L’indignation est à la hauteur de l’acte… Le coup de fil du Garde des Sceaux au Directeur des enquêtes et de l’investigation de Radio France a suscité de très nombreuses réactions. Le pouvoir veut-il faire pression sur les journalistes ? En tout cas, les auditeurs qui nous ont écrit n’ont aucune crainte à avoir ; nous continuerons de défendre notre indépendance et la qualité de l’information.

Le journaliste Jacques Monin, qui dirige le service chargé des enquêtes et des investigations pour toutes les rédactions de Radio France, a raconté au micro du médiateur, jeudi sur France Culture, ce coup de fil surréaliste reçu directement de François Bayrou.


Le Garde des Sceaux se plaint de l’enquête que mènent des journalistes de son service sur le financement de salariés du MODEM par l’Assemblée européenne. Et il profère des menaces : le dépôt d’une plainte pour harcèlement. Aussitôt, Jacques Monin rend public cette intervention consternante d’un ministre auprès d’un média.

Cette démarche ministérielle (ainsi que la plainte contre X déposée par le ministère du Travail après un article publié par Libération) va provoquer une impressionnante réaction collective des médias, des syndicats de journalistes et des Sociétés de journalistes (SDJ). Une vingtaine de SDJ vont s’associer pour dénoncer des « signaux extrêmement préoccupants » envoyés par le gouvernement en matière d’ « indépendance des médias » et de « protection des sources ».

« Préserver le grand principe d’indépendance de Radio France » (Mathieu Gallet)

Il en va évidemment de la liberté de pouvoir informer et enquêter sans pressions, sans menaces. C’est ce qu’a déclaré Mathieu Gallet, le PDG de Radio France, aux équipes de notre maison : « J’ai été surpris par cette « démarche » d’un ministre. On peut parler d’attitude déplacée. Un grand principe d’indépendance a toujours animé Radio France tant sur le plan politique qu’économique. Et j’entends bien continuer à le préserver, principalement pour ses salariés qui peuvent ainsi offrir aux auditeurs et aux internautes des informations vérifiées, fiables et de qualité. J’espère que ce malheureux épisode servira d’exemple à ne pas suivre ».

Effet boomerang

Ce « malheureux épisode » permet de répondre à certains auditeurs persuadés que les journalistes, et plus particulièrement ceux du service public, subissent des pressions du gouvernement, de grosses sociétés, du monde financier, etc. A ces remarques, le médiateur avait pris l’habitude de dire : si cela se produisait, les réactions seraient immédiates de la part des journalistes, de leur direction, des syndicats et des SDJ. Eh bien, cela s’est produit et vous avez constaté les réactions.

Pour garantir la démocratie, les journalistes et les médias doivent pouvoir travailler librement. L’intervention de François Bayrou est d’ailleurs étonnante, tant l’effet boomerang est assuré. Mathieu Gallet le confirme en quelque sorte : « Depuis trois ans que j’occupe ce poste [de PDG de Radio France], je n’ai jamais connu la moindre intervention politique. D’ailleurs, j’avais fait savoir que si cela se produisait, je le révélerais immédiatement ».

Le pouvoir n’a aucune autorité

Même si le financement de Radio France est public, notre société est de droit privé et ses salariés n’ont pas le statut de fonctionnaire. Nous ne sommes pas, comme certains se plaisent à continuer de l’affirmer, une « radio d’Etat », mais une radio de service public. Le pouvoir, quel qu’il soit, n’a aucune autorité sur les choix éditoriaux de nos antennes. Une fois encore, aucun journaliste n’accepterait de se voir imposer des consignes politiques ou de se voir interdire d’enquêter sur des sujets « sensibles ».

Paradoxalement, ce coup de fil du Garde des Sceaux montre l’indépendance de Radio France. Des tentatives de pression peuvent toujours s’exercer, mais elles n’arrêtent pas les enquêtes et les reportages de nos rédactions.

 

Bruno DENAES

Médiateur des antennes.