À 6 semaines du premier tour de l’élection présidentielle, l’émission est consacrée à la politique sur France Inter : temps de parole, invités politiques, pluralisme, traitement éditorial de la campagne présidentielle et l’invitation faite à Éric Zemmour le 7 février dernier.
Catherine Nayl, directrice de l’information de France Inter est au micro d’Emmanuelle Daviet pour répondre aux auditeurs.
Emmanuelle Daviet : Bienvenue dans cette émission où, chaque dernier vendredi du mois, nous relayons vos messages adressés à la rédaction de France Inter. A six semaines du premier tour de l’élection présidentielle, ce rendez-vous de la médiatrice est aujourd’hui consacré à la politique sur France Inter. Car vous nous posez beaucoup de questions sur le traitement éditorial de la campagne sur le pluralisme à l’antenne, une antenne jugée pro-Macron, pro-gouvernement pour les uns, trop à gauche pour les autres, une antenne où l’on ne donnerait pas la parole de manière équilibrée aux différents candidats, où les programmes ne seraient pas suffisamment décryptés et comparés. Et puis aussi, beaucoup de messages reçus après la matinale avec Éric Zemmour, le 7 février dernier. Et pour évoquer tous ces sujets, je reçois aujourd’hui Catherine Nayl, directrice de l’information de France Inter.
L’antenne serait-elle pro-gouvernement ? Oui, à en croire des courriels que nous recevons, en voici quelques-uns : « En qualité de fidèle auditeur de votre antenne, je ne m’y retrouve plus. J’ai de plus en plus de mal à subir ce sempiternel défilé de ministres, porte-paroles, députés macronistes qui viennent religieusement délivrer la bonne parole. Pour parler plus directement, France Inter devient, de mon point de vue la voix de son maître et c’est vraiment dommage. » Un autre message : « Pouvez vous me préciser quel est votre jour sans ministre afin que je puisse recommencer à écouter France Inter, radio de service public et non radio gouvernementale ? »
Alors, ces messages d’auditeurs reflètent-ils la réalité ? Ou s’agit-il d’un ressenti ? Pour le savoir, nous avons fait les comptes et sur l’ensemble des invités politiques de la matinale, donc le 7h50 et le Grand entretien à 8h20 : 42% des invités font partie de la majorité présidentielle. Les remarques de vos auditeurs vous semblent-elles fondées ?
Catherine Nayl : Alors, c’est très intéressant parce que je dirais qu’il y a le fond et la forme. Sur la forme, et on va dire sur les chiffres, je vais essayer de ne pas trop vous en donner. Mais néanmoins, il y a des règles qu’il faut avoir en tête. L’ARCOM qui est l’ancien CSA qui régit en fait les médias, qu’ils soient d’ailleurs privés ou publics en termes de temps de parole, nous impose et c’est la loi qui le veut, une différenciation : 33% d’exécutifs, 67 % d’autres partis. Dans les autres partis, vous avez le parti majoritaire, la REM. Si on faisait et on respectait à la lettre ce que nous demande l’ARCOM de faire, nous devrions avoir plutôt 53% de représentants de l’exécutif et de la REM dans nos journaux. Vous voyez, nous en sommes à 42%. D’autre part, ça n’est pas qu’une question de nombre de ministres, c’est aussi une question de minutes, je dirais, accordées à la fois au ministre, donc à l’exécutif, dont le président de la République, et à la REM par rapport aux autres partis. Depuis janvier, et nos auditeurs l’ont sans doute entendu, nous faisons des matinales spéciales avec les candidats à la présidentielle. Nous avons eu tous les candidats ou en tout cas les plus gros candidats déclarés, on va dire, sur à chaque fois 1h10 de temps d’antenne par matinale. Alors que nos rendez-vous, dont font partie d’ailleurs les ministres, sont plutôt au sein d’un 8 minutes sur un 7h50 ou d’un 20 minutes pour un 8h20. Et enfin, un dernier mot, et ce ne sont pas des chiffres cette fois, vous aurez remarqué, et c’est d’ailleurs très intéressant dans les extraits que nous avons entendu, que les ministres ne sont pas là pour dérouler un programme. Les ministres sont là pour être interrogés et vous voyez la façon dont, notamment, Léa Salamé interroge, contredit, contre-argumente sur des propositions, des actions que peuvent faire les ministres. Donc voilà, ce n’est pas, je dirais, qu’un simple comptage, même si j’entends ce que disent nos auditeurs, mais il me semble que nous sommes assez dans les clous à ce niveau-là.
