La loi « sécurité globale »
Police municipale, sécurité privée, « guerre des images » : les députés ont entamé mardi, l’examen d’une batterie de mesures sécuritaires portées par LREM dont l’encadrement controversé de la diffusion de l’image des policiers et gendarmes. La loi « sécurité globale » vise à mieux protéger la police. Au centre de la polémique : l’article 24 qui prévoit un an de prison et 45 000 euros d’amende contre toute personne qui diffuserait le visage ou tout autre élément d’identification d’un policier ou d’un homme en intervention lorsque celle-ci a pour but de porter “atteinte à son intégrité physique ou psychique”. Il ne s’agit pas d’interdire de filmer les agents en opération mais la mesure fait bondir les représentants des journalistes et les défenseurs des libertés publiques, qui fustigent « une grave atteinte » au droit de la presse. Des rapporteurs du conseil des droits de l’Homme de l’ONU ont aussi récemment redouté « des atteintes importantes » aux “libertés fondamentales”.
A cette occasion, Patrice Spinosi, avocat, spécialiste des questions de libertés publiques, était l’invité du Grand entretien de France Inter. Réactions d’auditeurs :
« Merci d’avoir invité Maître Patrice Spinosi !!!! Son éclairage sur les problèmes de la législation actuelle, ses réponses, posées, articulées et accessibles sont un air frais et revigorant dans cette période faite de peur et d’anxiété. Il est brillant, intelligent et humain, c’est si rare dans notre paysage politique voire intellectuel. »
« Vous devriez le programmer tous les jours ! Enfin un discours puissant et intelligent qui fait chaud au cœur. Et oui à force de renforcer la sécurité on perd la liberté, et vous êtes les premiers à la perdre ! Vous verrez si vous aurez encore du boulot avec les prochains gouvernements ! Ayez cela en tête Mesdames et Messieurs les journalistes de Radio France ! »
« Comprenez vous que cet article de loi met la profession de reporter en danger ? »
Jusqu’au milieu de la semaine, des messages d’auditeurs épinglaient le fait que les journalistes ne montent pas suffisamment au créneau.
D’autres messages, reçus à la suite de ce Grand entretien avec Patrice Spinosi évoquaient plus globalement les libertés individuelles :
« Cette loi atteint si gravement les libertés individuelles que l’ONU et la presse internationale épingle la France dans sa dérive sécuritaire avérée. »
La Loi “sécurité globale” va provoquer « une autocensure de la part des journalistes et des citoyens » sur le fait de filmer les policiers, estime l’avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, « il y a un grand danger ici qui est une atteinte à la liberté d’expression ». L’avocat s’inquiète de « la manière dont le texte va être mis en œuvre au quotidien par les forces de police ». Pour Patrice Spinosi, les agents de police et de gendarmerie « vont pouvoir utiliser toutes les armes du droit pénal, c’est-à-dire qu’ils vont pouvoir vous confisquer votre téléphone. Ils vont pouvoir arrêter. Ils vont pouvoir, le cas échéant, vous mettre en garde à vue de façon préventive ».
Patrice Spinosi considère que le fait de filmer les forces de l’ordre dans l’exercice de leur fonction constitue « l’un des moyens les plus efficaces pour pouvoir dénoncer certaines violences policières ». Il prend pour exemple l’affaire Benalla et l’exercice du maintien de l’ordre lors du mouvement des Gilets jaunes, qui a donné lieu à plusieurs centaines de signalements. « Sans vidéo, il n’y aurait jamais eu toutes ces dénonciations », affirme l’avocat dont l’intervention a été très appréciée par les auditeurs.
En contrepoint, mardi matin sur Franceinfo, Stanislas Gaudon, délégué général du syndicat Alliance Police a estimé qu’« iI n’y a aucune atteinte liberticide au droit et à la loi de la presse » et que « l’article 24 ne remet absolument pas en cause le fait de pouvoir filmer les policiers dans le cadre des interventions ». Stanislas Gaudon a également défendu sa position à la mi-journée dans le 13/14 sur France Inter.
L’après-midi, des centaines de personnes se sont rassemblées à l’appel notamment de syndicats de journalistes et associations de défense des droits de l’homme pour protester contre la proposition de loi « sécurité globale » qui empêcherait selon eux les journalistes et citoyens de filmer les forces de l’ordre durant les manifestations. Des échauffourées ont éclaté à proximité de l’Assemblée nationale à la fin du rassemblement. La police a fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogènes pour disperser une centaine de personnes, parmi lesquels figuraient de nombreux jeunes qui ont détruit du mobilier urbain, avant que le calme ne revienne vers 21h30, selon une journaliste de l’AFP. Les forces de l’ordre ont interpellé 33 personnes, ces heurts ont fait « dix blessés légers dont neuf parmi les forces de sécurité intérieure », a indiqué la préfecture de police.
