation de fragilité. Donc oui, nous avons parlé des consommateurs de drogues et sous diverses formes.

Emmanuelle Daviet : Au sujet de la dépénalisation, un auditeur nous écrit, alors son point de vue sur le sujet n’engage que lui, je vous lis le message : « sur les drogues et l’insécurité qui en résulte, pourquoi Franceinfo n’aborde jamais la solution pour remédier à cette insécurité, à savoir la fin de la prohibition de toutes les drogues. Puisqu’il y a des consommateurs, l’Etat organiserait à son profit la vente de drogues. Les avantages de cette pratique sont énormes, nous dit cet auditeur. Orienter le flux financier du marché des délinquants vers l’État : fin de l’insécurité, des points de deal, suivi des consommateurs à qui on pourrait proposer des parcours médicaux pour sortir de leur addiction et donc diminution du nombre de consommateurs ». Richard Place, ce sujet a-t-il été abordé et le service public a-t-il une responsabilité particulière s’il évoque la dépénalisation ?

Richard Place : Non. Le service public a surtout la responsabilité de donner la parole à tout le monde dans ce débat et ce que pointe en tout cas cet auditeur, c’est aussi un sujet évoqué par les élus, par des députés. Donc oui, nous avons parlé de cela. En même temps, la question de la dépénalisation ne se prête pas à toutes les drogues. Il n’est pas question de dépénaliser la cocaïne ou le crack, par exemple. Pas du tout. Dans la société française actuellement, en tout cas parmi les élus. Donc nous ne parlons pas de cette dépénalisation-là, mais la question de la dépénalisation des drogues douces, comme l’on dit parfois, oui, c’est un sujet que l’on évoque parce que, notamment pour les questions économiques qu’évoque cet auditeur, le sujet se pose et qu’on sait que dans certains pays et nous avons fait du reportage dans ces pays là, on a fait ce choix-là, dans certains États américains notamment.

Emmanuelle Daviet: On termine avec cette question qui revient fréquemment dans les messages : le traitement de sujets sur le narcotrafic entraîne-t-il des risques pour les journalistes en termes de sécurité, de menaces ou de difficultés d’accès aux sources ?

Richard Place : L’affaire Amine Kessaci, le fait que son frère ait été abattu pour l’atteindre, lui, vraisemblablement, nous alerte tous, même si nous étions déjà en alerte sur ce sujet-là, avec notamment les journalistes du service police justice. Oui, il y a actuellement un narcotrafic qui prend de l’ampleur en France et des narcotrafiquants qui sont sans foi ni loi. On a aussi beaucoup parlé sur l’antenne de Franceinfo, de ces jeunes assassins qui, parfois pour des sommes assez ridicules, sont prêts à tuer n’importe qui. Oui, il y a une vraie question de sécurité pour les gens qui couvrent cette actualité là et nous y veillons à Franceinfo.