Emmanuelle Daviet : Alors justement, par rapport à ce temps de parole, une remarque très concrète d’un auditeur et la réponse sera probablement courte : « Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, était dimanche 6 février l’invité de Questions politiques, le temps de parole de monsieur Darmanin va-t-il être décompté du temps de parole du candidat ou supposé candidat Macron ? »
Quelle est la règle ?
Catherine Nayl : Exactement. C’est-à-dire que tout ministre qui vient parler du bilan et en général les ministres, viennent parler du bilan de leur président ou de leur gouvernement positivement, ce temps d’antenne est décompté du temps du candidat présumé qu’est Emmanuel Macron.
Emmanuelle Daviet : D’autres auditeurs s’interrogent sur l’impartialité de France Inter, lui reprochant d’être trop à gauche. Une critique également formulée par différents acteurs du débat public qui avait incité Sibyle Veil, la présidente de Radio France, à publier une tribune dans Le Figaro en novembre dernier. Cette tribune est à retrouver sur la page de cette émission. Du côté des auditeurs, ce reproche, donc, je vous lis un message : « Pendant des dizaines d’années, France Inter fut ma radio de référence, la seule que j’écoutais. Devant l’orientation gauchisante prise par votre rédaction depuis de nombreuses années, j’ai cessé de vous écouter. Vous êtes les otages de cette gauche intello et bobo qui a mené notre pays là où il se trouve actuellement en refusant de voir les vrais problèmes. » Alors, quand même je précise, cet auditeur dit ne pas vous écouter, mais il nous écrit. Catherine Nayl, que répondez-vous à cette critique ?
Catherine Nayl : Ecoutez, j’entends bien sûr ces critiques et elles ne manquent pas de m’étonner, même si je ne balaye jamais les critiques d’un revers de main parce que je pense que c’est intéressant de comprendre pourquoi à un moment donné, notamment quand il s’agit de nos auditeurs parce que effectivement, sinon la critique ne se conçoit pas si on n’a pas écouté les émissions que nous produisons. Mais j’entends parfaitement ce que les auditeurs peuvent nous dire. Nous faisons presque sept heures quotidiennement d’antenne au niveau de l’information chaque jour sur l’antenne de France Inter. Que ce soit des journaux, des émissions, des reportages, beaucoup d’interactivité, évidemment, avec Le Téléphone sonne. Nous essayons réellement d’embrasser, je dirais, le pays. Et quand on dit « embrasser le pays », c’est évidemment tous ceux qui vivent à l’intérieur du pays. On peut toujours mieux faire et j’en ai parfaitement conscience. Mais j’estime qu’avec les reporters de la rédaction, avec par exemple Fabienne Sintès qui tous les jours donne la parole, et Claire Servajean le vendredi, à des auditeurs sur des thématiques vraiment très, très différentes, qui sont des thématiques de société qui s’adressent à tous et d’ailleurs, nous l’entendons, nous avons des agriculteurs, nous avons des ouvriers, nous avons des professeurs… Tous ces auditeurs passent à l’antenne. C’est bien la preuve que nous les écoutons tous. Donc, la critique systématique et qui reprend, on va dire de manière un peu caricaturale le côté « bobo de gauche » d’un France Inter qui ne parlerait qu’à l’intérieur du périphérique, à une classe très précise socio professionnelle, me semble un tout petit peu dépassée. Néanmoins, encore une fois, moi, je veille scrupuleusement et les conférences de rédaction sont faites pour ça, pour rester dans cette ouverture d’esprit qu’un média de service public doit avoir.
