L’utilisation du terme « afro-américain » sur les antennes, pour qualifier les personnes noires aux États-Unis, soulève des remarques d’auditeurs. Nous publions une sélection de leurs messages ci-dessous.
Pap Ndiaye, historien et professeur des universités à Sciences Po Paris, spécialiste des États-Unis, répond aux questions d’Emmanuelle Daviet, médiatrice des antennes de Radio France.
Pour aborder le sujet il paraissait nécessaire de croiser les analyses. Trois chercheurs ont donc été sollicités entre le mardi 2 juin et le jeudi 4 juin. Nous remercions Pap Ndiaye d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Les deux autres chercheuses, spécialistes des Etats-Unis, pour des raisons d’agenda et de sollicitions multiples, n’ont pu participer à cette interview croisée, l’une d’elle nous indiquant : « Je n’ai pas le temps de faire ce travail rigoureusement dans le temps imparti », travail nécessitant « rigueur et de vérification des éléments ». Il était important de porter ces éléments à votre connaissance.
Quelle est l’origine du terme « afro-américain » ?
Le terme prend son essor dans les années 1970, Malcom X l’utilisait déjà fréquemment dans les années 1960. Il existait déjà au début du 20e siècle, mais le terme était alors rare. Il décline dans les années 1990.
Le terme « afro-américain » est très courant en France pour désigner les Noirs américains. Aux Etats-Unis, on parle plutôt, aujourd’hui, de « Africains-Américains » ou, classiquement, de « Black Americans ».
Ces termes ne sont aucunement péjoratifs, et ils sont généralement utilisés par les premiers concernés eux-mêmes. Il y a eu un mouvement de fierté noire important depuis les années 1960, qui fait qu’être noir n’est pas considéré comme une tare morale ou une difformité physique qu’il s’agirait de cacher… Vous savez, les Noirs n’ont pas honte de l’être, à condition de ne pas être considérés seulement comme tels.
Utiliser ce terme est-ce stigmatisant aux Etats-Unis ? En France ?
Pourquoi parle-t-on de ces personnes comme afro-américaines, africaines-américaines ou noires ? Tout simplement parce que si cette caractéristique était omise, on ne comprendrait rien à la situation : en l’occurrence un homme noir qui se fait tuer par un policier, à Minneapolis (et ailleurs dans le passé). Comment comprendre un féminicide si on ne dit pas que la victime est une femme ? Une violence homophobe si on cache que la victime est homosexuelle ? Un crime antisémite si on ne dit rien sur l’identité juive de la victime ? Bref, il faut bien nommer pour comprendre, ce qui ne veut pas dire que les personnes ne seraient que cela (noires, femmes, homos, juives…)
Cela n’est pas stigmatisant. Le vocabulaire stigmatisant (« Nigger », « nègre ») a été depuis longtemps banni, et il fait l’objet d’une forte réprobation.
Donc cette caractéristique de la couleur de peau est essentielle pour les événements actuels. S’il s’agissait de parler des visiteurs d’une exposition, par exemple, cette caractéristique mélanique n’aurait pas d’importance (a priori). Mais on parle ici de violences raciales, qui sont fondées sur un fait, c’est qu’il y a des gens qui sont vus comme noirs.
Des auditeurs suggèrent d’employer le terme » euro-américain ». Ce terme est-il recevable ? Peut-il être considéré comme un équivalent ? Quelle appréciation portez-vous sur cette suggestion ?
Cela n’aurait pas de sens, car si on parle des Afro-Américains, c’est pour souligner une caractéristique qui a de l’importance dans la situation actuelle. Ce n’est pas une manie un peu suspecte, c’est un élément essentiel d’analyse.
S’il y avait un meurtre d’un Irlando-Américain par une personne violemment raciste contre les Irlandais, il faudrait en effet mentionner que la victime est Irlando-américaine. Mais ce n’est jamais le cas à ma connaissance.
Si on parlait de George Floyd comme d’un simple « Américain », on ne comprendrait pas l’un des facteurs essentiels des violences policières : elles touchent en très grande majorité des Noirs.
Pas des Américains pris au hasard, non, des Noirs. Alors il faut bien appeler un chat un chat. Aux Etats-Unis, les Noirs se font tuer par la police dans des proportions sans commune mesure avec les autres groupes, en particulier les Américains blancs (2,5 fois plus).
Quel terme est-il préférable d’utiliser : « noir-américain », « afro-américain » ? Avez-vous une préconisation à faire aux journalistes ?
Noir Américain, Afro Américain, Africain Américain, c’est comme vous voulez, tout cela est acceptable.
Le terme afro-américain n’est pas péjoratif. Comme nous l’indiquions, Malcom X l’employait volontiers pour souligner l’origine des Noirs d’Amérique, lui qui avait une vision panafricaine de la lutte des Noirs. Être afro-américain, ce n’est pas être américain à moitié, pas plus que les Italo-Américains, les Irlando-Américains, etc. seraient des Américains à moitié. Au contraire, il s’agit de souligner, dans une perspective multiculturelle, qu’on peut être américain et en même temps fier d’avoir des origines de telle ou telle région du monde.
Un auditeur écrit : « Nous (ma femme et moi) sommes scandalisés que la journaliste qui a traité le sujet des émeutes à Minneapolis ait parlé d’un « noir ». Pour nous, il s’agit d’abord d’un homme. » Quelles réflexions vous inspire cette remarque ?
Si on ne mentionne pas la couleur de peau, on ne comprend pas la situation. George Floyd n’est pas mort parce qu’il avait un tee-shirt gris, ou des baskets blanches. Ou qu’il venait de Houston. Ou qu’il aimait la pizza. Il est mort parce qu’il était noir. C’est cela qui devrait scandaliser les auditeurs, pas le fait que la journaliste parle d’un Noir.
Pensez-vous que le mouvement qui traverse les Etats-Unis a porté la foule mardi soir à Paris avec 20 000 personnes réunies à la mémoire d’Adama Traoré ? Quels sont les liens à établir entre ces évènements ?
Très clairement oui. Il n’y a jamais eu autant de monde en mémoire de Adama Traoré, et pour demander justice. L’écho des manifestations américaines se fait sentir dans le monde entier, y compris en France, et pose des questions sur la situation de notre pays. Ce n’est pas la même chose qu’aux Etats-Unis, mais la question des violences policières n’est pas qu’américaine. Elle est aussi française, canadienne, australienne, brésilienne, pour nommer quelques pays où il y a eu des manifestations importantes ces derniers jours.