« Bien sûr, vous parlez du meeting de Marine Le Pen, mais rien sur celui de Jean-Luc Mélenchon ». « Vous invitez François Asselineau à 6h20, alors que l’écoute est faible ». « Vous évoquez sans arrêt Emmanuel Macron, alors qu’il n’a pas de parti », etc. Vous êtes nombreux à faire part de vos remarques à propos du traitement de la campagne électorale. Les rédactions sont-elles à ce point « injustes » ?

Ce qui est sûr, c’est que la campagne pour l’élection présidentielle passionne les auditeurs de nos antennes. Certains nous disent qu’ils attendent une information complète de notre part pour les aider à faire leur choix en fonction des arguments des différents candidats. D’autres plus engagés, voire très engagés, scrutent le moindre lancement, papier, reportage ou interview, avec une suspicion intense à l’égard des journalistes. Ceux-là, par exemple, ne peuvent supporter une information négative et accusent le « messager » (le journaliste qui rapporte les faits) plutôt que le « fautif » (l’homme politique à la conduite défaillante).

 

©Ipsos. PRÉSIDENTIELLE 2017

©Ipsos. Présidentielle 2017

 

Des auditeurs vigilants

Mélenchon /France inter

Mélenchon /France inter

D’autres encore estiment que « leur » candidat est systématiquement « maltraité ». Il en est ainsi de militants de la France Insoumise qui nous inondent de messages ; visiblement, ils écoutent tous les journaux et nous interpellent dès que l’un d’eux n’évoque pas Jean-Luc Mélenchon.

Ainsi, lundi par exemple, le médiateur a reçu plusieurs messages semblables à celui de Martine : « Je viens d’écouter le journal de 18h. Ce dimanche, deux candidats tenaient chacun un meeting : Marine Le Pen à Lille et Jean-Luc Mélenchon à Rennes. Pourquoi avez-vous évoqué celui de Marine Le Pen et pas celui de Jean-Luc Mélenchon ? ». La réponse est simple : l’actualité politique est dense et les sujets sont répartis dans les différents journaux. Jean-Marc Four, directeur de la rédaction de France Inter, est plus précis encore : « Le meeting Mélenchon a été traité en reportage dans le 19h et dans le 7h lundi matin. Celui du FN dans le 18h et le 5h30 de lundi ». Donc pas d’ « injustice »…

 

6h20 est trop tôt

Autre reproche adressé au médiateur : « Jean-Luc Mélenchon n’est jamais invité sur France Inter ». C’est faux… Ce qui est vrai, c’est que de multiples invitations lui ont été adressées, refusées jusqu’à présent. Son équipe se rend dans nos studios, mais jamais le candidat.

Radio France / Olivier Benis / François Asselineau

Radio France / Olivier Benis / François Asselineau

Militants également très actifs dans le lobbying : ceux de François Asselineau. Le candidat, crédité aujourd’hui de 0,5% d’intentions de vote (enquête IPSOS – 28 mars), n’a pas supporté d’être invité à venir s’exprimer en direct à 6h20 sur France Inter. Un horaire qui ne serait pas digne de lui… Or, nous sommes dans la période de l’équité du temps de parole des candidats : un candidat à 0,5% d’intentions de vote ne peut pas bénéficier des mêmes critères de diffusion qu’un candidat à 15 ou 25%.

Conséquence : à l’appel de François Asselineau, ses militants nous ont inondés de centaines de mails reprenant tous un texte à peu près identique. Une action puérile, qui a encombré nos boîtes de réception, mais qui ne changera pas les règles de l’équité.

 

Trop ou pas assez de Front National ?

AFP / Kovarik / Meeting Front National

AFP / Kovarik / Meeting Front National

« Le Front National est omniprésent sur vos antennes », êtes-vous nombreux à nous écrire. Eh bien, pas plus que les règles de l’équité imposées aux médias audiovisuels. Et même, d’ailleurs, plutôt moins… Ce qui n’avait pas échappé à l’œil vigilant du CSA : le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel a ainsi adressé un message aux rédactions pour signaler le « retard » du FN dans la comptabilité des temps de parole. Mais il faut savoir que le parti de Marine Le Pen, et elle-même d’ailleurs, ne répond pas toujours favorablement aux invitations des journalistes.

Alors, d’où vient cette impression de forte présence du Front National sur les antennes ? Tout d’abord, ce parti est clivant ; ses opposants supportent mal d’entendre des arguments dont l’écoute les insupporte. Et puis, l’ « état-major » du FN est réduit ; ce sont donc, comme vous dites, « toujours les mêmes que l’on entend », Florian Philippot en tête. D’où une impression de surexposition du parti d’extrême-droite.

 

Les invités sommés de se positionner sur des thèmes du FN

Cela dit, comme le signalent plusieurs d’entre vous, « les intervieweurs politiques aident par leurs questions à mettre très souvent les thèses du Front National au centre des débats ». En effet, dans le questionnement d’un invité non Front National, reviennent régulièrement des thèmes chers à Marine Le Pen que l’on contribue indirectement à populariser. Comme le dit très justement Julien : « Vous recevez Nathalie Arthaud, de Lutte ouvrière. La journaliste enchaine une succession de questions où elle lui demande de se positionner sur le voile. Elle ne le fait pas. La journaliste insiste lourdement. Et cette journaliste (qui n’est pas la seule à agir ainsi) se demande pourquoi les thèses de Marine Le Pen ont un tel succès. Ce que vous voulez, c’est absolument que tout le monde se positionne sur des points dont le clan Le Pen a fini par convaincre toute la société que c’était bel et bien LE problème essentiel ».

Enfin, il y a tous ceux qui reprochent aux rédactions de soutenir Emmanuel Macron. « Vous ne cessez de parler de lui, alors qu’il ne représente rien, qu’il est hors parti ». Il n’empêche qu’il est crédité aujourd’hui de 24% d’intentions de vote et que son temps de parole est, comme pour chacun des candidats, proportionnel à sa représentativité. Là encore, le CSA surveille cela très attentivement.

 

Vous soutenez Macron

macron / Franceinfo

Macron / Franceinfo

Il est vrai qu’Emmanuel Macron, plutôt insaisissable sur l’échiquier politique, est également clivant pour les défenseurs des partis traditionnels et de la différenciation gauche-droite. Ils préféreraient ne pas entendre le candidat d’En marche. « Vous n’arrêtez pas d’annoncer tous les ralliements à Macron », nous dit-on également. Ces ralliements de personnalités sont des informations liées à la campagne et les journalistes les annonceraient pour n’importe quel autre candidat. Faut-il les taire parce qu’il s’agit d’Emmanuel Macron ?

Cette campagne électorale, inattendue par ses candidats, passionnante par ses rebondissements, suscite un véritable intérêt. Elle déclenche des réactions d’intolérance, d’incompréhension, mais également des réflexions sur les pratiques des journalistes. Pour l’intolérance, nous ne pouvons pas grand-chose. Pour l’incompréhension, nous pouvons expliquer les méthodes de travail, les contraintes, le respect du pluralisme et de l’équité. Quant aux réflexions, elles sont toutes portées à la connaissance des rédactions et peuvent susciter des débats et des améliorations dans le traitement de la campagne. Et pour cela, nous vous remercions de votre attachement à nos antennes.

Bruno DENAES.