Cher Masque,
D’habitude quasi systématiquement d’accord avec Xavier Leherpeur, son avis sur la Zone d’Intérêt m’interroge. Avons-nous vu le même film ? Je conçois ne pas apprécier le dispositif du film ; mais dénoncer un film « dangereux », pouvant être repris par des courants révisionnistes, c’est être de mauvaise foi. Le film est au contraire terriblement explicite (le son glaçant, les dialogues monstrueux, la fin du film), et c’est tout son propos. L’on aura beau essayer de comportementaliser, rationaliser, ignorer l’horreur, celle-ci finira toujours par déborder.
Je souhaite réagir après avoir entendu X. Leherpeur et Pierre Murat sur ce film:
1) Je ne vois pas en quoi les négationnistes pourraient se réjouir de ce film, si tant est que l’on tienne compte de leur avis (on se fiche de l’avis des cinglés de ce genre !).
Le film est situé, on est à Auschwitz, tout est clair et le contexte une évidence : SS, référence au nazisme, aux « Juifs de l’autre côté du mur », au « rat » tout le vocabulaire et nombre d’images nous placent au cœur de l’horreur non montrée en tant que telle mais bien plus que suggérée. Le cynisme des uns et des autres nazis saute au visage et le travail sonore en atteste aussi comme les cheminées ou autres images glaçantes ; la réunion des dirigeants des camps, la référence à Mathausen ou Sobibor entre autres… Les dernières images sur Auschwitz, lieu de mémoire, attestent encore du souci de l’auteur de référencer cette œuvre ; qui ne comprend pas ???
Des historiens comme J. Chapoutot présentent du film des avis bien plus nuancés d’ailleurs!
2) Loin de n’être qu’une « installation », il s’agit bien d’œuvre de cinéma (mise en scène, choix, angle, sons et musique…). Drôle de vison des critiques !
3) On peut débattre du film, ne pas l’aimer, le détester, encore faut-il rester honnête dans la présentation, ce qui n’est pas le cas avec de telles assertions. Et Glaser ne « va pas au bout » de ses choix ? Ah bon ? sauf que lui–même explique très bien ses choix et ce qu’il s’interdit.
Je défends le film, ne le conseillerais pas à des jeunes (collégiens/ lycéens) mais c’est intense et fort, suscitant malaise et rejet absolu de cette famille ravagée par l’idéologie et enfermée dans la haine. Merci de m’avoir lu, je vous écoute et vous suis ou pas, pas là-dessus messieurs ! (Et accord avec ces dames).
Un auditeur Professeur d’histoire géographie.
J’ai longtemps hésité à voir « La zone d’intérêt ». Par appréhension de souffrir devant l’écran et de raviver mon incompréhension devant la monstruosité de la solution finale. Pour finir, ce qui m’a convaincu, c’est l’avis d’un éminent critique du Masque. Grosso modo, selon lui, l’œuvre de Glazer est dégueulasse car son dispositif, en ne montrant pas l’horreur, fait le jeu des Rassigner, Faurisson, Rivarol et Cie. Il devenait donc urgent pour moi d’en avoir le cœur net. Eh bien, cloué dans mon fauteuil, j’ai vu ce film sidérant. Qui met dans un état de sidération quasi panique. Car, loin d’être occulté, le réel de l’horreur sonorisée en devient SURRÉEL. Tout dans ce film est suggestion, décalage, contraste, humour macabre, antisémitisme ordinaire et omniprésence d’un crime de masse monstrueusement prégnant, présent, évident. Bref, un film immense. Et, très sincèrement, pour en revenir au Masque, j’estime qu’un critique de cinéma professionnel devrait avoir honte pour avoir proféré en public un jugement aussi péremptoire.
Bonjour mon Masque,
Je vous ai écouté hier soir et je bouillais à l’écoute des critiques sur le film « Zone of Interest ».
Comment…vous ne connaissez pas le livre de Robert Merle » La mort est mon métier » ?
Vous ne faites aucune référence à cet ouvrage dans vos critiques. Je pense que sa lecture s’impose pour comprendre le film mais aussi la barbarie, la sauvagerie de ces hommes et de cette période de l’histoire du Monde.
Après la lecture de ce livre j’étais… anéanti devant le niveau de cruauté que l’Homme peut atteindre.
Merci pour vos émissions et à bientôt.
Je ne comprends pas la remarque de Xavier Leherpeur concernant le fait de ne pas montrer les images du camp d’Auschwitz qui selon lui donnerait des arguments aux négationnistes. Croit-il vraiment que le fait de montrer les images du camp dans un film de fiction convaincrait les négationnistes de la véracité de la Shoah ? Si seulement cela suffisait…mais il n’y a vraiment aucune chance !
