Guillaume Erner, producteur des Matins de France Culture est au micro d’Emmanuelle Daviet pour répondre aux auditeurs à la suite de son billet « Qui est Charlie Kirk ? » diffusé le 12 septembre
Emmanuelle Daviet : Nous revenons avec vous sur votre billet « Qui est Charlie Kirk? » Après vous avoir écouté vendredi dernier dans la matinale, les auditeurs ont été nombreux à réagir. Tous condamnent fermement le parallèle établi entre les victimes de Charlie Hebdo et Charlie Kirk. Ils estiment que défendre la liberté d’expression ne peut pas signifier mettre sur le même plan des dessinateurs engagés et un influenceur d’extrême droite dont les propos racistes, homophobes, sexistes ou suprémacistes ont alimenté la haine et parfois justifier la violence. Guillaume Erner, quelle était votre intention en choisissant ce titre et ce parallèle entre Charlie Hebdo et Charlie Kirk ?
Guillaume Erner : Alors écoutez, si les réactions sont celles là et je les ai entendus, c’est que je me suis planté. C’était une erreur ce papier et je le regrette. Et d’ailleurs, assez rapidement, on a changé le titre sur le site, mais juste pour vous donner des éléments de contexte comme on dit, Emmanuelle. Moi j’ai écrit depuis que je suis à Radio France 3548 papiers parce que je les numérote chaque jour. Et ces papiers, C’est un exercice compliqué parce que, notamment depuis que je suis à la matinale de France Culture, c’est à dire depuis dix ans, ça s’appelle une « Humeur ». Donc ça n’est pas un édito. Mais je comprends que certaines personnes puissent imaginer que c’est l’opinion de la station. Or, la station, elle n’a pas d’opinion. Donc je dois faire quelque chose qui soit évidemment quelque chose de consistant, puisque parfois on me reproche de ne pas faire de papier sur certains sujets. On a reproché, par exemple de ne pas faire de papier sur le salut nazi d’Elon Musk, mais je ne peux commenter que l’actualité en essayant de trouver des angles. Et cette nuit là, l’actualité, notamment aux Etats-Unis, c’était Charlie Kirk avec des réactions importantes, notamment une réaction de Bernie Sanders et une autre réaction d’un journaliste du New York Times Ezra Klein. Et ces deux hommes disaient la chose suivante en substance, ils disaient Voilà. On était évidemment en désaccord avec les opinions de cet homme, mais aux Etats-Unis, il n’enfreignait pas la loi. Et on pense que l’assassinat politique est non seulement quelque chose qui n’est pas un mode de régulation des débats en démocratie, mais de surcroît une sorte de pente glissante dans laquelle filet l’Amérique. Et c’est finalement l’idée que j’ai essayé de faire passer maladroitement, puisque j’entends les réactions avec un titre qui n’est pas n’importe quel titre Charlie Hebdo. J’ai été journaliste huit ans à Charlie Hebdo juste après l’attentat. J’aurais dû être dans ce canard juste avant. Mais Charb a oublié de m’appeler. Durant les huit années que j’ai passées à Charlie, il n’y a pas eu une semaine. Il n’y a pas eu un mois sans qu’on ait une polémique de ce genre où on était traité de raciste, où on était traité de d’islamophobe. Bref, c’était quelque chose de quasiment récurrent. Avec là aussi des charges extrêmement violentes. Certes, nous ne l’étions pas, évidemment, mais dans l’esprit des gens, nous l’étions. Et la seule chose que je voulais dire, ce n’était pas non pas un parallèle, mais essayer de remettre dans un contexte.
Emmanuelle Daviet : Vous défendez l’idée qu’il faut protéger la liberté d’expression même de ceux avec qui nous sommes en profond désaccord. Mais pour beaucoup d’auditeurs, cela brouille les repères. Jusqu’où peut aller cette liberté d’expression et où situez vous la limite lorsque cette parole incite à la haine ou légitime la violence ?
Guillaume Erner : C’est la raison pour laquelle, comme on se situe dans le contexte américain, j’ai voulu justement, comme on le fait d’ailleurs à France Culture, consacrer un visage de l’actualité à Charlie Kirk. C’est le visage de l’actualité, ce sont les podcasts que l’on fait. Et donc j’ai pris à la fois des gens qui avaient un avis très tranché sur Charlie Kirk pour et contre, et puis deux experts pour essayer de voir justement dans quelle mesure cette question de la liberté d’expression, cette question aussi de mise en contexte, parce que voyez par exemple le débat sur les armes en France paraît complètement baroque, mais aux Etats-Unis, c’est un débat qu’on peut tout à fait avoir. Et des gens qui ne sont pas considérés comme des criminels revendiquent le droit de porter des armes. Et c’est la raison pour laquelle j’ai pensé que c’était très utile de faire ce supplément qui est là aussi une forme de prolongement du billet que j’ai fait.
Emmanuelle Daviet : De nombreux auditeurs dénoncent un contre-sens historique. Je les cite, estimant que les journalistes de Charlie Hebdo ont été tués parce qu’ils exerçaient leur liberté de critiquer. Tandis que Charlie Kirk est mort victime d’un système de violence dont il faisait lui même la promotion. Comment répondez vous à cette critique ?
Guillaume Erner : De toute façon, si vous voulez, quelles que soient les opinions des uns et des autres, la liberté d’expression, ça ne peut pas être la liberté de mon expression. Dans le cas effectivement où il y a des expressions qui font mal, des mots qui tuent, les mots qui tuent et effectivement existent, notamment les appels à la haine. Le mode de régulation classique, c’est le mode judiciaire. Et l’idée donc, qui est sous jacente à la démocratie est qu’on ne peut pas se rendre justice soi même et que donc un assassinat n’est pas un événement que l’on peut essayer de modérer ou d’atténuer. Mais effectivement, j’ai bien lu les mêmes réactions que vous, Emmanuelle Daviet, et je me rends compte que ce parallèle était maladroit a posteriori.
Emmanuelle Daviet : Pensez-vous que votre chronique ait pu donner l’impression que vous défendiez, même indirectement, les idées de Charlie Kirk ?
Guillaume Erner : J’ai l’impression que parmi les différentes maladresses qui peuvent être la conséquence de ce papier, il y a celle-ci. Et c’est la raison pour laquelle j’ai immédiatement changé le titre. Je m’en suis expliqué également et j’ai voulu faire ce visage de l’actu. Ce que je souhaitais faire, c’était beaucoup plus poser des questions qu’apporter des réponses. C’est raté. Je plaide à la fois coupable et je demande l’indulgence pour Le Matinalier qui doit faire un papier chaque jour et qui est parfois sur le fil du rasoir. Le fil du rasoir, ces temps-ci, est de plus en plus acéré Emmanuelle Daviet et il est de plus en plus difficile, surtout dans une station, dans une radio publique, autrement dit une radio qui n’est pas censée avoir des opinions de donner son opinion. Voyez un peu le paradoxe dans lequel on se trouve lorsqu’on doit rédiger une humeur. Ce n’est pas un édito, mais c’est souvent pris comme tel.