Je vous écris cette lettre, parce que je suis un auditeur assidu et, je crois, relativement exigeant de vos programmes (en particulier Inter, Culture et Fip) et que je me fais une haute idée de ce que doit être le niveau de leur contenu mais aussi de la qualité de langue qui y est employée. En dehors des plages de musique, à la radio, quoi de plus important que la langue? Quoi de plus important, lorsque la parole est le seul lien avec son public que de soigner cette langue, de l’employer avec précision en utilisant ses finesses et ses nuances. Pour cela, il faut en respecter les règles et les usages. Or j’ai remarqué, ces derniers temps, quelques manquements à cette exigence, manquements dont l’exposé partiel est l’objet de ce courrier.

J'entends parler régulièrement pendant le bulletin météorologique des grisailles, au pluriel donc et de leurs allées et venues. Or la grisaille, comme la marmaille ou la piétaille, désigne déjà un ensemble et n’a donc pas besoin d’être mise au pluriel. C'est en quelque sorte un pluriel indivisible et que l'on doit prendre comme un tout. Parlerait-on si l'on avait affaire à plusieurs groupes d'enfants turbulents des marmailles? Ou des piétailles pour un groupe de régiments d'infanterie? Assurément non, car ces groupes se fondraient alors pour former une piétaille ou une marmaille plus nombreuse encore, englobant tout ce monde dans un même tout qui resterait au singulier.

Un problème voisin affecte régulièrement les bulletins d'information, où l'on entend parfois parler d’évènements impliquant 2, 3 ou un quelconque nombre défini de forces de l'ordre. Il me semble que cette utilisation de l’expression "forces de l’ordre” révèle une certaine confusion sur le sens de ce pluriel. L’expression “forces de l'ordre” désigne l’ensemble des institutions de maintien de l'ordre public est n’est donc pas un pluriel dont le singulier serait un membre de ces forces. Car il faut bien parler d’un membre de forces de l’ordre et non pas d’une force de l’ordre pour désigner un CRS, un gendarme ou un officier de police judiciaire. C’est un pluriel qui n’a pas de singulier, tout comme les pouvoirs publics, ses propres forces que l’on veut parfois rassembler, ou ses esprits que l’on peut avoir à retrouver.

Dernier patinage linguistique, que l’on entend un peu partout, ces petits “il” surnuméraires qui viennent se greffer au milieu de phrases qui n’en ont pas besoin. Exemple: “il faudrait savoir ce qu’il se passe”. Il me semble qu’il faudrait plutôt “savoir ce qui se passe”. En revanche on peut dans ces circonstances commencer par se demander légitimement et en bon français “Mais que se passe-t-il”? Une fois le mystère résolu, on peut alors expliquer à autrui qu'il se passe que…”. Il semble que ce petit dérapage soit acceptable puisqu’aucune règle ne s’y oppose et que l’usage est quelque peu hésitant, mais ce qui est en fait erroné c’est de croire qu’il est plus correct de dire “ce qu’il se passe” au lieu de ce qui se passe, comme il est plus correct de dire "qu'est-ce qu’il y a?” au lieu de “qu’est-ce qu'y'a?"

Enfin, je m’interroge sur les raisons de ces quelques petits manquements au bon usage du Français. Ils peuvent sembler anodins et dérisoires mais ils témoignent d’une négligence qui constitue à mon sens une sorte de maltraitance linguistique, qui, à la longue et à force d'accumulation ne peuvent avoir pour conséquence qu’une érosion et un appauvrissement non seulement du langage mais aussi de la pensée même. Les gens de radio s'abreuvent-ils bien aux bonnes sources pour entretenir ce goût du bien parler? Les réseaux sociaux, désormais indispensables pour rester dans le coup n’ont-ils pas trop pris le pas sur la lecture? Or une radio de service publique ne devrait-elle pas rechercher l’exemplarité en ce domaine? Une rubrique et pourquoi pas une émission entière pourrait y être consacrée, dans la continuité et l’esprit du Mot de la Fin du regretté Alain Rey.