Aimable Monsieur Leherpeur, qui redoute un effet destructeur de « La Zone d’intérêt » sur la mémoire du nazisme et de la Shoah, voire que le film soit une arme pour de futurs révisionnistes.
Il a échappé à Xavier Leherpeur que « Nuit et brouillard », « Shoah », d’autres films et livres qui ont traité des camps de la mort de la libération à nos jours, pédagogiques, souvent aussi intenses que réalistes, n’ont pas empêché Faurisson, les dérapages de Autant-Lara et Le Pen père, les sorties d’Alain Soral et l’érosion lente de la mémoire collective.
Le parti pris de « La Zone d’intérêt » est de situer le crime absolu des camps à hauteur de crétinerie humaine, et d’incarner le nazisme et l’antisémitisme sous les traits aussi ordinaires que misérables que ceux de Rudolf Höss et de son épouse. En cela, il est à mon sens pédagogique également.
Comment oser dire, comme le fit Xavier Leherpeur à propos de La zone d’intérêt, je cite : » vous ne le montrez pas, donc ça n’a pas existé « , accusant Jonathan Glazer, d’être « dangereux », et de nourrir le révisionnisme. C’est là faire preuve de malhonnêteté intellectuelle envers un cinéaste qui, avec la même justesse que László Nemes dans « Le fils de Saul » (mais là de l’autre côté du mur de la maison des Höss), suggère ce qui ne peut précisément être montré sans attiser les arguments de ceux niant que des êtres humains aient pu faire « ça ». Vous devriez, Monsieur Leherpeur, revoir aussi « Nuit et brouillard » d’Alain Resnais avant de tenir de tels propos sur ce sujet sans plus de précaution. Heureusement, l’intervention d’un connaisseur de l’Histoire dans le public a dit l’essentiel.
L’exemple de Pierre Murat, au sujet de la « dispute » entre le mari et la femme est très révélateur, je trouve, de la dangerosité du film. Scène commune et banale. De fait, le film nous résume une solution finale en cours et invisible entre ce jeu de deux personnes à l’écart de centaines d’autres en cours d’exécution. Jeu du chat et de la souris, d’ailleurs, puisque le mari fuit sa soi-disant responsabilité en allant retrouver sa barque, offerte plus tôt en anniversaire, au bord de l’eau. Gros symbole, s’il en est, des responsables nazis qui ont fui à travers le monde toute responsabilité individuelle. Pour finir, l’un, l’autre ne sont pas montrés de manière médiocre, comme le dit Ariane Allard, au contraire, puisqu’elle réalise un jardin hors du commun et lui, excelle dans l’entreprise pour laquelle il est engagé, l’optimisation industrielle d’un génocide. Pour ces exemples, entre autres, Glazer banalise ce grave moment de l’histoire.
M. Leherpeur : « La zone d’intérêt, un film dangereux car il ne montre rien ». Avez-vous vu Shoah de Lanzmann (il est en replay sur France 2) car là aussi pendant 9h il ne montre rien. Ah si ! le four crématoire qui est d’ailleurs la même image que dans zone d’intérêt. Est-ce que Shoah est un film dangereux aussi ?
Xavier Leherpeur est injuste lorsqu’il reproche au film de Jonathan Glazer d’occulter la Shoah !
L’historien de la Shoah Tal Bruttmann qui vient de publier « Un album d’Auschwitz, comment les nazis ont photographié leurs crimes » a décrypté le film « La Zone d’intérêt » pour Franceinfo : culture. Il défend le parti pris de la fiction de Jonathan Glazer de ne pas montrer les images des victimes mais de donner à voir toute l’horreur à travers sa représentation de la psyché des nazis.
Il rappelle ensuite que l’impact du cinéma reste hélas limité ; que donner à voir au cinéma les images de la solution finale n’empêche pas le retour de l’antisémitisme.
La série Holocauste, réalisée en 1978, a été vue par un Américain sur deux, ce qui est colossale et n’a pas pour autant changé durablement la compréhension ou de connaissance de la shoah…
C’est aussi cela qui me gêne profondément dans le message du film que je trouve simpliste, caricatural et dogmatique lorsque je lis parmi les critiques lues et entendues: « Immense film sur la Shoah, « La zone d’intérêt » déploie même son sujet à des thématiques plus larges, dès lors que l’on voit des ingénieurs vanter les mérites technologiques d’un four crématoire plus performant, ou que l’on assiste à une réunion de chefs des camps de concentration qui ressemble étrangement à une assemblée de chefs d’entreprises contemporaines. » dans le Temps notamment et qui rejoint en cela la vision sectaire de la critique du journal l’Humanité qui titrait en détournant de façon fallacieuse le concept d’Hanna Arendt, en « bourgeoise » banalité du mal. Comme si le capitalisme et la bourgeoisie découlait naturellement de ce qui se produisait dans les camps d’extermination : c’est malsain comme raisonnement et omet de nous interroger sur la continuité de ces camps d’extermination avec l’idéologie communiste par les goulags ou les camps khmers rouges. Il y a pourtant socialisme dans « national-socialisme ».