L’affaire n’est évidemment pas restée sans suite. Hier, des syndicats de journalistes, de nombreuses rédactions, dont celles de France Inter et de Franceinfo ont dénoncé dans un texte commun des « atteintes à la liberté d’informer » commises par les forces de l’ordre lors de ce rassemblement organisé mardi à Paris contre la proposition de loi « sécurité globale ».
Ils disent condamner « avec fermeté les violences et menaces à l’encontre de journalistes, commises par des forces de l’ordre à la fin de ce rassemblement pacifique », et notamment le placement en garde à vue d’un journaliste de France 3 Paris-Île de France et d’une photoreporter du média en ligne Taranis News.
En outre, six journalistes reporters d’image ont « été pris pour cible » et plusieurs ont reçu des coups de matraque, écrivent les signataires, mentionnant aussi des incidents rapportés lors de manifestations à Bayonne et Toulouse : « Nous, signataires de ce texte, dénonçons avec fermeté ces agressions honteuses contre la liberté de la presse et plus généralement contre la liberté d’informer le public », écrivent-ils.
Face aux polémiques tous azimuts sur le droit à l’information, l’exécutif a annoncé hier amender la mesure controversée de la proposition de loi « sécurité globale » encadrant l’image des policiers, en y garantissant la liberté d’informer.
Le geste d’apaisement du gouvernement sera-t-il suffisant ? Les débats sur la « guerre des images » rentrent dans le dur aujourd’hui à l’Assemblée, avec l’examen de l’article 24.
Manifestement, le climat se tend. « L’interpellation et la garde à vue d’un journaliste de France 3 a eu un effet retentissant dans toutes les rédactions de France. Ce journaliste identifié d’un média public, grande chaîne de télé, qui ne manifeste pas, qui n’est même pas ici pour soutenir la manifestation mais qui la couvre simplement, ne faisait que son travail », observe Éric Valmir, secrétaire général des rédactions de Radio France, qui poursuit : « à l’initiative du journal Le Monde, les directions des rédactions de Radio France ont donc décidé à l’unanimité de cosigner un communiqué avec d’autres rédactions (presse écrite, web et télé) qui rappelle les grands principes d’indépendance de la presse et indique surtout qu’en aucun cas un journaliste ne s’accréditera pour couvrir une manifestation. »
Voici le texte :
« Nous n’accréditerons pas nos journalistes pour couvrir les manifestations.
Responsables de rédaction, nous nous inquiétons de la volonté du ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, de porter atteinte à la liberté de la presse dans le cadre des manifestations.
La volonté exprimée d’assurer la protection des journalistes revient à encadrer et contrôler leur travail. Ce dispositif s’inscrit dans un contexte particulièrement inquiétant avec la proposition de loi sur la sécurité globale qui prévoit la restriction de la diffusion des images de policiers et de gendarmes.
Les journalistes n’ont pas à se rapprocher de la préfecture de police pour couvrir une manifestation. Il n’y a pas d’accréditation à avoir pour exercer librement notre métier sur la voie publique.
Nous refuserons, pour cette raison, d’accréditer nos journalistes pour couvrir les manifestations.
Nous réaffirmons notre attachement à la loi de 1881 sur la liberté de la presse et serons vigilants pour qu’elle soit préservée »
Signataires: AFP, BFM TV, Le Canard Enchaîné, Charlie hebdo, C News, Courrier International, Europe 1, les rédactions de France Télévisions, le HuffPost, La Croix, La Croix hebdo, La Vie, LCI, Le JDD, Les Echos, L’Express, Le Figaro, Le Figaro Magazine, Le Pélerin, Le Point, Le Monde, Le Parisien/Aujourd’hui en France, Libération, L’Obs, M6, Marianne, Mediapart, Paris Match, Politis, Télérama, les rédactions des antennes de Radio France, RMC, RTL, Slate, TF1, 20 Minutes
De son côté, la Défenseure des droits Claire Hédon a réclamé aujourd’hui « le retrait » de l’article de loi controversé qui prévoit d’interdire de filmer les forces de l’ordre dans un but malveillant, qu’elle juge « inutile » et potentiellement nuisible au contrôle de l’action des policiers et gendarmes.
Si Claire Hédon a reconnu « une avancée », après l’annonce par le gouvernement d’une réécriture de cet article polémique, le texte « l’inquiète toujours ».
La Défenseure des droits s’est également élevée contre les déclarations du ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui a invité les journalistes à prévenir les autorités avant de couvrir une manifestation. Il s’agit d’une « atteinte à la liberté de la presse, absolument, sans aucun doute », a-t-elle martelé.
« Il est important que la presse puisse continuer à faire son travail et jusqu’au bout des manifestations », a-t-elle ajouté, après l’interpellation de plusieurs journalistes mardi à Paris à la fin d’un rassemblement contre la loi « sécurité globale ».
Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes de Radio France