Le 13h, grand journal d’information de la mi-journée de France Inter, est écouté par près d’un million et demi d’auditeurs chaque jour. Beaucoup d’auditeurs s’interrogent sur les coulisses de cette tranche. Qui choisit l’info ? Comment une nouvelle arrive à l’antenne ? Au micro d’Emmanuelle Daviet, Bruno Duvic, présentateur du 13h, et Philippe Lefébure, directeur de la rédaction de France Inter.

À France Inter, tout commence à 9h. Chaque matin a lieu la conférence de rédaction. Autour de la table : la direction, les chefs de service, le présentateur du journal, sa rédactrice en chef, le réalisateur et les journalistes qui souhaitent assister à ce que l’on appelle, dans le jargon, la « conf ». En 45 minutes, selon une mécanique très rodée, les sujets à traiter sont proposés, certains rejetés, d’autres retenus, les reporters sont envoyés sur le terrain… fin de séance à dix heures moins le quart. La première mouture du journal est alors connue, mais au cours de la matinée tout peut arriver. L’ordre établi peut donc être totalement bousculé.

Ainsi le 26 septembre dernier à 11h57, Bruno Duvic voit tomber un flash de l’AFP : un flash est le niveau le plus important des dépêches réservé à des nouvelles de très grande envergure. Ce jour-là, l’info tient en sept mots : « Jacques Chirac est mort (famille à l’AFP) ». Deux minutes plus tard, Bruno Duvic est à l’antenne en édition spéciale pendant deux heures.

Le traitement éditorial de l’affaire Griveaux

Il arrive aussi qu’une information tombe au moment même où commence la conférence de rédaction. Ainsi le 14 février, à 9h Benjamin Griveaux, candidat de La République en marche à la mairie de Paris, renonce à l’élection. Bruno Duvic a donc été le premier présentateur de l’antenne à pouvoir accorder une large place à cette information. Le traitement médiatique de cette affaire a d’ailleurs suscité de très nombreux messages d’auditeurs.

Des auditeurs se sont interrogés sur la pertinence même de couvrir cette information. D’autres ont estimé qu’une ampleur trop importante lui était donnée. Dans le 13h du 14 février, la moitié du journal y a été consacrée, et puis ensuite dans d’autres rendez-vous de l’antenne.

Un auditeur écrit : « Vous ne parlez que des municipales à Paris et du retrait de Benjamin Griveaux. Pour vous Paris est le centre du monde pourtant la planète tourne. Il y a aussi sûrement autre chose de très important en France, dans les Dom Tom ou le reste du monde? Pourquoi il y a eu la crise des Gilets jaunes et des territoires perdus de la République ? Parce que pour vous il n’y a que Paris qui compte. » L’affaire Benjamin Griveaux traverse différentes sphères politiques, judiciaires, numériques, médiatiques…
Bruno Duvic comment place-t-on le curseur, en particulier aux toutes premières heures du traitement médiatique ?

Bruno Duvic : L’information venait de tomber, elle était importante. J’avais en tête que, au fond, se jouait déjà une séquence qui allait nous mener vers la campagne présidentielle. Et l’on sait, aujourd’hui, à quel point les campagnes se jouent aussi sur les réseaux sociaux. Et cela méritait cette envergure, car c’est la première fois qu’une vidéo, sur un réseau social, provoque la démission d’un responsable politique.

Vous avez vu à très long terme. Mais où se plaçait la difficulté dans l’immédiat ?

Bruno Duvic : La difficulté est qu’il fallait à la fois être factuel, décrire, et aussi tirer les conséquences générales que ces réseaux sociaux auront sur les élections à venir.

Philippe Lefébure : Il y avait tellement de questions auxquelles répondre. Je ne pense pas qu’on aurait pu faire beaucoup moins. Si l’on s’était mis en édition spéciale, ce qui n’a pas été fait, on nous l’aurait reproché. Sur les 30 minutes habituelles, l’affaire a occupé une quinzaine de minutes. Il me semble que c’est une durée raisonnable. Quand votre auditeur dit que c’est anecdotique, c’est assez dur à comprendre car c’est une affaire majeure, c’est un choc.