Cher Masque,
Fidèle auditeur depuis des années, je n’ai jamais cédé à la tentation de vous écrire, d’autres auditeurs le faisant avec humour et talent. Mais l’intervention de Xavier Leherpeur sur « La zone d’intérêt » m’a fait craquer.
Il se trouve que j’ai écouté votre émission en famille juste avant d’aller voir le film. J’avais donc toutes fraîches en mémoire l’indignation de votre critique à propos de ce film à « l’image manquante », « abject », « pain béni pour les révisionnistes », etc. Et voilà qu’au fil de la séance, mon irritation contre M. Leherpeur n’a cessé de croître, au point de pratiquement me gâcher l’émotion qu’aurait dû me procurer ce film magnifique. Il serait fastidieux d’énumérer tous les plans et sons du film qui ne laissent aucune ambiguïté quant à la nature des activités qui se déroulent de l’autre côté du mur de la maison de Rudolf Höss. La jubilation du chef nazi devant le plan des nouvelles chambres à gaz qui vont lui permettre d’atteindre les objectifs fixés par le Führer, la terreur de sa belle-mère devant les flammes rouges qui sortent de la cheminée du camp (dont on devine même l’odeur !), les conversations de sa femme avec ses amies, les jouets macabres de son fil, les bruits d’exécutions sommaires…
Ces « détails » ont pu échapper à l’attention de M. Leherpeur, mais comment a-t-il pu manquer la scène suffocante de la balade du nazi et de ses deux fils sur la rivière, qui se transforme en cauchemar de débris humains ?
Merci pour votre émission et bravo à Rebecca Manzoni pour le relais réussi !
Je ne suis pas du tout d’accord avec la critique de Xavier Leherpeur du film « La zone d’intérêt ». Le film est glaçant de bout en bout. Le camp n’est pas montré mais on ne pense qu’à lui pendant tout le film. C’est là une des grandes forces du film. Par ailleurs, la réalité de la Shoah est montrée au travers notamment de la réunion des commandants de camps, ou encore des images actuelles du musée. J’apprécie beaucoup certaines critiques de M. Leherpeur mais je regrette son goût, dans certains cas, de la posture (le plaisir de prendre le contrepied).
Quand j’ai entendu le commentaire d’Ariane Allard, après avoir vu “La Zone d’intérêt” la veille, j’ai été stupéfaite de constater qu’elle avait eu très exactement les mêmes réactions que moi : perplexité en sortant de la salle, mais avec la certitude que les choses se décanteraient pour moi dans les heures qui suivraient, que je ne pourrais pas dire que j’avais véritablement aimé le film mais qu’il m’avait grandement impressionnée ; je suis maintenant persuadée que c’est un très grand film.
Je n’ai pas trouvé indispensables les scènes en caméra thermique et certains plans me sont d’abord apparus comme des artifices superflus mais ce que Pierre Murat critique, à tort à mon sens, comme ne constituant qu’une installation (l’écran noir accompagné de cette musique sombre au début, l’écran qui devient rouge, les gros plans sur les fleurs etc.), peuvent dans un premier temps apparaître comme des maniérismes irritants mais je pense qu’il s’agit d’illustrer précisément ce que la vie de ces gens avait de totalement artificiel.
Ce n’est pas une vie normale qu’ils mènent : ils passent leur temps à faire semblant d’être normaux, de ne pas savoir qu’on exécute des êtres humains à quelques mètres d’eux alors que la gretchen stupide qu’est la femme de Höss reçoit ses “amies” pour prendre le café. De même les réunions de travail des dignitaires nazis ou la grande réception de la fin : tous ces gens jouent à faire semblant d’être des humains mais tout chez eux est artificiel puisqu’ils sont en réalité des monstres sans aucune humanité. L’artifice des techniques utilisées par Glazer correspond donc très exactement au message qu’il nous adresse : rien ici n’est authentique. Seule est réelle l’atroce souffrance des êtres qu’on torture et qu’on élimine de l’autre côté du mur, mais justement, puisque nous sommes dans un monde totalement artificiel, le spectacle de leur tragédie n’a pas sa place sur l’écran.
J’ai déjà été trop longue sans doute mais je voudrais ajouter que ma semaine de cinéma a été exceptionnelle puisque j’ai également vu ce chef-d’œuvre qu’est May December. Todd Haynes est décidément un très grand bonhomme. Avec mes vœux les meilleurs pour la suite, très bien entamée, de la carrière du Masque.