Dans la Lettre hebdomadaire #47, Emmanuelle Daviet répondait aux auditeurs qui écrivaient à propos de l’hypermédiatisation du procès Daval :
Le procès Daval
Trois ans après le meurtre de sa femme Alexia, le procès de Jonathann Daval s’est ouvert, lundi, devant la Cour d’assises de la Haute-Saône pour répondre d’un crime qui avait bouleversé la France. Cet homme a reconnu, après bien des revirements, avoir tué son épouse. Il est accusé de « meurtre sur conjoint » et encourt la réclusion criminelle à perpétuité à l’issue des plaidoiries.
Les auditeurs ont été nombreux à réagir. Sélection de quelques messages :
« Pourquoi parlez-vous de l’affaire Daval ? Un fait divers parmi beaucoup d’autres, et pourtant vous faites de longs reportages, et même parfois l’ouverture des journaux, tous les jours depuis l’ouverture du procès. En quoi est-ce une info importante ? »
« Bonjour, j’écoute Franceinfo quasi en permanence. Il est, pour moi, très pénible, de vous voir traiter aussi largement d’un fait divers comme celui qui se rapporte à l’assassinat d’Alexia Daval. Cette tragédie, qui ne concerne que la famille, est qui devrait être traitée avec une certaine retenue, est, au contraire, portée sur les ondes publiques avec une abondance de détails sur lesquels il est permis de se poser des questions. »
« Mon compagnon et moi ne comprenons pas que nous soyons inondés d’informations sur le procès Jonathann Daval, avec en plus des détails intimes qui ne nous regardent en rien et tendent à considérer les auditeurs comme des voyeurs… Pourquoi ne nous parle-t-on plus du procès sur Charlie Hebdo et l’épicerie Kasher ? Qu’en est-il des poursuites judiciaires concernant l’affaire Paty ? Merci à France Inter de ne pas décider unilatéralement que nous serions « fascinés » par l’affaire Daval, alors que je ne connais personne qui le soit ? »
Rappel des faits
A l’automne 2017, en plein mouvement #MeToo, le meurtre de la « joggeuse » Alexia Daval, une conseillère bancaire de 29 ans, connaît un fort retentissement en France et à l’étranger.
Tout commence le 28 octobre. Ce jour-là, Jonathann Daval se rend à la gendarmerie de la petite commune de Gray, en Haute-Saône, pour signaler la disparition d’Alexia qui tarde, selon lui, à revenir de son footing.
Deux jours plus tard, après d’intenses recherches de la gendarmerie et des habitants du secteur, le corps partiellement calciné de la jeune femme est découvert dans un bois voisin, dissimulé sous des branchages.
L’hypothèse de l’agression d’une joggeuse par un maniaque sexuel inquiète la population puis, très vite, des footings sont organisés en France et jusqu’au Japon et en Australie en hommage à Alexia.
Les jours suivants, le visage baigné de larmes, le trentenaire s’affiche dans les médias, entouré par les parents d’Alexia. Marche blanche, dignité des beaux-parents qui soutiennent le veuf éploré : les images sont marquantes.
Mais en janvier 2018, revirement : Jonathann Daval devient suspect. Placé en garde à vue, il craque et avoue le meurtre de sa femme, survenu selon lui lors d’une violente dispute. Au cours de deux années d’instruction Jonathann Daval livre plusieurs versions, se rétractant, puis accusant son beau-frère, avant de reconnaître de nouveau le meurtre lors d’une audition « intense » devant le juge d’instruction. En juin 2019, lors de la reconstitution, il avoue avoir incendié la dépouille de sa femme.
Malgré ces aveux, plusieurs questions restent en suspens : comment cet homme calme et effacé sans passé judiciaire a-t-il basculé dans le crime et pu rouer de coups puis étrangler son épouse ? Les jurés doivent chercher les réponses dans la personnalité de l’accusé et l’intimité d’un couple apparemment sans histoire mais en réalité parcouru de tensions. L’enjeu, c’est « d’arriver à comprendre ce qui s’est vraiment passé », estime l’un des avocats de Jonathann, Me Randall Schwerdorffer.
De leur côté, les parents d’Alexia martèlent dans les médias leur conviction d’un meurtre « orchestré » par un Jonathann qui n’a pas tout dit. Pointant la présence inexpliquée de médicaments dans le sang d’Alexia, ils suspectent un empoisonnement et entendent reposer la question de la « préméditation » et de la « complicité », pourtant écartée par l’instruction, a prévenu l’un de leurs avocats, Me Gilles-Jean Portejoie.
Pourquoi une telle couverture médiatique ?
Meurtre, mystère, mensonges, manipulations, mise en scène du mari, multiples prises de paroles de la famille, cette mosaïque de procédés propulse l’affaire Daval au rang des faits divers médiatiquement incontournables. Mais plus que le “voyeurisme” évoqué par des auditeurs, les rebondissements, l’imbrication familiale et la dualité manifeste de Jonathann Daval épaississent l’énigme.
Pour Jean-Philippe Deniau, chef du service police justice de France Inter, il y a dans ce fait divers : « des ressorts psychologiques que le procès prend le temps d’examiner. C’est ce que relatent les journalistes, comprendre les mécanismes qui se sont mis en marche, éclairer ce qui paraît incompréhensible. »
Une analyse partagée par Delphine Gotchaux, chef du service police justice de Franceinfo qui constate également que : « tous les articles consacrés à cette affaire sur le site web de Franceinfo sont les plus consultés actuellement. On observait le même phénomène pour « l’affaire Maëlys » avec Nordahl Lelandais. Il y a un intérêt réel des auditeurs et des internautes, probablement du fait de tous ces mensonges et de la manipulation de Jonathann Daval. »
Les deux chefs de service évoquent le même ressort du mensonge à l’œuvre dans « l’affaire Fiona », la fillette, âgée de cinq ans, déclarée perdue le 12 mai 2013 par sa mère à Clermont-Ferrand. Cécile Bourgeon et son compagnon font alors croire à la télévision à un enlèvement, lançant un appel aux ravisseurs, avant d’avouer quatre mois plus tard que Fiona a été battue à mort. Cette affaire a toujours été médiatiquement très suivie, la tenue du quatrième procès est d’ailleurs prévue du 1er au 18 décembre prochain.
Jean-Philippe Deniau rappelle que : « la couverture d’un procès relève d’un choix éditorial. Certains procès sont traités sur l’antenne, d’autres non ». Indiquons qu’une quarantaine de médias sont accrédités pour suivre le procès Daval, dont la préfecture de Haute-Saône, mise à contribution pour l’organisation en pleine épidémie de Covid, a souligné qu’il était “d’une ampleur inédite pour la ville de Vesoul”, preuve supplémentaire de son caractère hors-norme. Verdict du procès samedi en fin de journée.