Malgré l'immense admiration que j'ai pour vos émissions, je me demande si le sujet d'aujourd'hui n'était pas trop... récent, tout simplement, pour y consacrer une émission ? Bien sûr, je réalise, en vous écoutant, que j'étais moi-même ce soir-là à la Bastille, que j'ai perdu des amis au Bataclan, et que donc ce fait divers n'est pas un fait divers comme un autre -- comme ceux, historiques, passés, classés, que vous me faites découvrir, suscitant alors en moi plaisir, émotion, envie de se cultiver -- mais au contraire, un fait absurdement réel, insupportable, intolérable, que je me force à oublier... Était-il trop tôt ? ou bien ai-je tout simplement vieilli ? Je ne sais. Mais entendre, là, les balles qui ont tué mon ami en rafales sur France Inter me fait froid dans le dos, alors même que -- devrais-je sans doute en avoir honte, c'est sans doute une illustration de la loi du mort-kilomètre ? -- votre émission de la semaine dernière sur le juge Falcone m'a simplement donné envie de regarder la série Gomorra.
Je ne sais pas quoi en penser, mais je me devais de réagir.

La Médiatrice Radio France vous répond
07/11/2019 - 13:23

Bonjour,

Vous nous avez écrit à propos de l’émission Affaires Sensibles de mardi 5 novembre. Fabrice Drouelle vous répond :

« Dès la fin août 2014, dès le premier numéro d’Affaires Sensibles, j’ai adopté une méthode qui consiste à restreindre au maximum la distance traditionnelle du journaliste avec son sujet, de façon à  entrer dans la peau des personnages de l’histoire que je raconte. Je pense que c’est la méthode la plus efficace  pour garder l’attention de l’auditeur… et son adhésion.

Ainsi, et par exemple, si vous écoutez l’émission de lundi sur les cachets des animateurs de France Télévision dans les années 90, vous entendrez une musique très différente car  ici, comme en politique, le meurtre n’est que symbolique. Le ton est donc plus enjoué, ironique parfois. Lorsqu’il s’agit d’aventures, de sport ou de culture, le ton est celui de l’action, du suspense. Pour les sujets diplomatiques, l’intonation est neutre, parfois froide, au bénéfice de l’analyse, parce que le sujet s’y prête.

J’adapte la musique de mes paroles en fonction de la nature de l’histoire que je raconte et je ne mets jamais de gravité sans raison. Mais mardi, j’ai considéré  qu’on ne pouvait pas parler autrement de l’horreur absolue vécue par les victimes et même les survivants. C’est par respect pour eux que je me suis exprimé de cette façon. Je le fais aussi quand je parle, par exemple, de femmes et d’enfants qu’on laisse se noyer en Méditerranée.

J’assume et je signe.

Quant aux coups de feu qu’on entendait avec insistance pendant l’émission, eux non plus ne sont pas là par hasard et encore moins pour « impressionner ».  Mais quand on dit que l’assaut de la police au Bataclan (moment terriblement éprouvant également pour les otages) a duré  une minute 5 et qu’on a l’enregistrement, il me parait honnête de diffuser l’intégralité de la séquence, telle que les personnes séquestrées par le commando l’ont vécue. Encore une question de respect et de vérité. Les faits sont épouvantables, barbares et sauvages. C’est comme ça et nous n’y pouvons rien.

Enfin, un auditeur se questionne sur le choix du sujet :   « Ces faits étaient peut-être trop frais pour être narrés », dit-il. C’est une remarque intéressante mais le choix de raconter le 13 novembre pour promouvoir également le travail de Sara, sa série documentaire podcast natif,  était aussi une bonne option, me semble-t-il, une logique d’antenne.

Bien cordialement.

Fabrice Drouelle.    »