Afin de pouvoir éclairer les auditeurs sur les pratiques journalistiques mises en oeuvre pour traiter le dossier de l’hydroxychloroquine, les journalistes santé et spécialistes sciences des antennes, Danielle Messager et Mathieu Vidard de France Inter, Nicolas Martin de France Culture et Solenne Le Hen de Franceinfo répondent ici à trois questions identiques sur cette actualité.

  • Comment traitez-vous le sujet très sensible de l’hydroxychloroquine?
  • Comment rester factuel pour aborder un dossier aussi incertain que celui de l’hydroxychloroquine?
  • Les auditeurs estiment que les journalistes ont choisi leur camp,  » que l’on nage en pleine réflexion unique » ( NDLR: contre les défenseurs de l’hydroxychloroquine). Que leur répondez-vous?

 

Réponse de Danielle Messager (France Inter)

Comment traitez-vous le sujet très sensible de l’hydroxychloroquine?

Le sujet est traité comme tout sujet médical, scientifique, que mon service et moi-même sommes appelés à suivre depuis le début de cette épidémie (et il y en a eu de nombreux) : avec des faits, c’est-à-dire des études et encore des études.
Quand l’immense majorité des études vont dans le même sens, à savoir non seulement le non bénéfice pour les malades de l’hydroxychloroquine, seule, ou associée à des antibiotiques, mais aussi sa toxicité cardiaque, nous relatons des faits.

Comment rester factuel pour aborder un dossier aussi incertain que celui de l’hydroxychloroquine?

Le dossier n’est pas incertain. Encore une fois le dossier est constitué de preuves qui s’accumulaient.
La dernière en date, celle du 22 Mai dans  » The Lancet » est apparue comme majeure, car plus importante en terme de patients suivis (plus de 96 000). Elle n’ a montré aucun bénéfice et mis en avant une surmortalité et un sur risque important d’arythmie ventriculaire.
C’est à la suite de cette étude que le ministère de la Santé a demandé un avis au Haut Conseil de Santé publique. Conclusions : pas d’utilisation d’hydroxychloroquine isolée ou en association avec des antibiotiques pour le Covid-19 chez des patients en ambulatoire ou hospitalisés. Quant aux essais cliniques, il convient de réévaluer cet usage.
A la suite de cet avis, le traitement du Covid-19 avec HC est suspendu en France.

Les auditeurs estiment que les journalistes ont choisi leur camp, « que l’on nage en pleine réflexion unique » ( NDLR: contre les défenseurs de l’hydroxychloroquine). Que leur répondez-vous?

L’OMS a suspendu l’essai clinique dans lequel l’ hydroxychloroquine était utilisée. Comment penser que toutes ces instances, tous ces retours de pharmacovigilances, qui indiquaient une toxicité, se trompent ?
Les journalistes médicaux, scientifiques ne jugent pas une personne, quelle que soit son attitude, ce n’est pas de leur ressort.
En revanche, ils se doivent de relater les faits, étayés par des études du monde entier. Et les faits sont les suivants : l’hydroxychloroquine ne peut pas être utilisée comme traitement du Covid-19 puisque qu’elle ne permet pas aux malades de guérir, de plus elle peut être toxique.

Nous invitons les auditeurs à consulter l’avis du Haut Conseil de santé publique qui reprend toutes les données. Il est consultable ici.


 

Réponse de Mathieu Vidard (France Inter)

Comment traitez-vous le sujet très sensible de l’hydroxychloroquine?

En essayant justement de « désensibiliser » le sujet. Le plus important est de parvenir à sortir de la « passion » qui entoure ce médicament et qui est directement liée à la personnalité de Didier Raoult et des espoirs qu’il a suscités. Poussée par le public et les réseaux sociaux, cette molécule qui n’était qu’une piste parmi des centaines d’autres s’est imposée du jour au lendemain au cœur des discussions en enflammant les réactions.