Emmanuelle Daviet : Le 16 janvier dernier, Nicolas Dupont Aignan, Nathalie Arthaud et Hélène Thouy étaient invités de Questions Politiques et un auditeur s’interroge sur la formule : « Je ne comprends pas pourquoi les trois candidats qui y ont participé n’ont pas eu droit chacun à leur propre émission d’une heure pour présenter leur programme. » Et puis un autre courriel sur l’équilibre du temps d’antenne : « Je suis navré de constater que les propositions des différents candidats ne sont pas traités de manière équilibrée. Un temps très important et consacré à la candidature d’Eric Zemmour, un peu à Valérie Pécresse, un peu à Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon et Yannick Jadot. Mais je n’ai rien entendu des propositions de Nathalie Arthaud ou de Philippe Poutou. Il me semble qu’il s’agit d’une rupture de l’égalité et un défaut d’information. » Catherine Nayl, comment s’articule la répartition du temps d’antenne selon les candidats ?
Catherine Nayl : Alors là aussi il y a des règles très, très précises, notamment en période électorale. Et je trouve qu’il est très précieux, justement, d’avoir des règles sur lesquelles nous pouvons nous appuyer. Entre le 1er janvier et le 26 mars, nous devons respecter l’équité et non pas l’égalité. L’équité en fonction de ce que représentent les candidats et l’ARCOM, l’ex-CSA s’appuie sur différents thèmes, je dirais pour préciser ce que doit être cette équité : la place, le positionnement au niveau des sondages, la représentation au sein des institutions françaises, évidemment, notamment au sein du Parlement (députés, sénateurs, Parlement européen). Et puis les résultats, bien sûr, des élections précédentes. Donc, chaque candidat représente, je dirais, quelque chose qui est acté par l’ARCOM et que tous les médias doivent scrupuleusement respecter. Evidemment, il y a plusieurs façons de donner la parole aux candidats sur notre antenne : le 7h50, le 8h20, le 13h30 avec Bruno Duvic des journées spéciales que nous organisons. Le 22 février, nous avons écouté plusieurs candidats devant 100 jeunes qui leur posaient des questions différemment. Et c’est cette équité, cette proportionnalité que nous respectons en tenant nos comptes tous les quinze jours, on doit donner ces comptes au CSA à l’ARCOM qui peut nous faire des remarques et nous corrigeons en fonction de ces remarques. C’est pour ça que vous pouvez avoir parfois un Questions Politiques consacré à un seul homme politique et une émission de Questions Politiques avec dix minutes de temps d’antenne pour des candidats qui, effectivement, n’ont pas forcément de groupe à l’Assemblée nationale ou ont fait des résultats moins conséquents aux différentes élections.
Emmanuelle Daviet : Au delà du temps d’antenne, des auditeurs regrettent un manque d’analyse des programmes et des propositions. Et un auditeur écrit : « Pensez-vous que nous, Français, en avons quoi que ce soit à faire des petites phrases, des politiques, des stratégies de campagne, des candidats, des ralliements de seconds couteaux en tout genre ? En fait, on s’en fout complètement. Et si ça nous intéresse, il y a Twitter et Tik Tok. On ne vient pas sur France Inter pour ça ». Et un autre auditeur ajoute : « Cessez de tomber dans le panneau des petites phrases et attaquez les sujets de fond pour les 5 à 50 prochaines années. »
Catherine Nayl, quel est le dispositif de décryptage des programmes, proposez-vous aux auditeurs ?
Catherine Nayl : Plusieurs formes : dans les matinales spéciales que nous organisons il y a une demie heure, spécifiquement consacrée aux programmes en matière économique, politique, environnementale et de politique étrangère, pour chacun de nos candidats. Il y a aussi des focus qui sont faits par les équipes numériques de France Inter en se demandant quels sont les projets de tous les candidats sur l’éducation, sur l’environnement, sur la jeunesse. Nous avons adressé aux candidats un questionnaire de cent questions réalisé par le service numérique de France Inter pour interroger ces candidats sur les propositions, particulièrement sur la jeunesse et l’éducation. Voilà, il y a plusieurs formes de décryptage de ces programmes parce que, je suis d’accord avec nos auditeurs, c’est très important.
