Pour répondre aux auditeurs, Sandrine Treiner, la directrice de France Culture est au micro de la médiatrice des antennes, Emmanuelle Daviet

Emmanuelle Daviet : De très nombreux auditeurs nous ont écrit à la suite de l’interview de Jean Pierre Le Goff par Guillaume Erner vendredi dernier.
Extrait d’un message: « Jean-Pierre Legoff nous proposait une approche globale du traitement de l’information en pointant la bulle victimaire dans laquelle patauge le journalisme actuel. Son propos, qu’on le partage ou pas, était riche et illustré. Votre journaliste n’a fait que le couper, l’empêcher de dérouler son argumentation. »
Un autre auditeur résume bien la teneur des messages reçus :  » à quel moment les journalistes vont-ils enfin comprendre qu’on se moque de leurs opinions, qu’ils ne sont pas payés pour nous donner leurs visions du monde, mais plutôt celles des personnes qui sont invité(e)s? »
Sandrine Treiner, comprenez-vous les réactions de vos auditeurs, comment recevez-vous leurs remarques ?

Sandrine Treiner : Alors d’abord, je comprends. Je suis là pour ça. Donc je comprends. Et je comprends aussi que les auditrices et les auditeurs n’aiment pas que sur France-Culture, on coupe la parole aux invités.Sur les grands principes, je comprends et j’approuve. Une fois ceci étant posé, un journaliste, un producteur et une productrice, ce n’est pas quelqu’un qui est juste là pour engager des questions et attendre sagement que l’invité lui réponde. C’est une personne en particulier sur notre antenne qui est là aussi pour interroger, pour contextualiser et pour exercer son esprit critique. Alors parfois, les auditeurs, et je peux très bien le comprendre, confondent cette interrogation avec un esprit critique, avec le fait de donner son opinion. En l’occurrence, si je reprends l’exemple qui a fait réagir les auditeurs, je ne crois pas qu’à aucun moment Guillaume Erner ait donné son opinion. En revanche, son opinion était que le propos de l’invité était insuffisamment clair. Il y avait un certain nombre d’opinions qui étaient évoquées sur les néo féministes, sur la Shoah. Sur des choses au fond assez différentes les unes des autres. Et Guillaume Erner a considéré, et je le comprends, qu’il était important dans une antenne où on privilégie la réflexion, l’expertise à l’opinion, de pousser effectivement, l’inviter à s’expliquer davantage, à préciser sa position, à dire de quel point de vue il parlait.

Emmanuelle Daviet : Alors, si on poursuit cette clarification du rôle de l’intervieweur. Est-ce que vous estimez qu’au cours d’une interview, le journaliste qui pose des questions peut prendre part à l’échange, par exemple donner son point de vue sur le sujet du débat en cours ?

Sandrine Treiner : Évidemment, tout dépend un peu du statut que l’on donne à ce mot de journaliste. Par exemple, quand Alain Finkielkraut ou Jean-Noël Jeanneney font leurs émissions Répliques, Concordance des temps, pour ne pas les citer, je ne crois pas qu’ils fassent œuvre simplement de journalistes. Ils sont aussi des personnalités, des personnalités pour certains, pour l’un d’eux, un historien scientifique engagé aussi dans sa discipline. Et à ce titre-là, évidemment, ils leur arrivent de sortir de leur réserve. Pour d’autres producteurs, ce sera moins le cas. Peut-il prendre part à l’échange ? Je dirais toujours avec ce questionnement critique, oui, du point de vue de l’énoncé de ses opinions. Bien sûr que non, il n’est pas là pour ça, sauf s’il s’agit de rectifier quelque chose de manière importante, de faire respecter la loi ou un point de vue respectant les valeurs de service public qui sont les nôtres. Néanmoins, je pense que vous ne me posez pas la question tout à fait par hasard. Il y a eu effectivement un invité cette semaine qui a pris à partie le matinalier, l’attaquant du reste. Du point de vue, de choses qui avaient été écrites tout à fait ailleurs qu’à France Culture et qui ne concernaient pas l’activité de Guillaume Erner à France Culture. A ce titre-là, il me semble que Guillaume Erner n’avait pas d’autre choix, il en était le premier marri que de sortir de sa posture de matinalier pour répondre à un invité qui, me semble-t-il, le prenait en otage.

Emmanuelle Daviet : France Culture a publié un entretien croisé entre Jean-Marie Le Pen et l’historien de l’extrême droite Nicolas Lebourg. Des auditeurs n’ont pas compris cette interview, estimant que la chaîne faisait le jeu du parti de l’extrême droite. Parmi les messages envoyés on peut lire :
« Je pense qu’il est possible de poser le même débat sans donner autant d’importance à leur parole propre.
Je souhaiterais savoir quel est le sens que vous donnez à ce choix éditorial, en particulier dans le contexte actuel. »

Sandrine Treiner, que répondez vous à ces auditeurs ?

Sandrine Treiner : Je réponds plusieurs choses. Je réponds d’abord qu’il y a une question de pluralisme que je me dois de rappeler aux dernières intentions de vote. Le rassemblement national est crédité, qui ne concerne pas Jean-Marie Le Pen, du reste, est crédité de 47 % des intentions de vote. On peut toujours mettre la poussière sous le tapis. C’est un débat qu’on a depuis trente ans. Il n’en reste pas moins que c’est notre travail de faire entendre également avec le questionnement critique qui va avec, cette parole. Il me semble que cet entretien était extrêmement intéressant. Il s’inscrivait dans un contexte d’actualité qui était le dixième anniversaire de la refondation du Front national, rassemblement national par la fille de Jean-Marie Le Pen, et ce retour éclairé par ailleurs par un historien spécialiste de l’extrême droite par Jean-Marie Le Pen sur la création du Front national. Je crois, était intellectuellement intéressant. Je ne crois pas pour autant que ça. enlève à qui que ce soit le droit, la possibilité d’exercer son esprit critique. Pardon, je sais, on nous déborderont, Olivia Gesbert. Mais c’est vrai que ce sont des questions difficiles et on y répond merci.