Lettre d’un confiné à sa fille.
Ma chère fille Mégane,
Depuis mon confinement, pour raccourcir le jour, je m’oblige à me coucher trop tard. Mes regards, à travers ma fenêtre vitrée, accompagnent les étoiles. Quand la dernière s’éteint, à l’aube, c’est l'heure d'aller au lit, je ferme mon store, je règle mon vieux radio-réveil en diminuant d'une minute l'heure du lever. Au premier jour, le nombre de minutes je l’ai fixé à 15. Le choix ne fut pas par hasard, il n’est ni secret, ni énigmatique, correspondait tout simplement au nombre de jours du confinement. Sachant que je me réveille bien avant que son alarme ne se déclenche, mon radio-réveil est devenu le compte à rebours à l'envers, journalier, pour connaitre le nombre de jours qui me restent pour sortir de ce confinement. Au matin, la même interrogation inutile : «Quel temps fait-il aujourd'hui ?» Un temps pluvieux et froid ça m’enchante et me réconforte. Dans le silence de la chambre, je commence à prêter beaucoup d’attention aux objets qui m’entourent, je me rends compte qu’ils deviennent des objets vivants, exercent sur moi une réelle fascination et j’éprouve pour eux un attachement, certains me renvoient à mes souvenirs d’enfance. Depuis mon confinement, j’ai retrouvé le plaisir d’écrire, à la main : fini le copier-coller, le couper-coller, le correcteur d'orthographe et de grammaire. Mon stylo bille que j’ai trouvé parmi un fouillis de papiers dans mon tiroir, fera très bien l'affaire. Je l’observe attentivement : un bel objet qui m’a accompagné, longtemps, sur les bancs de l’école et en rentrant à la maison avec sa tâche d’encre sur la poche de mon uniforme scolaire. Mon attestation de déplacement dérogatoire je la trouve, tous les matins, dans ma boîte aux lettres, je ne connais pas la personne qui la distribue. Si je la croisais un jour, je la remercierais, à bonne distance, bien évidemment, sans se serrer la main. Aujourd’hui, le pain frais et croustillant me fait défaut, faire mon pain, maison, à la main me décourage, je me décide d’aller le chercher à la boulangerie. « Finalement le sommeil est de loin la manière la plus rapide de faire passer le temps » Je me dis. Je me décide de copier, à l’identique, mon attestation de déplacement dérogatoire, avec toutes les cases à cocher, sur papier libre, en la transformant en attestation sur l’honneur en cochant la case correspondant au motif de mon déplacement. Que du bonheur : une nouvelle case est apparue, l’heure de sortie aussi. Chercher une baguette de pain, cela me paraît, un peu léger comme motif, pour appuyer mon attestation, écrite à la main, je quitte chez moi avec un grand sac de courses. . L’attente dans la station de l’arrivée du tramway est longue, la voix robotique m'exaspère : des annonces sonores de prévention, de ce virus invisible, précédées par un sonal passent d'une manière rythmée et régulière. Je décide que je ferais mieux d'y aller à pied. Une ville fantôme vidée de ses habitants, seuls quelques véhicules s'aventurent sur une route silencieuse déserte, trottoirs nostalgiques de ses passants confinés. La peur est parfaitement visible se lit sur les façades. Sur le chemin de retour, je passe par un parc embelli par mille et une couleurs: la nature est au rendez-vous avec son printemps, elle s'éveille: tout renaît. Des arbres bourgeonnent, certains fleurissent. Lys, primevères, dahlia, crocus, jonquilles et tulipes parfument et colorent le lieu, parfument et colorent la vie. Je m’allonge dans l’herbe bien verte, je sens sur mes joues la chaude caresse du soleil printanier, j’ouvre bien mes yeux, le ciel est tout bleu au-dessus, un bleu qui inonde tout, je ne vois plus rien d’autre. La nature sera toujours au rendez-vous avec ses propres enfants : les saisons, quant à moi je me sens tout petit et éphémère, comme tout homme, au sein de cet univers immense et éternel qui s’étend à l’infini.