Emmanuelle Daviet : Vous avez évoqué la journée de mardi dernier où des candidats à l’élection ont répondu aux questions d’une centaine de jeunes. Des auditeurs nous ont écrit parce qu’ils ne comprennent pas pourquoi Jean-Luc Mélenchon n’était pas présent. Et pour quelles raisons les petits candidats n’ont pas été conviés. Donc, comment les candidats ont-ils été choisis pour cette journée spéciale ?
Catherine Nayl : Jean-Luc Mélenchon était invité. Il a décliné la veille au soir, très tard, ce qui a été assez compliqué à gérer je ne vous le cache pas, avec les jeunes qui s’étaient préparés à lui poser des questions. Nous ne pouvions pas inviter tous les candidats, ils sont actuellement une trentaine, face à des jeunes qui sont restés toute la journée, déjà très concentrés 45 minutes par candidat sur ce questionnement. Il faut effectivement faire un choix. D’ailleurs, le candidat présumé, Emmanuel Macron, n’était pas représenté par quelqu’un de la REM. Il n’était pas candidat. Il n’était pas présent.
Emmanuelle Daviet : Et cette journée, vous en proposerez une version dimanche ?
Catherine Nayl : Exactement dans un Questions Politiques spécial, entre 13h15 et 16h.
Emmanuelle Daviet : Cette déclaration d’Éric Zemmour, invité dans la matinale le 7 février dernier, a suscité un tombereau de courriels d’auditeurs qui ont aussitôt apporté leur soutien à la chaîne à travers ces messages : « Suite à l’entretien avec Eric Zemmour, je vous renouvelle toute ma confiance pour la qualité de vos émissions, pour votre respect des diversités. France Inter représente très dignement le service public. Merci à tous. » Ou encore « Je paie avec bonheur et fierté les impôts qui alimentent la radio publique. Merci à vous! » Des centaines d’auditrices et d’auditeurs de France Inter se sont également sentis profondément insultés par les propos d’Eric Zemmour :« Je suis choquée par le manque de respect de monsieur Zemmour », nous dit cette auditrice. « Manque de respect vis à vis des journalistes de France Inter et je me suis sentie moi même insultée en tant qu’auditrice de votre radio. Comme les millions de gens qui vous écoutent ». Alors, Catherine Nayl, des auditeurs s’interrogent évidemment sur cette invitation et ce message résume tous les autres : « Pourquoi invitez-vous Eric Zemmour alors qu’il vous insulte ? Même si, dans les sondages, plus de 15 des votants disent voter pour ce monsieur, êtes-vous obligés de lui donner la parole plus d’une heure ? »
Catherine Nayl : La réponse est oui. Nous sommes effectivement obligés de donner la parole à Eric Zemmour, qui a été jugé apte à se présenter à la candidature à la présidentielle française. Nous ne pouvons pas, nous, ne pas respecter ces règles élémentaires. Mais ça ne fait effectivement pas plaisir de se faire huer dans un meeting, de se faire insulter en direct. Je loue par ailleurs la sérénité et l’apparente placidité de Léa Salamé et de Nicolas Demorand. Ce n’est pas très agréable et ce n’est pas facile de ne pas réagir de manière virulente à ces propos. Et pourtant, c’est comme ça qu’il fallait le prendre.
Emmanuelle Daviet : D’ailleurs, à ce sujet, j’ajoute que dans le flot de mails reçus, de nombreux auditeurs ont également salué la tenue de l’interview. Un dernier message d’un auditeur à Léa Salamé et Nicolas Demorand : « Merci et bravo pour votre professionnalisme. Recevoir un personnage qui menace le service public de disparition et garder son sang froid comme vous l’avez fait force mon admiration. »
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