J’enseigne à la Sorbonne et pour trouver la juste inspiration je me suis installé dans la salle des professeurs au-dessus de la cour de La Sorbonne.
J’aime cette vue, elle plonge vers La Chapelle, guidée par les illustres statues, rebondit sur le pavé et tourne, comme un cercle infini de la pensée.
Ce soir en rentrant, je regarde les nouvelles et j’aperçois cette image familière de la Cour de La Sorbonne, transformée en salle de réception à ciel ouvert. Accompagné par une de mes musiques préférées, un cercueil la traverse.
La compassion pour ce camarade sans vie se mélange à l’effroi de retrouver ce cadre si familier, mon symbole, mon rêve.
L’endroit est juste, pour marquer ce moment irréel, cet abime vertigineux sans fond.
Les pierres magiques qui l’entourent, ce paquebot de notre pensée semble vaciller devant l’absurde, le néant qui marque cette disparition de notre camarade.
L’espace, l’histoire, l’esprit semblent faire front, rendre digne, comme ces soldats courageux qui portent en rythme un homme, une vie, une lutte, un symbole.
Le courage de ceux qui prennent la parole impressionne. Les mots sont justes et l’émotion semble adoucir ou recouvrir ce précipice.
Mais notre cœur saigne, trop de douleur et trop de peine chez le marin qui pleure et qui saigne.
A tous mes profs qui m’ont appris à écrire, lire, réfléchir, comparer, dialoguer, questionner, respecter, douter, comprendre. Ils et elles n’ont jamais prétendus détenir la vérité mais m’ont apporté des connaissances, donné l’envie d’être curieux, suggéré de ne pas croire tout ce qui peut être asséné mais toujours se questionner. Tout ceci c’est le terreau sur lequel j’ai pu grandir et essayer de m’émanciper. Merci pour m’avoir appris à lire et à écrire, compter, dessiner, chanter, danser. Merci pour m’avoir appris à écrire à la plume avec des pleins et déliés et fait découvrir le développement du haricot et le magnifique mot « Cotylédon » qui me fascine toujours aujourd’hui. Merci de m’avoir fait découvrir l’autonomie chère à Frenet. J’ai, à ce moment, eu le sentiment de découvrir par moi-même, avec une fiche de lecture, Konrad Lorentz, et toute ma vie j’ai eu envie de suivre la piste de ce biologiste Merci de m’avoir montré toute la richesse invisible mais vivante d’un bocal d’eau récupéré dans la rivière toute proche. Merci de m’avoir fait gouter au Turon, Montecao, Polvorones et autres douceurs espagnoles et appris à faire le difficile R à rouler et la jota du fond de gorge. Merci pour les cours de Biologie où, pour la première fois, on nous a parlé de sexualité, de reproduction et de contraception en 4 -ème, et pour nous avoir appris aussi que la surface d’un liquide au repos est toujours un plan horizontal contrairement à ce que nous dessinions. Merci pour m’avoir appris la rigueur de la réflexion en mathématiques et la précision du vocabulaire, seule à même de nous permettre de faire une démonstration. Merci en physique-chimie, de m’avoir permis d’appréhender l’infiniment petit et l’infiniment grand. Comprendre aussi que ce que nous voyons n’était parfois qu’une belle illusion d’optique et que la réalité est parfois toute autre. De m’avoir fait faire des expériences qui nous montraient ce que nous ne pouvions pas voir mais qui se reproduisaient immanquablement en respectant le protocole. Merci de m’avoir transmis l’amour des mots, des phrases, de la pensée, de la poésie…de Molière à Rabelais en passant par Voltaire, Montesquieu, Zola, Verlaine, Stendhal et bien d’autres. Nous avoir aussi montré que des mots et des phrases peuvent libérer ou tuer. Nous avoir fait découvrir le théâtre. Merci de nous avoir appris l’existence du nouveau roman. Merci pour m’avoir fait découvrir Velasquez, Goya, El greco, Picasso, Miro, Garcia Lorca, Antonio Machado,… en même temps que l’histoire, la géographie et la culture de l’Espagne et de l’Amérique latine, tout en nous enseignant la grammaire et les conjugaisons. De nous avoir parlé d’Almodovar en 1983. Merci de m’avoir appris l’anglais pour comprendre les paroles des chansons de Jimmy Somerville, si libératrices pour moi. Merci pour les cours d’histoire et géographie qui nous ont appris à prendre