Promotion de la prostitution
Bonjour et merci pour vos messages.
Sonia Kronlund, productrice de l’émission Les Pieds sur Terre, ainsi que Sandrine Treiner, directrice de France Culture vous répondent :
« Nous avons pour habitude aux Pieds sur terre de donner la parole à des personnes de la société civile qu’on entend peu, venues de toutes sortes de milieux sociaux et exerçant des activités tout aussi diverses. Notre émission existe depuis 18 ans et a diffusé plus de 6000 reportages. Parmi eux, certains ont en effet donné la parole aux travailleuses et travailleurs du sexe. Il est vrai qu’ils et elles y ont souvent exprimé leur libre choix d’une activité qui n’est pas illégale en France. Mais nous avons également consacré une émission à une esclave sexuelle, victime d’un trafic d’êtres humains, organisé par des réseaux mafieux, (Miranda, prostituée albanaise) ou encore rencontré plusieurs travailleuse du sexe chinoises qui n’exercent pas leur travail de gaieté de cœur, et ont parlé de la dureté de leur condition (Les filles de Belleville). La plupart du temps, les personnes que nous interviewons s’expriment sans commentaire : nous ne les jugeons pas, ni ne nous permettons de dire ou penser à leur place ce qu’il serait bon ou mauvais pour elle (à condition que leur activité ne soit pas susceptible de nuire à autrui ou réprouvée par la loi – et encore avons-nous diffusé des personne racistes, des braqueurs, des trafiquants de drogue, laissant les auditrices et auditeurs se faire leur propre opinion). Nous essayons de nous garder de toute forme de paternalisme ou condamnation morale. Il arrive cependant que les témoignages que nous proposons soient accompagnés d’éléments factuels ou de contexte pour mieux comprendre dans quels cadres les personnes s’expriment. Le reportage sur le Venusia ne dérogeait pas à ces principes auxquels nous nous tenons et qui nous valent longévité et reconnaissance. Vous aurez noté d’ailleurs que j’ai pris, dans mon introduction, des précautions explicites en citant plusieurs livres qui décrivent le travail du sexe dans les « salons » avec des points de vue nuancés voire très critique (voir le livre de Sophie Bouillon, Elles : les prostituées et nous.) Et j’ai encore mis en garde les auditeurs : « oreille sensibles et mineures s’abstenir ».
En Suisse, où la prostitution est légale et encadrée, notre journaliste a rencontré plusieurs femmes qui ont témoigné librement de ce qu’elles vivent et évoqué les difficultés de leur quotidien et de leur condition – dettes, précarité, etc. Dans le respect du principe du contradictoire, elle a sollicité et diffusé le point de vue de trois sources différentes (une travailleuse, une association et un syndicat) qui évoquent avec nuance les limites de la légalisation suisse et en pointent les potentielles dérives, dérives également contextualisées dans l’introduction de l’émission. Il est enfin précisé dans le reportage que la maison close où a eu lieu le tournage a été condamnée par la justice.
Autant d’éléments qui permettront aux auditrices et auditeurs de se faire leur propre opinion sur le sujet, et qui ne constituent en aucun cas une apologie de la prostitution.
Sonia Kronlund – Productrice des Pieds sur terre
Sonia Kronlund, productrice des Pieds sur terre, vous a répondu sur le détail de la démarche de l’émission incriminée. Il va de soi que nous sommes engagés, sur France Culture, pour le respect et la dignité de la personne humaine, sans compter notre mobilisation en faveur de l’ensemble des valeurs qui nous guident au jour le jour parmi lesquelles la question, centrale, des droits des femmes. Je crois que vous savez mon engagement et mes publications de longue date sur le sujet. De ce point de vue, nos vigilances se rejoignent. Néanmoins je profite de cet échange pour vous exprimer mon désaccord sur la manière dont vous liez un reportage et un roman – en l’occurrence celui d’Emma Becker, élu prix du roman des étudiants 2019 par un jury de plus de mille étudiantes et étudiants. La Maison est une œuvre littéraire. A ce titre, si elle s’empare de faits réels, c’est pour les emmener ailleurs, transformés par un imaginaire et un travail artistique. Un roman n’est pas un essai, ni un manifeste, ni un document. Le réduire à une prise de position est une erreur sur le fond à double titre: du point de vue des idées que vous lui prétez, du point de vue de ce que peut la littérature.
Sandrine Treiner – Directrice de France Culture.