Il faut tenter de parvenir à replacer l’intérêt réel de l’hydroxychloroquine au milieu des toutes les recherches qui sont menées actuellement en racontant le travail des chercheurs dans des dizaines de laboratoires à travers le monde et en rappelant, sans heurter le public qui soutient Didier Raoult, que la preuve de l’efficacité clinique de l’hydroxychloroquine dans le traitement des patients atteints de COVID-19 n’a pas été établi. 

Comment rester factuel pour aborder un dossier aussi incertain que celui de l’hydroxychloroquine ?

En restant factuel ! En suivant scrupuleusement les études qui se succèdent et qui sont publiées depuis le début de la crise dans les plus grandes revues scientifiques et qui apportent au fil des semaines des précisions sur l’intérêt ou non de la molécule.

Avec l’hydroxychloroquine, on a le sentiment d’être revenu plus de 10 ans en arrière en France à l’époque des controverses sur le climat avec d’un côté le point de vue des climatosceptiques emmenés par Claude Allègre et de l’autre celui d’une très grosse majorité de scientifiques spécialistes du climat pour laquelle la responsabilité des activités humaines dans le réchauffement climatique n’est plus à mettre en doute en raison des études robustes qui se succèdent au fil des années. 

Les auditeurs estiment que les journalistes ont choisi leur camp,  » que l’on nage en pleine réflexion unique » ( NDLR: contre les défenseurs de l’hydroxychloroquine). Que leur répondez-vous?

Il a fallu faire beaucoup de pédagogie auprès du public qui était très divisé sur la question, pour expliquer qu’on ne pouvait pas organiser des débats « pour » ou « contre » en mettant sur le même plan un petit groupe de personnes maniant la désinformation et des climatologues rigoureux qui représentent un certain consensus. La science n’est pas une affaire de croyance. Et même si elle doit rester un lieu de débats contradictoires pour faire avancer les connaissances, concernant cette question du climat, les données sont aujourd’hui suffisamment solides pour que la parole ne soit plus «faussement équilibrée» en permettant aux personnalités qui sont dans le déni de l’urgence climatique de s’exprimer comme si leur parole avait un poids réel sur la question. 

Aujourd’hui l’extrême médiatisation de l’hydroxychloroquine, donne l’impression d’un débat légitime entre les « pour » et les « contres » de la molécule. Mais c’est une erreur. Il n’y a pas de clan à choisir. Si la personnalité du Professeur Didier Raoult a pu séduire une partie du public par son franc parler et par l’espoir qu’il a suscité en affirmant que ce médicament pouvait guérir cette nouvelle maladie ; force est de constater que les études successives sur l’hydroxychloroquine ne lui ont pas donné raison. 

Le plus difficile à admettre pour un public pris dans la peur d’un virus émergent c’est le temps dont a besoin la science pour mener ses recherches même dans un contexte d’urgence sanitaire. Or la précipitation et les conclusions hâtives dans un domaine aussi sensible que celui de la santé publique et du médicament, pourraient entrainer des effets négatifs bien plus dangereux qu’une simple histoire de croyance. Ne doutons pas que tous les chercheurs qui travaillent sur le Covid-19 sont animés du même désir de trouver dans les plus brefs délais un traitement efficace et fiable. Et la rigueur pour y parvenir reste la meilleure méthode à adopter pour garantir la sécurité des malades. 


Réponse de Solenne Le Hen (franceinfo)

Comment traitez-vous le sujet très sensible de l’hydroxychloroquine?

C’est extrêmement délicat, le sujet s’est cristallisé sur la personne du Pr Raoult. Le débat est désormais politisé, il s’est même hystérisé, au point d’être devenu un nouveau duel « OM contre PSG » ou « pro-système contre antisystème ». Sur Franceinfo, nous sommes très vigilants à laisser intervenir sur notre antenne des spécialistes aux points de vue différents,  qu’ils soient « pour » ou « contre » l’utilisation de l’hydroxychloroquine dans le traitement du Covid-19. Mais l’idée est toujours de parler « science », de rester dans un discours médical sans dévier vers une polémique qui serait hors de propos.

Comment rester factuel pour aborder un dossier aussi incertain que celui de l’hydroxychloroquine?

