Je viens d'ecouter l'emission "signes des temps" consacree a l'autrice Fatima Daas.

J'avoue avoir ete troublee par la maniere dont l'autrice a ete 'interrogee' sur son travail, et particulierement sur ses choix narratifs, comme si elle devait se justifier a travers eux de ses choix de vie. Cela donne le sentiment que la nuance et la contradiction - et eventuellement la liberte - ne sont pas des voies ouvertes aux femmes racisees, du moins lorsqu'elles n'ont pas recu l'assentiment de l'elite normative.

La Médiatrice Radio France vous répond
07/09/2020 - 11:31
Bonjour,
Dimanche 30 août, Marc Weitzmann a reçu Fatima Daas dans l’émission « Signes des temps » sur France Culture, à l’occasion de la sortie de son livre « La petite dernière ».
Vous avez réagi à cette interview, Marc Weitzmann vous répond :
« Chers auditeurs,

 
La critique est la rançon du succès. Si elle a donné lieu aux réactions enthousiastes habituelles, la première de Signes des Temps, dans laquelle je recevais Fatima Daas pour son livre « La Petite Dernière », a aussi suscité un certain nombre de courriels de la part d’auditeurs choqués voire franchement outragés.
Les arguments et surtout le vocabulaire employé sont si révélateurs de la confusion actuelle qu’ils ne peuvent rester sans réponse.
Les critiques se concentrent sur deux points : l’un concerne le principe même de l’interview.
Fatima Daas est jeune, d’origine algérienne, elle a grandi en banlieue elle est homosexuelle et musulmane pratiquante. Tout ceci aurait dû me conduire – moi qui suis blanc, français et plus âgé qu’elle – à limiter mon rôle d’interviewer à celui d’accompagnateur de son récit, plutôt que de la questionner sur la structure de son livre, quand je ne comprenais pas ce qu’elle disait ou quand il me semblait que quelque chose manquait dans ses arguments. Autrement dit, j’aurais dû abandonner toute dimension critique. En m’y accrochant, j’aurais fait preuve d’arrogance « patriarcale », « machiste », évidemment raciste, voire carrément coloniale – en fait de nuance, un auditeur va jusqu’à invoquer à mon sujet « La Question », le livre de Henri Alleg dénonçant la torture pendant la guerre d’Algérie. À l’en croire, mon attitude durant cette émission ne serait rien moins que l’équivalent psychologique des tortionnaires de l’armée française…
 
Tout d’abord, depuis quand interroger un écrivain sur ses « choix narratifs » est-il scandaleux ? La première partie de l’émission consiste à demander à Fatima Daas d’expliquer ces choix, de les commenter, ce qu’elle a d’ailleurs pris un certain plaisir à faire. J’aurais fait la même chose avec n’importe qui, indépendamment de son sexe ou de ses origines et j’ai un peu de mal à saisir ce qu’il y a de si gênant à voir une romancière de 24 ans, venue de la banlieue et d’origine algérienne prise au sérieux et traitée en adulte. Que cache au juste ce paternalisme moralisateur, et qui fait réellement preuve d’arrogance ici : moi, ou les âmes si bien intentionnées qui ne tolèrent la parole des « racisées » que lorsqu’on les cantonne à leur rôle de victime ?
 
Chaque fois que j’ai interrompu Fatima Daas par une question, c’était pour lui demander de préciser ce que, pour elle, signifiait le vocabulaire généralisant qu’elle emploie. Un terme tel que « double culture », par exemple, est une formule généralisante, que l’on trouve partout aujourd’hui dans la presse, mais qui ne veut pas nécessairement dire la même chose pour tout le monde. Je n’ai pas cherché à étouffer l’histoire de Fatima Daas mais au contraire à lui faire préciser des choses.
 
En réalité, l’essentiel des critiques concerne le dernier tiers de l’émission consacré à la question algérienne, et dans lequel je marque mon désaccord. C’est le second point. Puisque Fatima Daas n’aborde ni le souvenir de la guerre civile algérienne des années 90, ni celle du voile, ce n’était pas à moi de le faire. Or, non seulement je l’ai fait, mais, en plus, j’aurais « forcé » Fatima Daas à admettre que « vivre en France c’est mieux que vivre en Algérie ». J’aurais mis mes mots dans sa bouche.
 
Sur le voile :  si Fatima Daas n’en parle pas dans son livre, elle aborde en revanche la question de façon très dogmatique dans l’entretien qu’elle a donné aux Inrockuptibles, et auquel je me réfère dans l’émission. Dès lors qu’elle prend position, pourquoi s’interdire de l’interroger ? Cela m’est apparu d’autant plus nécessaire que tout son livre est hanté par l’appartenance à l’Islam et par une forme de nostalgie vis-à-vis de l’Algérie qu’elle n’a pas connue. Si l’on veut vraiment parler de victime, la simple décence vis-à-vis de toutes celles qui se sont fait égorger au nom de la religion que Daas revendique, dans ce pays dont elle a la nostalgie, imposait de l’interroger sur ce non-dit. Cela ne signifie évidemment pas qu’elle aurait du écrire son livre là-dessus. Mais c’est une question, à laquelle elle a répondu ce qu’elle voulait ou pouvait.
 
Lui ai-je fait dire que « la France c’est le Pérou » ? Ce n’est « le Pérou » nulle part. Mais il y a des lieux et des époques ou être Fatima Daas a pour conséquence de se faire tuer, et d’autres où les conflits intérieurs et les impasses sociales aboutissent à des livres.  Ça ne résout rien, mais c’est plus vivable.
 
« Vous avez insisté sur le fait qu’en France, c’est mieux qu’en Algérie car en France une femme musulmane et lesbienne peut s’exprimer dans la presse », me reproche une auditrice, qui ajoute : « et quand on a dit ça on a dit quoi ? » Je suggère à cette dame d’aller poser la question à toutes celles qui ne peuvent pas parler, justement.
 
Bien cordialement,

Marc Weitzmann »