Franck Mathevon, directeur de la rédaction internationale de Radio France est au micro d’Emmanuelle Daviet pour répondre aux questions des auditeurs


Emmanuelle Daviet : Le procureur de la Cour pénale internationale Karim Khan a annoncé lundi avoir réclamé des mandats d’arrêt contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et le ministre de la Défense, Yoav Gallant, pour les crimes suivants : « le fait d’affamer délibérément des civils », « homicide intentionnel » et « extermination et/ou meurtre » en lien avec l’opération israélienne à Gaza.
Le procureur de la CPI a aussi demandé des mandats contre trois hauts responsables du Hamas (Ismaïl Haniyeh, Mohammed Deif et Yahya Sinouar) pour notamment « l’extermination », « le viol et d’autres formes de violence sexuelle » et « la prise d’otages en tant que crime de guerre » liés à l’attaque du mouvement islamiste le 7 octobre en Israël.
Comment avez-vous équilibré la couverture des annonces de Karim Khan concernant les mandats d’arrêt contre les responsables israéliens et ceux du Hamas ? demandent les auditeurs.

Franck Mathevon : D’abord, il faut souligner que c’est une information très importante. Il y a 124 États qui ont adhéré au Statut de Rome et qui sont donc membres de la Cour pénale internationale. Quand de telles décisions émanent d’une juridiction comme la CPI, ça prend forcément de la place dans nos journaux. On sait par ailleurs que c’est une annonce controversée. Deux dirigeants israéliens, vous l’avez dit, sont visés par le procureur Karim Khan. Et la manière dont les choses ont été présentées peut suggérer que les accusations qui pourraient être portées, pourraient à l’encontre des dirigeants israéliens, sont les mêmes que celles visant les dirigeants du Hamas. Karim Khan a fait son annonce, faut le préciser au même moment, lundi dernier, en quelques minutes. Quelques précisions à ce sujet. D’abord, à ce stade, ce n’est qu’une demande du procureur. Donc on a bien précisé sur Franceinfo qu’un panel de trois juges devait maintenant trancher sur les missions des mandats d’arrêt. Ensuite, on a bien précisé aussi que les dirigeants d’Israël et du Hamas n’étaient pas accusés des mêmes crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Plusieurs pays d’ailleurs, dont la France, ont rappelé qu’il n’y avait pas d’équivalence entre Israël et le Hamas. Et puis, dernier point, Emmanuelle, c’est une évidence, mais je le rappelle parce que c’est valable pour toutes les actualités et ça l’est d’autant plus quand c’est un sujet particulièrement sensible. On donne à l’antenne tous les points de vue, toutes les opinions, on donne la source, on est précis sur les citations, on cite les alliés d’Israël comme les Etats-Unis, mais aussi ses rivaux comme l’Iran ou ceux qui ont une relation plus complexe avec Israël, les pays arabes par exemple. L’objectif est de livrer un récit le plus factuel possible, je dirais sans être partisan. En fait, on essaie de donner des clés pour comprendre.

Emmanuelle Daviet : Précisement, quels experts avez-vous interrogé pour fournir du contexte, une analyse approfondie de cette situation et les enjeux réelles de ces annonces de la CPI ?

Franck Mathevon : C’est très bien que vous posiez cette question parce que l’un des moyens justement d’équilibrer la couverture d’un événement comme celui-ci, c’est précisément de donner la parole à des experts, à des spécialistes du dossier. La justice internationale, vous le savez, c’est un sujet très complexe. Les arguments juridiques sont denses. Le fonctionnement de la CPI n’est pas simple à appréhender. Je vous donne un exemple. Une des questions est de savoir si la CPI est compétente pour juger Israël qui n’a pas ratifié, je vous le rappelle, le Statut de Rome. Donc oui, répondent les juristes, car la Cour peut juger les crimes sur le territoire d’un Etat partie au Statut de Rome. Et c’est le cas de la Palestine. Oui, mais la Palestine n’est pas un Etat reconnu par tous. Donc vous voyez bien l’engrenage et la complexité de ce genre de question. Donc on a besoin d’experts pour nous aider à y voir clair. On a invité plusieurs juristes sur Franceinfo, je ne vais pas citer tous leurs noms et on a aussi invité des personnes qui critiquent le procureur Karim Kahn, la CPI et d’autres qui se félicitent d’une telle annonce. Ce qui compte, c’est de savoir d’où les gens parlent, qui ils sont et il faut veiller ensuite à ce que notre couverture soit globalement impartiale à certains moments, avec certains invités, c’est sûr, une opinion va être mieux représentée. Mais notre objectif est que le bilan général de la couverture soit équilibré.

Emmanuelle Daviet : Des auditeurs regrettent que dans certains flashs d’informations ou lors de la présentation des titres, le journaliste indique que la CPI a émis des mandats d’arrêt contre Netanyahou et des dirigeants du Hamas, sans nommer ces derniers. Certains auditeurs estiment qu’il s’agit de désinformation. Que leur répondez-vous ?

Franck Mathevon : Encore une fois, on ne peut pas être exhaustif. Il peut arriver qu’à certains moments, on mette l’accent sur une partie d’une information. L’essentiel, c’est qu’on ne déforme pas la nature de cette information. Donc si on dit que le procureur de la CPI a requis un mandat d’arrêt contre des dirigeants d’Israël et du Hamas et qu’on cite Benyamin Netanyahou, à mon sens, on ne commet pas d’erreur. De fait, le Premier ministre israélien est le plus connu des individus visés et c’est la première fois que le dirigeant d’un pays qui est considéré comme démocratique peut faire l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI. C’est quand même la principale information à retenir. Maintenant, je sais qu’à certains moments, tous les dirigeants concernés, vous l’avez fait d’ailleurs au début de notre entretien, qu’ils soient d’Israël ou du Hamas, ont été cités. Voilà, soyez sûr, pour conclure qu’il n’y a aucun choix partisan dans la présentation d’une information comme celle-ci.