Dans la Lettre de la médiatrice #19, Emmanuelle Daviet répondait à un auditeur qui s’interrogeait sur « l’existence d’un risque d’instrumentalisation d’un journaliste par un pouvoir politique pour faire « passer des messages » à l’opinion ? » On touche alors au secret des sources du journalisme. Explications à lire ici :
Un auditeur m’écrit : « Plusieurs journaux, dont le magazine « Le Point » et le site « Arrêt sur images », ont fait état de l’information suivante : l’éditorial de M. Graziani du 27.04 sur France Inter, consacrée à l’humeur présidentielle vis à vis du calendrier législatif, serait directement inspiré par un message SMS envoyé par le Président lui-même et à son initiative à M. Graziani – parmi d’autres journalistes. Ne pensez-vous pas que dans de telles circonstances, il existe un risque d’instrumentalisation d’un journaliste par un pouvoir politique qui cherche à faire « passer des messages » à l’opinion ? »
Plus important, comment interpréter la phrase suivante issue de l’éditorial en question : « Le chef de l’État, lui, on l’a compris, est dans une démarche unitaire à tous les niveaux ».
S’agit-il d’une analyse de M. Graziani, qui viendrait bizarrement contredire le reste de l’éditorial, ou bien la transmission d’éléments de langages présidentiels destinés à ne pas trop brusquer le premier ministre. Dans ce cas, est-ce le rôle d’un journaliste de faire apparaitre une parole d’intention comme une vérité ? et est-ce le rôle d’un journaliste de la transmettre sans filtre, en contrepartie d’un scoop présidentiel prélevé à la source ?
Dans votre dernière lettre aux auditeurs vous affirmez que chacun des journalistes de Radio France met en œuvre l’impératif d’indépendance à l’égard de ceux dont ils relatent l’action. « Soyez certains » écrivez-vous sur un mode impératif qui fait écho au « vous l’aurez compris » de M. Graziani. Je vais plutôt l’interpréter comme une demande, une demande de bien vouloir vous croire.
Et je me ferai un plaisir de traiter cette demande dès que j’aurai les réponses aux questions posées dans ce message et par vos confrères sur l’éditorial de M. Graziani. »
Ce message pose des questions légitimes et me donne l’occasion d’apporter un éclairage sur cet épisode.
En préambule, indiquons que lorsqu’un journaliste traite un sujet, a minima il vérifie ses informations et contacte le principal intéressé du sujet en question. Ni les journalistes du journal « Le Point », ni ceux du site « Arrêt sur images » n’ont jugé nécessaire d’appeler Cyril Graziani, fondant leur propos au mieux sur d’hypothétiques déductions, au pire sur des rumeurs.
L’auditeur évoque l’indépendance des journalistes que je défends, il existe également un autre principe intangible dans notre profession c’est la protection des sources.
Dans les faits, le papier du journaliste politique de France Inter n’a pas été rédigé sur la base de sms envoyés par Emmanuel Macron.
Depuis 2012, Cyril Graziani est le journaliste politique de France Inter chargé de suivre l’actualité des présidents de la République au sein de la rédaction. A ce titre, sa mission consiste à raconter, décrypter, analyser les informations relatives à la Présidence. A un tel poste, on tisse au fil des années un maillage relationnel permettant d’avoir des informations de première main.
Le week-end du 25 avril, Cyril Graziani apprend que le président de la République n’apprécie pas la petite musique qui monte concernant de prétendues dissensions avec son Premier ministre. Partant de ce postulat, le journaliste politique cherche à en savoir davantage et entreprend un travail de vérifications, de recoupements auprès de différents interlocuteurs.
A l’issue de plusieurs échanges téléphoniques, il en déduit que dans cette période sensible Emmanuel Macron est plutôt dans une démarche d’unité et veut couper court à ces rumeurs. Il constate la volonté de l’exécutif de réaffirmer la solidité du tandem. C’était la teneur de son papier diffusé le lundi 28 avril dans le journal de 8h de France Inter.
L’auditeur s’étonne de l’une des formules de Cyril Graziani dans son papier : « Le chef de l’État, lui, on l’a compris, est dans une démarche unitaire à tous les niveaux ». Cet étonnement est fondé et, à juste titre, on peut en effet considérer qu’il s’agit d’une éditorialisation qui s’éloigne des éléments factuels en possession du journaliste, ce dernier aurait donc pu s’en abstenir.
Cette interpellation de notre auditeur permet de rappeler que les dynamiques de production de l’information médiatique nécessitent d’être appréhendées avec nuance. Un journaliste qui a des contacts, a des informations. Cela ne signifie pas pour autant être dans la connivence, ni ne révèle, ipso facto, une instrumentalisation. Un journaliste ne se fait pas servir le soir, sur un plateau d’argent, les infos à distiller le lendemain au petit déjeuner à l’antenne ! Parfois des interlocuteurs souhaiteraient que des journalistes, spécialistes dans l’investigation par exemple, sortent des infos mais c’est rare. Et en l’occurrence mieux vaut s’en méfier, puisqu’il peut s’agir d’intermédiaires travaillant par exemple pour des lobbys. Les meilleures informations, sont celles que le journaliste va chercher, « en grattant » pour l’exprimer trivialement.
Au-delà du message de cet auditeur, je reviens sur les différents articles sortis dans la presse au sujet de cette information de Cyril Graziani. En filigrane, on lui reprocherait de n’être pas plus explicite sur ses sources. Son papier aurait gagné en exhaustivité s’il était mentionné « Emmanuel Macron m’a dit que » « le dénommé X un proche conseiller me confirme que… ». Ces omissions seraient constitutives d’une faute ? Ce reproche porte surtout une grave atteinte aux principes mêmes de notre profession. C’est être oublieux de l’une des règles les plus fondamentales du journalisme, à savoir le secret des sources. Ces confrères foulent du pied l’article 2 de la loi sur la liberté de la presse qui précise : « Le secret des sources des journalistes est protégé dans l’exercice de leur mission d’information du public. (…). Est considéré comme une atteinte indirecte au secret des sources (…) le fait de chercher à découvrir les sources d’un journaliste au moyen d’investigations portant sur toute personne qui, en raison de ses relations habituelles avec un journaliste, peut détenir des renseignements permettant d’identifier ces sources. ». Il n’est jamais inutile de se référer aux textes fondateurs de la profession.
J’invite les auteurs de ces articles, la prochaine fois qu’ils consacreront un article au travail de Cyril Graziani, à le contacter directement afin d’avoir sa version des faits. Au-delà d’un comportement correct et loyal, il s’agit d’une règle dont le non-respect peut être sanctionné par le juge et qui consiste à recueillir la position de celui ou celle que l’on met en cause : cela s’appelle le principe du contradictoire.
Emmanuelle Daviet