On poursuit sur l’aspect descriptif de la vidéo. Le premier message provient de Jean-Louis : « N ‘étant pas du tout sympathisant mais plutôt opposant de la République en marche, je suis cependant scandalisé par la description faite par Bruno Duvic du contenu de la vidéo dans le cadre de l’affaire Benjamin Griveaux.  » Benjamin Griveaux se masturbant…« . L’information rapportant une « vidéo sexuelle » n’était pas suffisante? Vous imposez de ce fait un visionnage mental de cette vidéo dont le contenu n’intéresse personne sinon les voyeurs… Vous tombez au plus bas de l’information « People » … Cela me dégoûte » Danie, une auditrice nous écrit : « Pour moi c’est une non-information, cela n’apporte rien. » Que répondez-vous à ces remarques Bruno Duvic ?

Bruno Duvic : Au départ, j’avais écrit une « vidéo à caractère sexuel ». Puis je me suis demandé ce que cela voulait dire, et ça ne veut rien dire une « vidéo à caractère sexuel ». J’ai donc dit « il était en train de se masturber », il ne s’agissait pas de développer plus, mais il fallait dire de quoi il était question précisément. Au moins les choses sont dites.

Philippe Lefébure : J’ai félicité Bruno, car à ce moment-là, à 13h00, il fallait exactement dire de quoi il s’agissait. Évidemment que nous n’allions pas développer des heures dessus. Mais c’était important de le préciser une fois.

La hiérarchie de l’information

On poursuit avec le message de Marc, qui résume un grand nombre de messages reçus le 14 février dernier : « Vous faites votre Une sur une anecdote complètement risible. Ce n’est pas vrai que la démocratie ou la République sont menacées mais en plus en cette journée d’action dans le milieu hospitalier vous ne parlez pas de cette infirmière de 30 ans qui est morte ce matin poignardée à mort par un fou alors que c’est ça la Une ! Je ne m’étends pas plus mais je suis très en colère. » On aborde ici la question de la hiérarchie de l’information, comment avez-vous procédé au choix ce jour-là ?

Bruno Duvic : Votre auditeur a sans doute raison, a même probablement raison et certainement raison. Il aurait fallu y faire mention. De mémoire, car cela date de quelques jours, nous n’avions pas confirmation de cette information. Celle de l’infirmière. Car comment cela se passe la plupart du temps ? Il y a une dépêche d’Agence de presse, qui dit cela, qui donne une information et nous nous la vérifions. Et il me semble qu’on n’avait pas la vérification, ça c’est le petit un.

Philippe Lefébure : Pour abonder dans le sens de Bruno, j’ai vérifié la chronologie : effectivement les faits arrivent à Thouars et l’infirmière va mourir à l’hôpital le soir, c’est confirmé très tardivement par les journaux locaux. Et le temps que ça remonte effectivement à nous, on n’a pas la certitude le matin, en conférence, qu’il s’était passé exactement ce que certains journaux racontent. On n’a pas la vérification et peut-être qu’on met trop de temps à le faire. Il y aura de toute façon après un papier dans la locale qui évoquera quand même cette actualité dans la journée, mais pas précisément à 13h.

Bruno Duvic : Le matin, il avait été beaucoup question de l’hôpital. C’est encore une fois deux choses différentes, il y a un événement qui surgit et qui parle d’un hôpital psychiatrique, à Thouars également. Par ailleurs, il faut regarder le traitement que l’on fait sur la journée. Je sais que c’est pas facile car quand on écoute le 13h et qu’on n’entend pas, on dit il n’y a pas. Oui, mais peut-être qu’il y a eu le matin très développé et que le soir on le fera. L’actualité internationale je ne la traite pas par exemple : car si Fabienne Sintès me dit : « Je vais faire 15 minutes sur ça le soir », je ne fais pas.

Des auditeurs ont été choqués que la parole ait été donnée à Piotr Pavlenski dans le zoom de la rédaction lundi matin. On rappelle si c’est nécessaire que c’est cet artiste et activiste russe qui a mis en ligne les vidéos intimes de Benjamin Griveaux. Beaucoup d’auditeurs ne comprennent pas ce choix éditorial, quel éclairage pouvez-vous leur apporter, Philippe Lefébure ?

