Des auditeurs s’étonnent des règles des temps de parole lors de cette campagne présidentielle. Une auditrice nous écrit :  » Ces règles de temps de parole ne sont pas justes et vous, journalistes, vous pourriez refuser de les cautionner en refusant de participer à ce style de mascarade. Cette campagne est vraiment décevante à tous points de vue. »

Comme le souligne Jean-Christophe Ogier, adjoint au Secrétaire général de l’information de Radio France, en charge du temps de parole, on a tout à fait le droit de trouver les règles qui régissent le pluralisme politique sur les antennes inutiles, trop sévères ou injustes. Encore faut-il comprendre comment et pourquoi la République s’en est dotée. Pour cela, il faut revenir à l’histoire.

L’article 7 de la Constitution de 1793 stipule que « le droit de manifester sa pensée et ses opinions, soit par la voie de la presse, soit de toute autre manière,… ne peut être interdit. La nécessité d’énoncer ces droits suppose ou la présence ou le souvenir récent du despotisme ».

La presse écrite s’est construite sur ce socle. Nul ne conteste aujourd’hui que tel journal soit de droite et tel autre de gauche. Les seules limites sont celles du droit de la presse, qu’il s’agisse de diffamation ou d’incitation à la haine, par exemple.

Le progrès technologique a fait apparaître la radio en France en 1921, avec les émissions du poste d’Etat de la Tour Eiffel. Les premiers textes régissant la parole qu’on y entend datent, eux, de 1941. En pleine guerre, et sous l’autorité de Philippe Pétain, il n’est pas question d’utiliser les ondes pour autre chose que de donner à écouter la parole du pouvoir. La radio, vecteur de la parole officielle, le restera après la Libération. La radio, c’est la voix de la France.

Il faut attendre 1969 pour voir l’ORTF, seule autorisée à émettre depuis le territoire national, prendre la mesure de l’aspiration au pluralisme que Mai 68 a exacerbée. La règle des trois tiers est gravée dans le marbre : un tiers pour le gouvernement qui a le droit d’expliquer son action, un tiers pour la majorité qui peut dire pourquoi elle la soutient et un tiers pour l’opposition parlementaire qui voit enfin reconnue sa légitimité à exposer ses arguments. Cette règle va perdurer jusqu’à l’an 2000 !

Entretemps, il ne manquera pas de personnalités pour faire remarquer, ici que l’opposition non parlementaire aurait bien le droit de se faire aussi entendre elle aussi, là que le Président de la République peut parler tout son saoul sans que sa parole ne soit relevée. Enfin, quelques partis font valoir qu’ils ne se revendiquent ni de la majorité ni de l’opposition… et qu’ils refusent donc de se voir classer avec l’une ou l’autre. De réflexions législatives en recours devant le Conseil d’Etat, la loi – qui s’appuie toujours sur la Constitution, désormais celle de 1958 – et les règles de l’autorité de contrôle vont évoluer. Nous allons connaître « le principe de référence », puis le « principe de pluralisme », qui sera lui-même adapté. Les partis non représentés au Parlement sont pris en compte, ceux qui ne se revendiquent ni de la majorité ni de l’opposition, aussi. Enfin, après que Charles Pasqua, sous la présidence de François Mitterrand, puis deux députés socialistes, dont François Hollande, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, se furent émus du fait que le chef de l’Etat n’était jamais pris en compte dans le débat national, on en vint à ordonner que l’opposition ne devait plus avoir moins de la moitié du temps de parole du bloc majorité, lequel cumulait les temps du chef de l’Etat quand il s’exprimait dans le cadre du débat national, ceux de ses conseillers, du gouvernement et de la majorité parlementaire.

