Emmanuelle Daviet reçoit Clément Viktorovitch, politologue et chroniqueur qui anime la Chronique « Entre les lignes » sur Franceinfo et où tous les jours, il décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l’actualité.
Emmanuelle Daviet : On commence avec le compliment d’une auditrice qui vous remercie pour votre chronique : « C’est intelligent et passionnant, écrit-elle. Ça nous permet d’apprendre à décrypter le langage des politiciens et autres orateurs. Je pense que votre chronique pourrait être utilisée par des professeurs de lycée pour enseigner aux élèves à lire entre les lignes. » Clément Viktorovitch, quel est l’objectif de vos analyses des discours politiques ?
Clément Viktorovitch : Déjà, merci beaucoup. Je suis très flatté de ce compliment. La première chose, c’est bien évidemment de lire à travers en effet les discours politiques. Parce que nous sommes en pleine campagne électorale, nous sommes, les uns et les autres bombardés de discours de la part des dirigeants, or, ces discours ne sont pas transparents. Ils peuvent comprendre des manigances, des petites fourberies, des manipulations même parfois, jouer sur nos émotions et jouer sur la tromperie. Et donc, pour que nous puissions nous forger le jugement le plus éclairé possible à ce moment crucial de notre vie politique. Nous devons lire entre les lignes des discours et puis, par ailleurs, ça donne aussi quelques clés pour décrypter la rhétorique au quotidien, parce que nous en faisons toutes et tous de la rhétorique. Et donc, on a besoin aussi de savoir quand se laisser convaincre ou pas par nos proches et par nos collègues.
Emmanuelle Daviet : Un auditeur estime que vous faites de la politique dans votre chronique. Je le cite : « Au prétexte de lire Entre les lignes, votre chroniqueur porte un jugement personnel sans avis contradictoire. » Clément Viktorovitch, selon le point de vue duquel on se place, peut-on faire dire ce que l’on veut à un propos politique à travers son analyse et faire finalement de la politique à travers la sémantique ?
Clément Viktorovitch : Oui, c’est vrai que c’est une critique que j’entends souvent. Moi, vous savez, j’applique une grille d’analyse et de lecture, qui est une grille universitaire qui est la rhétorique et d’ailleurs cette grille, je ne la garde pas cachée pour moi. Je l’ai rendu totalement public dans un livre : « Le pouvoir rhétorique ». Donc, tout le monde peut prendre ce livre et constater que mes analyses sont des analyses qui reposent sur des outils. Je ne fais pas dire ce que je veux à des discours, je prends appui sur un matériau qui existe, et vous savez, j’ai l’habitude de lire quand je décode un discours de Jean-Luc Mélenchon que je serais devenu macroniste. Quand je décode un discours d’Emmanuel Macron, je lis que je serai devenu mélenchoniste. Et quand je décode un discours de Marine Le Pen, je lis que je serai devenu islamo-gauchiste. Tant que je suis critiqué par tout le monde, je pense que je fais bien mon travail.
Emmanuelle Daviet : Autre remarque d’un auditeur, je vous lis son message : « J’écoute régulièrement Franceinfo, une radio que j’apprécie et je souhaite néanmoins protester contre la chronique de Clément Viktorovitch sur le « wokisme ». Il s’agit normalement d’une chronique sur les techniques rhétoriques. Or, sur le « wokisme », son intervention s’est apparentée à un discours partisan, très biaisée en faveur du « wokisme », assimilé à un simple mouvement de défense des personnes subissant des discriminations. Opinion qu’il est en droit d’avoir, mais qui ne doit pas être présentée comme une évidence dans le cadre d’un exposé de rhétorique. Vos auditeurs ne méritent pas ce traitement politiquement orienté sous prétexte d’objectivité scientifique. » Que répondez-vous à cet auditeur ?
Clément Viktorovitch : Ecoutez, moi, je réponds que je suis un universitaire, donc j’ai été regardé et je n’ai pas vu de colloque scientifique en sciences politiques, en anthropologie, en sociologie. Je n’ai pas vu de colloque scientifique sur le « wokisme ». Je n’ai pas vu de publications dans des revues à comité de lecture qui analyserait l’idéologie « woke », il n’y a pas de corpus idéologique. Donc ce que j’ai dit, j’en ai produit cette analyse, j’ai dit que c’était un mot valise, un mot disqualifiant pour englober l’ensemble de ses adversaires, comme l’est d’ailleurs « islamo-gauchisme », un mot dont le CNRS lui-même a dit qu’il n’avait pas de contenu scientifique. Mais on pourrait ajouter un autre mot qu’on entend beaucoup, c’est le mot de « fascisme », ou plutôt de « facho ». Alors, bien sûr, le fascisme, c’est une idéologie politique.
Emmanuelle Daviet : Ce n’est pas nouveau ce mot.
Clément Viktorovitch : Ce mot qui a un ancrage historique, c’est un mot différent. Mais c’est vrai que dans une partie du champ politique, on est prompte à qualifier ses adversaires de « facho ». Et là, c’est pareil. C’est ce qu’on appelle un mot épouvantail. Là encore, tout ce que je me contente de faire, c’est de décrire ce que j’observais : une technique rhétorique.