Comment les sujets traités à l’antenne sont-ils choisis et hiérarchisés ? Florent Guyotat, directeur adjoint de la rédaction, et Estelle Cognacq, directrice de l’agence Radio France sont au micro de la médiatrice de Radio France, Emmanuelle Daviet.

À l’occasion de Medias En Seine, organisé par Radio France et le groupe Les Echos/Le Parisien, opération portes ouvertes sur l’info, ce mercredi 22 novembre. Les journalistes expliquent leurs méthodes de travail en répondant aux questions des auditeurs. La médiatrice de Radio France, Emmanuelle Daviet reçoit toutes les semaines des questions d’auditeurs sur le traitement de l’actualité. Le directeur adjoint et la directrice adjointe de France Info, Florent Guyotat et Estelle Cognacq y répondent.

Emmanuelle Daviet : Il y a une question qui revient très fréquemment : « Qu’est ce qui justifie qu’un sujet soit plus exposé qu’un autre? »

Florent Guyotat : Dans le jargon journalistique, il y a une expression qui revient souvent, c’est celle de la dominante. C’est donc littéralement un événement qui domine dans l’actualité du jour. On va prendre un exemple concret aujourd’hui, ce qui domine clairement, c’est cet accord validé par Israël. On en parle depuis le début de la journée pour un échange entre des otages et des prisonniers, avec à la clé, peut être, si ça se confirme, une trêve. C’est un événement très important depuis le début de la guerre entre le Hamas et Israël le 7 octobre et c’est pour ça qu’on a fait le choix de vous en parler toute la journée. Chaque demi-heure on propose un développement en longueur pour décrypter cette actualité. Mais on est aussi conscient des critiques que l’on entend souvent. On nous dit : « Vous proposez trop de sujets lourds, il n’y a que des mauvaises nouvelles dans l’actualité ou encore une certaine forme de fatigue informationnelle. » C’est pour ça aussi qu’on s’efforce de préserver un certain équilibre. Aujourd’hui, même si on parle beaucoup de cet accord, on parle aussi de la sortie, par exemple, du nouvel album de Gaston Lagaffe en 24 ans. Tout ça pour quoi ? Pour montrer qu’il n’y a tout simplement pas que des mauvaises nouvelles dans la vie, qu’on est conscient de ça, qu’on peut aussi rire à l’antenne. Ça arrive parfois. Même si, je vous le concède, ça n’arrive peut-être pas assez souvent. Et c’est aussi pour ça, par exemple, qu’on s’est fait l’écho en début de semaine de cette greffe de larynx. Une première en France, menée à Lyon. En détaillant cet événement on veut aussi montrer qu’il y a de bonnes nouvelles dont on se fait l’écho.

Comment procédez-vous à la hiérarchie de l’information dans les journaux ? C’est la question d’une auditrice qui souhaite également savoir qui choisit le sujet qui fera l’ouverture du journal.

C’est une discussion tout simplement entre le présentateur du journal de la tranche et de la rédaction en chef. À l’issue de cette discussion, il y a une décision qui est prise et le choix d’ouvrir par tel ou tel sujet.

On peut aussi aborder la conférence de rédaction qui est le centre névralgique d’une rédaction. Combien y a-t-il de conférences de rédaction chaque jour à franceinfo ? Des auditeurs souhaiteraient savoir très concrètement comment ça se passe.

Les conférences de rédaction, il y en a beaucoup chaque jour dans les couloirs de Franceinfo. Il y en a principalement deux, une à 9h15 le matin, l’autre à 15 h. Le principe, c’est le suivant : les différents chefs de service de la station se réunissent avec les rédacteurs en chef. Les chefs de service proposent des sujets dans leur secteur respectif la politique, l’économie, les informations générales, la culture, les sports. Ils disent « voilà ce que l’on peut vous apporter, voilà ce que l’on pourrait développer à l’antenne » et la rédaction en chef tranche en retenant certains sujets et pas d’autres. C’est une discussion tout au long de la journée. Il y a aussi des mini-conférences de rédaction pour chaque tranche de la journée, par exemple pour le 14/17, pour savoir quels sont les sujets que l’on va traiter et quels invités on va retenir à l’antenne.

Les auditeurs se demandent aussi comment et sur quels critères vous vérifiez vos informations. 

Estelle Cognacq : Sur Franceinfo, on a une charte de vérification de l’information assez précise qui a été établie en janvier 2016, au moment où l’on a lancé notre agence interne qui est chargée de centraliser, collecter, certifier l’information. Par exemple, on ne donne aucune information qui n’est pas vérifiée par Franceinfo ou par un média de Radio France. D’ailleurs, on travaille beaucoup avec France Bleu pour faire de la vérification en région. Quand on repère une information d’une agence de presse, une information que nous n’avons pas au préalable, on lance cette machine à vérification. Il faut que la source soit clairement identifiée. La source c’est très important en terme journalistique. C’est la personne qui nous apporte, qui nous confirme une information, il faut qu’elle soit clairement identifiée, qu’elle soit pertinente sur le sujet. Ça, c’est très important : il faut que cette personne ait vraiment les informations.

Cela signifie aussi que vous pouvez prendre du temps pour donner une information, donc que vous pouvez la donner après la concurrence.

On accepte de perdre ce temps. Et je dois dire que dans une chaîne d’info en continu comme Franceinfo, quand on a lancé cette charte et l’agence en 2016, ça n’a pas toujours été facile parce qu’il y a de la concurrence à la fois les autres chaînes d’info en continu en télévision et puis tous les médias, les réseaux sociaux… Et donc prendre ce temps de la vérification, dire qu’on fait notre propre vérification, c’était quelque chose à intégrer. En plus, il y a des sujets, notamment sur les décès de personnalités où là on a des règles encore plus strictes, où il faut vraiment que l’information émane d’une source directe, c’est-à-dire soit de la famille, de l’avocat, de l’agent, d’un porte-parole. Et ça, on doit s’en assurer. Dans ce genre de cas de figure, il y a des fois où l’on a pu mettre longtemps à vérifier. Je me rappelle de la mort de Karl Lagerfeld où on a mis à peu près une heure. Parce que parfois ce n’est pas évident de les vérifier. Du coup on accepte ce temps et c’est vrai que ça peut être un peu partout ailleurs, mais on évite en tout cas des erreurs. Et puis on assume nos erreurs, c’est-à-dire que si jamais on fait une erreur, s’il y a une source qui ne nous donne pas la bonne information, on assumera les nôtres. 

Est-ce que l’agence, selon vous, est de nature à renforcer le lien de confiance avec les auditeurs ?

En tout cas, c’est notre objectif. On sait qu’il y a cette défiance envers les institutions politiques, scientifiques et les médias. On l’a vu avec la crise du Covid, on l’a vu avec les Gilets jaunes. Cette défiance a augmenté donc pour nous c’est important de répondre aux questionnements autour de comment est-ce qu’on travaille, quelles sont nos sources, sur quoi on se base. Il faut qu’on fasse preuve de transparence au maximum comme on le fait aujourd’hui avec cette opération où l’on explique notre conférence de rédaction, nos choix de sujets, ce que sont les fondamentaux du journalisme, la différence aussi entre les médias et ce qu’on trouve sur les réseaux sociaux. Donc je pense que ce travail de certification, de vérification est un de nos objectifs pour restaurer cette confiance.