Pour ce que l’Arcom, l’autorité de régulation qui a remplacé le CSA le 1er janvier dernier, appelle « le pluralisme hors élections », les choses ont encore évolué après les dernières élections législatives. Dans le paysage politique qui en est sorti, au printemps 2017, il n’était plus possible de voir une opposition cohérente. Impossible de mettre dans la même famille le RN, LR, le PS, la France insoumise ou EELV, pour ne pas les citer tous. Désormais donc, plus question de majorité ni d’opposition. L’exécutif – soit le Président quand il s’exprime dans le cadre du débat national, ses conseillers et le gouvernement – doit impérativement bénéficier chaque trimestre d’un tiers du temps de parole politique sur les antennes. A charge pour celles-ci d’offrir à l’ensemble des formations politiques, de l’extrême droite à l’extrême gauche, une part équitable des 66% qui restent, au regard de leur poids dans le paysage – nombre d’élus, groupes parlementaires, etc.

Et maintenant, votons !

Jusqu’à un certain point, ce même principe de l’équité régit les périodes de campagne électorale. Il s’agit alors de regarder ce que pèsent les candidats et les formations qui les soutiennent. Et d’abord leurs résultats aux précédents scrutins. Pour l’élection présidentielle, trois réflexions ont poussé le législateur et le régulateur à modifier ce principe de base. D’abord, en introduisant une période d’égalité absolue entre les candidats dans la dernière ligne droite, afin de renforcer le pluralisme réel d’exposition des programmes des uns et des autres. Il n’y a plus alors de « petits » ou de « gros » candidats. Ensuite, pour tenir compte du fait que les contenus politiques sur une antenne ne se limitent pas aux « temps de parole » des candidats et de leurs soutiens, en prenant en considération les commentaires, éditoriaux, reportages dans ce qu’il est convenu de nommer « les temps d’antenne ». Enfin, parce que ce n’est pas même chose que de parler à la radio le matin, quand la plupart des auditeurs sont à l’écoute, et la nuit, quand presque tout le monde dort… et parce que d’aucuns répartissaient ainsi les candidats de manière injuste, l’autorité de régulation a décidé qu’il fallait désormais découper la journée en tranches et respecter l’équité, puis l’égalité dans chacune d’elles.

Cela oblige les antennes à une gymnastique de programmation particulièrement ardue. D’autant plus que toutes les radios et télés étant concernées, dans un paysage audiovisuel qui n’a cessé de s’élargir ces dernières décennies, il faut convaincre les candidats et leurs soutiens de l’impérative nécessité qu’ils ont à répondre aux sollicitations des uns et des autres. L’affaire est fort complexe. Certaines antennes la jugent impossible à résoudre, notamment dans la dernière période, celle de l’égalité avec exposition comparable – les fameuses tranches : de 6h à 9h, 9h à 18h, 18h à minuit, 0h à 6h – qui s’est ouverte le lundi 28 mars et qui se refermera le vendredi 8 avril à minuit, quand nous entrerons dans la période de réserve où il ne sera plus possible de faire entendre les candidats ni d’exposer leurs programmes, jusqu’à la fermeture des derniers bureaux de vote le dimanche soir.

On le voit, la règle actuelle est le fruit d’une longue évolution dont le but est de garantir sur les antennes audiovisuelles un pluralisme politique qui n’allait pas de soi. Ses limites sont celles d’une démocratie sans doute toujours perfectible et les réelles difficultés pour les radios et télés à la respecter, avec la meilleure volonté du monde. Au point de les obliger parfois, pour ne pas être prises en faute, à lever le pied sur la politique, au moment même où le débat se cristallise dans le pays.

Ajoutons enfin que la loi contraint… et protège. Dans les pays où la règle n’existe pas, les médias doivent parfois asséner une parole unique. Ceux qui se risquent à y contrevenir voient la foudre s’abattre sur leurs collaborateurs. D’autres n’hésitent pas à ne faire entendre qu’une seule opinion, sans recul ni débat, alors même qu’ils dominent la paysage audiovisuel. Ce n’est pas mieux. Pour autant, il est évidemment possible de préférer une lecture libertarienne de la question des temps de parole politique. De penser que seuls les auditeurs et téléspectateurs doivent être juges de ce qu’ils ont envie d’entendre et de voir. Et qu’ils ont toujours, s’ils ne sont pas contents, la possibilité d’éteindre le poste ou de changer de chaîne. Mais n’oublions pas l’histoire, ni le chemin parcouru.

Jean-Christophe Ogier, Adjoint au Secrétaire général de l’information de Radio France