Le magazine interne de Radio France a consacré un article à la médiatrice. Objectif : montrer les coulisses d’un service dont le rôle est de renforcer le lien de confiance avec les publics en intensifiant le dialogue entre les chaînes et leurs auditeurs. « Chaque message d’auditeur est lu, sans exception »
« Nous sommes la seule instance qui offre aux auditeurs un accès aux journalistes, producteurs et directions des antennes », précise d’emblée Emmanuelle Daviet. Un service à part qui s’explique par le rôle et les missions de la médiatrice de Radio France : répondre aux auditeurs et leur expliquer les lignes et partis pris éditoriaux de nos antennes. Synthétiser les tendances qui se dégagent et les transmettre aux rédactions et responsables des chaînes. Des missions qui n’ont cessé de s’étoffer depuis la création du poste de médiateur des antennes en 2002. Et le fait remarquable est qu’aujourd’hui, le rôle de la médiatrice à Radio France a pris une dimension sans équivalent dans l’univers médiatique français. « Notre positionnement est tout à fait unique. Il est à nul autre pareil en termes d’exposition, de volume, de réponses apportées, de réactivité », explique l’ancienne chef du service Société à la rédaction de France Inter. Un chiffre le prouve : 164 310 messages ont été traités en 2018-2019, soit plus de 800 messages par jour. En comparaison, le médiateur de France Télévisions traite environ 20 000 messages de téléspectateurs par an.
« Une boucle vertueuse »
« Tout ce qui arrive est lu et traité. Chaque message d’auditeur est pris en compte, sans exception. Pas question de passer à côté d’un mail sensible ou d’une alerte », insiste la médiatrice, qui s’appuie sur le travail de ses deux collaboratrices, pour rédiger une note quotidienne sur les sujets qui font réagir les auditeurs à destination des directions des chaînes et des rédactions. Des messages des auditeurs sont publiés sur le site de la médiatrice, qui répond en ligne à certains d’entre eux. « Pas à tous, malheureusement c’est impossible. En réalité, je juge parfois préférable de contacter directement des auditeurs mécontents. Je leur propose un rendez-vous téléphonique. Ils sont très étonnés par cette démarche inhabituelle mais il faut bousculer les codes. Et ils approuvent ! C’est efficace et fructueux », explique Emmanuelle Daviet, qui a aussi occupé précédemment les fonctions de déléguée à l’Éducation et aux Médias, à la Diversité et à l’Égalité des chances pour France Inter.
« J’apprécie ce contact direct, l’argumentation de chacun fait avancer l’échange et la compréhension mutuelle. C’est un dialogue où la diplomatie reste de mise. Les auditeurs sont extrêmement sensibles à la prise en compte des remarques qu’ils formulent, ils se sentent considérés. Nous avons ainsi créé une boucle vertueuse : plus on répond, plus ça suscite de messages », ajoute-t-elle. « Ce service centralise désormais tous les mails adressés aux antennes, je dispose donc d’une vision totale et omnisciente. Je sais précisément ce que les auditeurs pensent de chaque station, des journalistes et des producteurs, ce qui permet d’apporter à ces messages des réponses éditorialisées », indique Emmanuelle Daviet. Des réponses qui passent aussi par des rendez-vous antennes réguliers. La médiatrice intervient chaque samedi sur franceinfo, deux fois par mois, le jeudi, sur France Culture et chaque dernier vendredi du mois sur France Inter.
Élément essentiel du dispositif, le site web mediatrice.radiofrance.fr a enregistré une hausse des visites de + 69 % en un an. Les auditeurs adressent leur message ou lisent les courriels des autres auditeurs (pages les plus lues). C’est sur ce site également qu’ils réécoutent les rendez-vous de la médiatrice sur les antennes ou consultent sa Lettre hebdomadaire sur les thèmes qui font le plus réagir les auditeurs au cours de la semaine écoulée. Lettre plébiscitée par les auditeurs : « Je l’interprète comme une preuve d’un lien vivant entre les équipes de Radio France et ses auditeurs », dixit l’un d’entre eux. Depuis la fin juin 2019, le site de la médiatrice est également doté d’un assistant conversationnel. Athéna a été conçu pour répondre aux questions techniques : problèmes de réception, fréquence hertzienne, internet, l’écoute en podcast, etc. Autre nouveauté sur le site : des vidéos avec des journalistes et des producteurs de Radio France. « Nous ne sommes que des voix. Or, il y a actuellement un besoin d’incarnation et ces vidéos permettent aux auditeurs de découvrir différemment le travail des journalistes et des producteurs », explique Emmanuelle Daviet.
