Sandrine Treiner directrice de France Culture est au micro d’Emmanuelle Daviet pour répondre aux questions des auditeurs

Emmanuelle Daviet : Revenons tout d’abord sur l’émission Répliques d’Alain Finkielkraut consacrée à Annie Ernaux. Beaucoup de réactions : d’un côté des auditeurs indignés: je vous lis des extraits de messages : « Votre émission s’est transformée en une série d’attaques acharnées sur les engagements et les textes d’Annie Ernaux« ,  « Entreprise de démolition contre Annie Ernaux et son prix Nobel de littérature« , « J’ai vraiment été choquée des propos tenus dans cette émission. Traiter un sujet de cette manière relève tout bonnement de la malhonnêteté intellectuelle.  »
Et puis une autre partie d’auditeurs saluent vivement ce numéro de Répliques. Voici des messages : « Votre émission a rendu justice au talent d’auteure d’Annie Ernaux et en revanche a manifesté une grande réserve sur ses engagements », « Je salue cette émission dans laquelle peuvent s’exprimer des pensées divergentes. »
et enfin : « Vous arrivez à rendre hommage à une écrivaine dont vous contestez certaines de ses prises de positions. Je partage complètement ce sentiment. Et si j’ai pris la plume aujourd’hui, c’est parce que je pense que beaucoup d’auditeurs risquent de vous reprocher exactement ce que j’apprécie. »

En effet des auditeurs ont écrit, des articles de presse ont également évoqué le traitement éditorial réservé à Annie Ernaux sur France Culture. 

Sandrine Treiner, quelle appréciation portez-vous sur l’ensemble de ces réactions ? Et comment avez-vous couvert l’actualité du prix Nobel de littérature attribué à Annie Ernaux ?

Sandrine Treiner : D’abord, je voudrais dire que les articles de presse, en tous cas l’article de presse principal, était très partiel dans son expression, puisqu’il mentionnait l’émission d’Alain Finkielkraut mais il oubliait de mentionner ce que nous avons fait dès que le prix Nobel a été décerné.
C’est à dire : Sylvain Bourmeau a reçu Annie Ernaux et certaines chercheuses en sciences sociales, spécialistes de son œuvre, dans « La Suite dans les idées ». Nous avons rediffusé 2h30 d' »A voix nues » consacrées à elle-même et donc à sa voix. Et puis nous avons organisé également en matinale pour le centenaire de la mort de Marcel Proust. Juste pour une grande matinale, Guillaume Erner a fait une très belle interview d’Annie Ernaux. Donc, il y a eu plusieurs émissions, plusieurs voix. France Culture, ce n’est pas une voix. France Culture, c’est, et c’est de ma responsabilité, un équilibre des voix. Mais ce n’est pas une voix. Après, pour répondre sur le fond, dire peut être que d’abord, c’est un prix Nobel qui, de fait, a été l’objet de beaucoup de critiques et d’échanges et de controverses. Et moi le débat ne me pose pas de sujet. Je pense qu’il est sain. De la même façon que la critique, qu’elle soit littéraire ou qu’elle soit politique, me semble fondée dès lors qu’elle est argumentée. Je ne crois pas, du reste que dans Répliques, Alain Finkielkraut et Pierre Assouline aient été mordants à l’encontre de l’œuvre d’Annie Ernaux. Ils ne l’ont pas été. Ils n’étaient pas seuls puisque Raphaëlle Leyris du Monde des livres était là aussi et que je crois qu’elle est en empathie avec Annie Ernaux, avec son œuvre. Donc je crois qu’on a entendu dans les différentes émissions de France Culture ce qui s’est entendu de manière générale, je pense que la politique et la littérature font aussi ménage ensemble qu’ils ne sont pas séparés. Et du reste, Annie Ernaux le revendique comme tel. Elle est elle même porteuse d’une voix, de la voix des femmes, de la voix des transclasses. Et elle prétend précisément, par la littérature, avoir une influence également politique. On peut dire ça comme ça, politique entre guillemets, mais sur la société française. Donc je me réjouis qu’on puisse entendre ce débat là sur l’antenne de France Culture. Et je pense qu’au fond, ce que vous lisez montre que nos auditeurs aussi et que le débat continue et que surtout on continue à lire des livres.

Emmanuelle Daviet : On poursuit avec la Coupe du monde au Qatar : un auditeur écrit : « j’ai vraiment apprécié de ne pas entendre parler de cette compétition sportive. Le choix éditorial de France Culture était le bon et je vous remercie de m’avoir épargné les échos de cette compétition scandaleuse. Malheureusement, alors qu’on s’approche du dénouement de celle-ci, France Culture semble abandonner son engagement de départ et n’échappe plus à ce fol engouement sportif.»

Sandrine Treiner, évoquer l’aspect sportif de cette Coupe du monde est-ce un pas de coté au regard de la ligne éditoriale de votre antenne ?

Sandrine Treiner : Ecoutez Emmanuelle, je crois qu’il n’y a pas de regroupement et qu’il n’y a pas non plus d’engagement. C’est à dire, nous sommes des journalistes à France Culture comme sur les autres antennes du groupe et à ce titre-là, nous, nous ne choisissons pas notre actualité, comme dirait Nathalie Iannetta, la directrice des sports de Radio France. En revanche, ce que l’on choisit, c’est le traitement de cette actualité et le traitement écoutez voilà, il y a deux jours, nous avons consacré une matinale à la question de la corruption du Qatar au Parlement européen, je pense que c’est un grand sujet. Nous avons consacré des émissions aux enjeux éthiques que soulevaient cette Coupe du monde. Nous avons parlé des travailleurs du Qatar, nous avons parlé du système politique du Qatar et après tout, tout ça est quand même très intéressant. Je pense par ailleurs qu’évidemment le sport est un vrai sujet. Nous, on le traite pas pour l’événement sportif qu’il représente. Ça, c’est notre ligne éditoriale. En revanche, si j’ai bien entendu, il y avait avant hier 21 millions de nos citoyens qui regardaient ce match. Donc ça me parait difficile de considérer que ce n’est pas un vrai sujet. C’est évidemment un sujet. On le traite à notre manière, selon la mission journalistique qui est la nôtre.