Philippe Lefébure : Je suis journaliste, je tends donc le micro à tout le monde. Et la première chose est de recueillir la parole. C’est ce que nous avons fait, dimanche durant trois heures à Radio France. Puis nous avons choisi des extraits, que nous avons encadrés dans le zoom à 7h15 par notre journaliste spécialiste de police-justice, Sophie Parmentier.

L’édition spéciale après la mort de Jacques Chirac

Lors de la disparition de Jacques Chirac, deux minutes après l’annonce de cette nouvelle vous étiez à l’antenne Bruno Duvic avec le démarrage d’une édition spéciale de deux heures. Ce qui avait été prévu ce jour-là, en conférence de rédaction à 9h, a été totalement balayé. Nous allons revenir aux principes d’une édition spéciale mais avant cela j’aimerais que l’on explique la fabrique du journal de 13h, dans sa version classique, quotidienne.

Tout commence lors de la conférence de rédaction qui est le centre névralgique d’une rédaction. En tous cas, c’est un moment très important puisque c’est là que tout ou presque se décide. Il y a 4 conférences chaque jour à France Inter.


Comment se passe une conférence de rédaction ?

Philippe Lefébure : C’est la rencontre des spécialistes et des généralistes de la rédaction. Les spécialistes nous apportent leurs informations : il faudrait traiter ceci ou cela… Et puis les généralistes, le rédacteur en chef, le présentateur et la direction, disent comment le traiter, qui inviter pour décrypter… Cela se passe en 45 minutes.

Bruno Duvic : Vous dites que la journée commence à 9h00, mais en fait cela commence beaucoup plus tôt, à 7h ou même avant. Il faut que j’écoute toutes les radios, lise tous les journaux et regarde toutes les télés. J’ai deux heures de préparation pour faire tout cela. Nous sommes tous en perfusion d’info pendant ce temps-là et depuis notre réveil. C’est un vrai moment d’intelligence collective, en tous cas, dans le choix des sujets.

Qu’est-ce qu’une fausse ouverture ?

Bruno Duvic : Une fausse ouverture c’est une ouverture qui présente une information un peu décalée, que l’on s’est gardée sous le coude, et qui n’est pas cruciale mais qui permet d’accueillir les auditeurs…

Un auditeur nous écrit : « Le présentateur commence immanquablement son journal par la formule : « Vous avez le programme c’est parti ». Que je sache son journal n’est pas un spectacle », « ni une émission de variétés » ajoute un autre auditeur. Que leur répondez-vous ?

Bruno Duvic : J’utilise cette formule car c’est une manière de dire que l’on va passer un long moment ensemble. Je trouve ça convivial, amusant, un peu vivant. Quand on se permet une formule un peu comme celle-là, quand on personnalise, il y a toujours un risque d’agacer. Mais on peut s’amuser, si quelqu’un a des suggestions, on peut faire un concours auprès des auditeurs.

Quel souvenir gardez-vous de l’édition spéciale de Jacques Chirac ?

Bruno Duvic : Honnêtement il faut dire que les éléments de micro, les sons, tout était prêt. Et puis, aussi, c’est une machine qui se met en place : je n’ai pas beaucoup de mérite à avoir été deux heures à l’antenne, étant donné que toute la rédaction était mobilisée. D’autant plus quand, comme ce jour-là, j’ai quelqu’un dans le casque qui me glisse le déroulé et la démarche à suivre. Et la force de frappe, le carnet de France Inter, c’est rassurant.

Philippe Lefébure : Bruno a dit que tout était prêt, mais enfin rien ne s’est passé comme c’était prévu. Cela s’est fait en avançant

Il faut signaler aussi la réactivité des auditeurs ce 26 septembre 2019. Très rapidement, ils nous ont écrit en début d’après-midi pour dire que France Inter ne parlait plus du tout de ce qui se passait à l’usine Lubrizol à Rouen, où un incendie s’était déclaré quelques heures auparavant dans la nuit. Dès que j’ai reçu tous vos messages, qui constituent pour nous une alerte, Philippe Lefébure vous en avez été aussitôt destinataire. Quelle a été alors votre réaction ?

Philippe Lefébure : L’incendie venait d’arriver, les conséquences n’étaient pas encore survenues. Mais on a immédiatement rajouté des reportages de notre envoyée spéciale, Mathilde Dehimi, à Rouen.