C’est à nous, journalistes Santé, de donner les clés de compréhension pour analyser telle ou telle étude scientifique. Il est certain que le résultat d’une étude sur l’hydroxychloroquine « en ouvert » et comportant 20 patients n’a pas la même légitimité qu’un essai clinique « randomisé en double aveugle » et sur une grande échelle. C’est là où nous intervenons pour expliquer aux auditeurs l’importance ou non d’un résultat, et les biais éventuels.

Je conçois que des Français aient beaucoup d’attente, d’impatience au regard de ce virus pour lequel il n’existe pas officiellement de traitement. De la même façon, il convient, et c’est ce que nous faisons, d’expliquer que le temps scientifique n’est pas le temps médiatique.

Les auditeurs estiment que les journalistes ont choisi leur camp,  » que l’on nage en pleine réflexion unique » ( NDLR: contre les défenseurs de l’hydroxychloroquine). Que leur répondez-vous?

Personnellement, je n’ai pas choisi de camp, car je n’ai pas d’avis sur la question, et en aucun cas je n’ai d’avis personnel à exprimer sur notre antenne. Les défenseurs de l’hydroxychloroquine et du Pr Raoult en particulier ne peuvent pas reprocher à Franceinfo d’être partiale. Ils ont eu régulièrement la parole sur notre antenne. C’est le cas d’ailleurs de plusieurs scientifiques de l’IHU de Marseille. Nous avons également plusieurs fois sollicité le Pr Raoult, mais il n’a, à ce jour, pas encore souhaité nous répondre.


 

Réponse de Nicolas Martin (France Culture)

Comment traitez-vous le sujet très sensible de l’hydroxychloroquine?

Dans ce dossier, la science a fini par céder le pas à la communication et à la politique. Nous avons tâché, tout du long, avec l’équipe de « La méthode scientifique », de revenir à la science, et rien qu’à la science : que disent les études, pourquoi sont-elles critiquées, sur quelle base scientifique, que disent les autres études qui n’aboutissent pas aux mêmes conclusions que celles de l’IHU, quelles sont leurs forces, leurs faiblesses etc. Sortir de l’hystérisation du débat public pour revenir à la source, et à la méthode scientifique, précisément.

Comment rester factuel pour aborder un dossier aussi incertain que celui de l’hydroxychloroquine?

Justement : en restant le plus proche possible de ce que dit la littérature scientifique. Donner des clés aux auditrices et aux auditeurs pour comprendre ce qu’est une étude scientifique, ce qu’est un « gold standard » c’est à dire une étude qui, sur un sujet précis, établit un modèle solide d’efficacité d’un médicament. Réexpliquer, autant que faire se peut, ce que sont les étapes incontournables de validation scientifique d’un protocole, et les raisons pour lesquelles, lorsqu’elles ne sont pas respectées, aucune forme de vérité scientifique incontestable ne peut être établie. C’est ce qui a fait défaut dans ce dossier dès le départ, et laissé place à des querelles d’opinion, au lieu de pouvoir débattre sur le fond de l’efficacité ou non de cette molécule, sur des bases scientifiques.

Les auditeurs estiment que les journalistes ont choisi leur camp,  » que l’on nage en pleine réflexion unique » ( NDLR: contre les défenseurs de l’hydroxychloroquine). Que leur répondez-vous?

Je leur répondrai que c’est tout le problème de ce sujet. Il n’y a pas de « camp » à choisir. Il y a une démarche de validation scientifique qui permet d’attester, ou non, de l’efficacité d’une molécule. Tant que cette démarche n’a pas été respectée, il est impossible de se prononcer, scientifiquement, sauf à tomber dans « l’opinion », au détriment des faits. Or dans ce dossier, pour l’heure, et jusqu’à preuve du contraire, aucune preuve solide, respectant cette méthode, n’a pu être apportée. La science n’est pas une question de « camp », c’est une question de méthode, et de rigueur. Si cette méthode n’est pas respectée, alors on sort du domaine scientifique stricto sensu pour jouer la carte de l’opinion publique, ce qui est, à notre sens, nocif quant à l’image de la recherche auprès du grand public