Lundi 25 janvier, Leïla Slimani était invitée de l’émission « Boomerang » sur France Inter. Interrogée sur la francophonie, elle a déclarée « la France est le seul pays monolingue du monde francophone ». Propos qui a fait réagir les auditeurs.
Qu’en est-il en réalité ? Emmanuelle Daviet a posé la question à Bernard Cerquiglini, Professeur des Universités Recteur honoraire de L’Agence universitaire de la Francophonie, Membre de l’Académie royale de Belgique.
Emmanuelle Daviet : Les auditeurs ne partagent pas l’avis de Leïla Slimani « la France est le seul pays monolingue du monde francophone » estimant que présenter le français comme monolingue c’est méconnaître sa réalité historique, ethnologique, sociale Comprenez-vous leurs réactions ?
Bernard Cerquiglini : Leïla Slimani a de la langue française et de la francophonie une idée juste et généreuse. Cette langue, échappant à la tutelle française, a pris racine partout, donnant de beaux fruits, dans le dialogue avec d’autres langues. Mais il est maladroit d’y joindre un regret que la France soit le seul pays francophone monolingue (Monaco est oublié !). La France est un pays qui s’est donné une organisation politique unitaire, la République, s’exprimant au travers d’une langue officielle ; ce pays, d’autre part, fut pourvu par l’histoire d’un immense patrimoine linguistique, qui le rend singulièrement plurilingue.
E.D : Le français « langue de la République » est le bien de tous, parlé par tous, il n’en demeure pas moins que la France est un des pays d’Europe qui offrent la plus grande diversité linguistique. Combien existe-t-il de langues sur l’ensemble du territoire français, DOM-TOM compris ?
B.C : Ce patrimoine linguistique est si riche et divers que, contraint d’appliquer les critères réducteurs de la Charte de protection des langues régionales et minoritaires, je suis arrivé à 75 langues. Une trentaine dans l’hexagone ; le reste dans le très plurilingue Outre-Mer. C’est dix fois plus que la moyenne des autres pays européens.
E.D : La diversité linguistique a longtemps été passée sous silence. Quelles sont ces langues de France dont l’existence et la spécificité sont reconnues par les spécialistes, mais dont le destin a été compromis par les contingences historiques, l’ignorance, voire les préjugés ?
B.C : Certaines de ces langues sont moribondes, il faut le reconnaître, malgré l’effort de leurs sympathiques défenseurs. Mais je préfère parler de la vigueur de bien des « langues de France ». Sans dresser de palmarès, observons que les créoles, que le corse connaissent toujours une transmission de la mère à l’enfant, que soutenus par l’école et le dynamisme associatif le basque, le breton, l’occitan sont en essor. On voit même d’intéressants renouveaux, tel celui du picard.
E.D : A travers les messages des auditeurs on comprend à quel point ce patrimoine immatériel est essentiel dans leur existence quotidienne. Pensez-vous que ce lien vivant est durable et que les conditions pour qu’il se maintienne sont remplies ?
B.C : Les temps ont changé et ne sont heureusement plus à la répression. La régionalisation nouvelle de la France, la politique de l’Union européenne en faveur du plurilinguisme, les efforts de l’Unesco dans le soutien de la diversité linguistique, les réflexions des linguistes, tout cela a contribué à faire prendre conscience de l’existence d’un patrimoine immatériel, et à en mesurer la valeur existentielle. Les langues ne sont-elles pas notre rapport primordial au monde ? Et pour la grande majorité des humains, ce rapport est pluriel.
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