Afin de répondre aux questions des auditeurs sur ces sujets, Franck Mathevon, directeur de l’information internationale est au micro d’Emmanuelle Daviet

Emmanuelle Daviet : Le 9 mai dernier, le journaliste de l’AFP Arman Soldin, âgé de 32 ans, a été tué lors d’une attaque de roquette dans l’est de l’Ukraine, près de la ville assiégée de Bakhmout, épicentre des combats depuis des mois et visée quotidiennement par les forces russes. Arman Soldin était coordinateur vidéo. Un hommage lui a été rendu jeudi par ses collègues de l’Agence France Presse. Un hommage au cours duquel Emmanuel Peuchot, l’un de ses collègues qui était à quelques mètres de lui quand il est mort, a déclaré : « Sur le terrain Arman a toujours été sérieux, concentré et toujours conscient des risques. Comme nous tous. Oui, Arman filmait au plus près parce qu’on ne filme pas la guerre de loin. Alors, précisément, depuis ce drame, des auditeurs s’interrogent et souhaitent savoir comment les journalistes de Radio France travaillent sur le terrain, comment il relate la guerre et si les mesures de sécurité ont été renforcées.

Franck Mathevon : Alors d’abord, il faut dire que ce nouveau drame nous a beaucoup marqué. Certains parmi nous connaissaient Arman, c’était mon cas. J’étais d’ailleurs jeudi à l’hommage qui lui était rendu au siège de l’AFP. Je pense qu’on est dans un moment particulier de la guerre. Le front, vous le savez, est figé depuis des mois et une forme de routine s’est installée pour les reporters qui couvrent ce conflit. Il faut faire très attention à ça. On n’a pas changé nos mesures de sécurité à Radio France. Elles sont déjà importantes. On discute beaucoup avec nos journalistes en Ukraine, on parle des lieux de reportage, de la proximité des combats et bien sûr nos équipes, reporters, techniciens, fixeur, traducteurs sont expérimentés, sont dotés des équipements de sécurité élémentaires, au minimum gilets pare balles et casques, mais, et ses collègues de l’esprit l’ont rappelé d’ailleurs jeudi, Armna Soldin n’a pas été particulièrement imprudent. Pas plus d’ailleurs que Frédéric Leclerc-Imhoff, notre confrère de BFM tué l’an dernier. Donc on redouble de vigilance. On garde en tête que couvrir la guerre n’est pas une activité banale, c’est dangereux. Et puis, dernière chose, bien sûr, on pense aux journalistes, aux risques qu’ils prennent sur le terrain. Mais il ne faut pas oublier qu’on est de passage quand on couvre un conflit. Les Ukrainiens, en permanence sur le front, prennent des risques bien plus grands que nous, journalistes.

Emmanuelle Daviet : Les auditeurs témoignent également d’un réel intérêt pour les reportages de Sylvain Tronchet, le correspondant de Radio France à Moscou. Il a d’ailleurs eu l’occasion de nous parler de ses conditions de travail dans ce rendez-vous. Alors nous pouvons donner des nouvelles de Sylvain. Il s’est rendu tout récemment à Marioupol, ce qui est assez exceptionnel.

Franck Mathevon : Oui, absolument. On a beaucoup de chance aujourd’hui d’avoir un correspondant à Moscou. Peu de médias ont ce privilège et en plus, on a un excellent correspondant, on peut le dire. Sylvain Tronchet fait un travail vraiment remarquable en Russie dans un contexte très particulier. En fait, son seul sujet de travail, d’une certaine manière, c’est la guerre en Ukraine. Il peut pour le moment travailler assez librement et il a pu effectivement se rendre il y a quelques jours dans la partie du Donbass contrôlée par les Russes dans l’est de l’Ukraine. Il est allé en effet jusqu’à Marioupol avec son confrère du Figaro. Ce sont presque les premiers Occidentaux à aller sur place depuis des mois. On entendra les sujets de Sylvain lundi sur Franceinfo. Ce sont des reportages exceptionnels. Étonnamment, les reporters ont croisé très peu de soldats russes. Ils ont découvert une ville de Marioupol, évidemment totalement détruite au début de la guerre, qui est devenue un immense chantier. Des centaines d’ouvriers s’affairent pour bâtir de nouveaux bâtiments et repeupler la ville, comme si la guerre n’avait pas lieu, alors que le front est à quelques dizaines de kilomètres. On a hâte d’écouter ces sujets lundi.

Emmanuelle Daviet : Tout autre sujet. Les élections récentes en Turquie, qui ont fait l’objet d’une importante couverture sur Franceinfo. Alors, question d’un auditeur qui nous dit très bien connaître la Turquie et qui souhaite savoir quels étaient les principaux défis auxquels étaient confrontés les journalistes lors de la couverture de ces élections ?

Franck Mathevon : Alors, les élections en Turquie, c’était pour nous un gros événement de 2023. On l’avait coché depuis longtemps. L’opposition, vous le savez, semblait être en mesure de l’emporter mais c’est Recep Tayyip Erdogan qui a été réélu président. Nos journalistes ont parfois été contrôlés sur le terrain. Pas simple de travailler, par exemple dans les bureaux de vote. Mais dans l’ensemble, franchement, ils ont pu travailler en toute liberté dans un pays qui est certes autoritaire, mais un pays aussi où la démocratie résiste malgré tout. Et puis on a la chance désormais d’avoir une correspondante en Turquie, Marie-Pierre Vérot. On a fait ce choix l’été dernier d’avoir quelqu’un à temps plein à Istanbul. On travaille aussi avec d’excellents pigistes, donc on a pu couvrir ces élections dans les meilleures conditions.

Emmanuelle Daviet : Autre question d’un auditeur : « comment, dans le cadre de ces élections, avez vous géré la vérification des faits et la fiabilité des informations dans un contexte politique complexe et souvent polarisé ? »

Franck Mathevon : Oui, c’est vrai, Emmanuelle, c’est très polarisé. Mais j’allais dire c’est le cas maintenant dans beaucoup de pays, y compris dans des grandes démocraties comme les États-Unis. Donc on y est habitué. En France aussi d’ailleurs, on est de plus en plus vigilants sur la vérification des faits et sur les manipulations de l’information. Heureusement, en Turquie, il y a des vigies, beaucoup d’experts. Beaucoup d’observateurs indépendants et ça nous aide aussi à couvrir ce pays de la manière la plus juste possible.