du recul et comprendre que certains pouvaient avoir besoin de manipuler les faits historiques pour leur propre compte. Qu’il fallait toujours se demander ce qu’il y avait derrière une photographie, une carte, un schéma, une affiche ou des affirmations soi-disant indiscutables. Merci pour nous avoir fait découvrir et danser le Flamenco en cours d’espagnol. Merci pour nous avoir fait tout le cours de géologie au programme de première en nous emmenant en voyage sur la chaîne des volcans d’Auvergne. Merci pour l’apprentissage de la rigueur et de la réflexion scientifique, afin d’être capable d’émettre une hypothèse et de la confirmer ou de l’infirmer par une démarche raisonnable. Merci à mes profs de philo qui nous ont appris le questionnement et qu’il y avait toujours des avis contraires et des pensées différentes, des réponses toujours discutables et discutées encore aujourd’hui. Merci à toutes et tous de m’avoir permis de comprendre que l’être humain, la vie et la nature sont complexes et qu’on ne saurait établir une soi-disant normalité qui n’existe que dans les yeux aveugles des obscurantismes. Encore aujourd’hui je peux enrichir ce terreau fertile grâce à eux et à tous ceux qui m’entourent et qui doutent, se questionnent sur le monde et la société et qui ne croient pas qu’il y ait UNE vérité, révélée ou non, mais des questions et des remises en causes perpétuelles. Nous n’aurons jamais fini de nous surprendre à apprendre sur les autres, à apprendre des autres. Les fanatismes, religieux ou autres, enferment l’homme et la femme, ils voilent les esprits pour mieux contrôler les corps et ils voilent les corps pour mieux contrôler les esprits. Enfin merci à tous les autres enseignants, éducateurs, formateurs pour qui l’Éducation, c’est celle qui libère les femmes et les hommes, et leur permet de vivre leur propre vie et non une vie décidée et prévue à leur place par leurs parents, leurs familles, leur conjoint, les curés, les imams, les pasteurs, les rabbins, les bonzes ou tous les directeurs et directrices de conscience autoproclamés. Tout mon propos est d’une banalité affligeante mais j’avais besoin de l’écrire.
J’ai lancé autour de moi cet appel:
« De nouveau, des « hommages »? des « minutes de silence » ? Des « marches blanches » ? Des nouvelles lois ? Sans doute. Mais avec quelle portée ?
Si j’étais dramaturge, ou prof, a fortiori les deux, je ferais un « document « , exposé, pièce de théâtre, vidéo, court métrage, qui s’intitulerait « la leçon de Samuel ». Il reproduirait, au plus fidèle, le cours pendant lequel furent présentées les images « blasphémiques » . Grâce au témoignage des élèves présents, avec le concours de profs, et l’avis des autorités de l’Education nationale. 1/2 heure, pas plus.
Et ce document serait proposé pour diffusion dans tous les établissements d’enseignement de France, et dans toutes les classes.
L’Europe n’est pas sortie de la barbarie médiévale par des minutes de silence, des hommages etc. Mais par le Verbe, de la raison et sa diffusion dans les lieux les plus reculés, y compris au cœur des institutions religieuses.
Si vous voyez quelqu’un prêt à s’y lancer, merci de me le signaler.
Qu’en dites vous ? Seriez vous partant ?
Ce jour, votre journaliste, annonçant quelques titres du journal de 12h30 a fait référence à « l’hommage du président Macron » à l’enseignant assassiné Samuel Paty. C’est faux, il s’agissait de l’hommage DE LA NATION à travers la personne du Président de la République. M.Macron n’effectue pas une démarche personnelle mais en tant que représentant de la République. Les raccourcis et la personnalisation ont la vie dure, mais il faut être rigoureux et précis sur les mots que l’on utilise car ils sont porteurs de sens (et de faux-sens). En revanche, ce sont bien les politiques pratiquées par M. Macron et d’autres avant lui qui ont abouti à la situation présente et permis aux islamistes de miner notre démocratie jugement personnel certes, mais que l’on peut étayer factuellement) !
Monsieur le Professeur d’Histoire, vous ne souhaitiez pas « faire d’histoire », juste nous apprendre celle-ci, maintenant vous en faites partie ! Hommage à vous Samuel Paty.