Enfin, le site de la médiatrice propose un nouvel espace d’expression « les Débats de l’actu » : « À mon arrivée, j’ai constaté que nos auditeurs nous livraient leur avis sur un fait d’actualité sans qu’il s’agisse pour autant du traitement éditorial qui en était fait sur les antennes. Il y avait là des témoignages réellement intéressants, qui pouvaient éveiller la curiosité ou nourrir le travail des rédactions. J’ai souhaité les partager plutôt que d’en être l’unique destinataire », indique Emmanuelle Daviet. Pour une exposition maximale, le service de la médiatrice a développé une présence tous azimuts sur les réseaux sociaux : Twitter, Facebook, Instagram, Dailymotion, LinkedIn : « Nous sommes 100 % numérique tout en conservant les fondamentaux de la relation avec les auditeurs à savoir l’écoute attentive, le dialogue et le contact », dit Emmanuelle Daviet.
« J’ai un rôle d’équilibriste »
Avec plus de 164 000 messages reçus par an, le service de la médiatrice constitue une instance stratégique pour identifier les tendances. « Pour un sociologue qui voudrait étudier la façon dont l’actualité et les médias sont perçus par les Français, c’est une mine », estime la créatrice d’« InterClass’ », le programme citoyen d’éducation aux médias de France Inter. Le travail de synthèse et d’analyse de ces messages est destiné en premier lieu aux rendez-vous hebdomadaires de la médiatrice avec les directrices et directeurs des rédactions des chaînes, et à sa réunion, chaque vendredi, avec Laurence Bloch, la directrice de France Inter (86 % des messages reçus concernent sa chaîne).
Exemple significatif : la crise des Gilets jaunes. « Pendant des semaines, les auditeurs nous ont reproché de donner trop d’importance à ce mouvement. Ils ne comprenaient pas la colère des Gilets jaunes et reprochaient aux antennes de Radio France de ne pas donner la parole aux millions de Français silencieux qui désapprouvaient », raconte Emmanuelle Daviet. « Mon rôle n’est pas de juger si ces messages sont légitimes. En tant que journaliste, je comprends mes collègues des rédactions de Radio France qui défendent leur travail sur la crise des Gilets jaunes », dit la médiatrice. « Mon rôle est de relayer ces messages auprès des journalistes afin qu’ils soient entendus. Ce que j’ai fait et, en réponse à cette vague de messages critiques, nous avons traité le sujet pendant plusieurs semaines dans les rendez-vous de la médiatrice à l’antenne », ajoute-t-elle. « C’est une autre manière de faire du journalisme, par la pédagogie. À nous d’inventer de nouvelles formes d’interactions pour faire comprendre notre profession et nos méthodes de travail. C’est impératif dans ce contexte de défiance à l’égard des médias, ce rejet doit réellement nous mobiliser pour agir. On ne peut pas continuer à exercer notre métier sans s’interroger et contrecarrer cette crise de confiance. L’autocritique et l’humilité sont des forces et lorsqu’on sait les mettre en œuvre, elles deviennent des atouts », ajoute-t-elle.
« J’ai un rôle d’équilibriste, ce n’est pas toujours simple d’être la messagère. Quand une note revient trop souvent et qu’une musique discordante s’installe, j’alerte », poursuit-elle. Les auditeurs ne se contentent pas de formuler des critiques, ils expriment aussi des attentes. Une information précieuse pour les chaînes. « Il y a un an, nous recevions de nombreux messages nous demandant pour quelles raisons il n’y avait pas plus d’émissions consacrées à l’environnement sur nos antennes. J’en ai fait part aux responsables des chaînes. Est-ce que ça a joué ? En tout cas, j’observe que, depuis la rentrée, il y a de nouveaux rendez-vous sur l’environnement à l’antenne », indique Emmanuelle Daviet. Les auditeurs de Radio France sont exigeants. « Ils ont une écoute attentive et clairvoyante ». « Récemment, nous avons reçu de nombreux messages nous reprochant de diffuser des publicités pour les voitures. Les auditeurs ne comprennent pas que nous puissions d’un côté proposer davantage de programmes consacrés au changement climatique et de l’autre faire la promotion de véhicules émetteurs de CO2 », explique-t-elle. « Les auditeurs paient la redevance audiovisuelle. Ils se sentent un peu propriétaires de Radio France », poursuit Emmanuelle Daviet. « Ils ont une exigence de qualité et de cohérence qu’on ne peut pas décevoir. Ce serait vécu par les auditeurs comme une trahison, leur attente à l’égard du service public audiovisuel est immense. Il y a beaucoup d’affect et je constate réellement chaque jour ce lien indéfectible, presque viscéral, entre l’auditeur et sa radio », conclut la médiatrice.