12 octobre 2019
Le maelström de l’actualité
Une information chasse l’autre. C’est la loi du genre journalistique. Si l’on s’en tenait à ce principe, il serait pertinent de commencer cet édito par les remarques des auditeurs sur le voile. Le sujet monopolise l’espace médiatique depuis le début de la semaine et génère un important volume de courriels, renvoyant d’une chiquenaude Xavier Dupont de Ligonnès aux oubliettes de l’info. Il est néanmoins important de revenir sur le traitement éditorial de la prétendue arrestation du père de famille suspecté du meurtre de sa femme et de ses quatre enfants vendredi 11 octobre. Nous ne livrerons pas ici toutes les observations que nous dicte l’affaire, un simple édito n’y suffirait pas et, nul doute que des confrères y consacreront des ouvrages tant le sujet est passionnant à analyser et les enseignements nombreux à en tirer.
Le traitement journalistique du français arrêté à l’aéroport de Glasgow vendredi dernier a suscité des centaines de messages exprimant la colère et l’indignation. Dans leurs courriels des auditeurs parlent de « fake news Ligonnès » et de « désinformation ». Revenons sur le sens de ces mots afin de nommer correctement les faits.
Une « fake news » est destinée à tromper le lecteur ou l’internaute, à influencer son avis sur un sujet, soit en falsifiant les faits ou bien en les inventant de toutes pièces. Quant à la « désinformation », il s’agit d’une information mensongère, propagée massivement, délibérément, techniquement virale afin d’être diffusée à grande échelle. Elle est anticipée et programmée dans le but de tromper l’opinion publique.
Dans la séquence médiatique de la prétendue arrestation de Xavier Dupont De Ligonnès il n’y a jamais eu, de la part des rédactions de Radio France, un tel dessein.
À la désinformation qui induit un acte intentionnel nous opposons une notion plus appropriée pour qualifier tout cet emballement. Il est en effet plus juste de parler de « mésinformation », c’est-à-dire d’un défaut d’information qui résulte davantage d’un manque de vigilance de la part du producteur du contenu. Ce que les spécialistes en sciences de l’information nomment la « sous-information ». Il y a sous-information lorsque les médias n’ont pas suffisamment d’éléments sur le sujet abordé. Une situation de sous-information relève de la pleine responsabilité d’un média. Or la transmission d’une information au grand public commande une exigence d’exactitude et de précision et impose au journaliste « l’obligation de savoir tout ce qui est possible sur le fait qu’il traite ». Une connaissance insuffisante, une enquête insuffisante, une exigence insuffisante sont les principaux motifs de la sous-information. « La sous-information précipite le journaliste dans le cauchemar de l’approximation. Ses effets sont l’exagération et la spéculation que les anglo-saxons nomment parfois le maybe journalism. L’usage du conditionnel, souvent recommandable, n’est pas toujours suffisant. (…) A l’égard des personnes, la compromission de leur réputation provient souvent de la sous-information à laquelle se greffe l’inconséquence » écrit très justement en 2010 le philosophe et journaliste Eric Rohde.
Cette analyse résonne d’emblée avec l’un des principaux reproches adressés par les auditeurs : « un homme innocent a été jeté en pâture », « il n’y a aucune raison que les médias donnent le nom de la victime du vol de passeport » « le scandale impardonnable à mes yeux , est que les médias aient donné le nom de la personne victime de l’erreur ». Dès dimanche matin, le 13 octobre, Vincent Giret, le directeur de Franceinfo a répondu à ces remarques en direct sur son antenne ICI. Lundi Catherine Nayl la directrice de l’information de France Inter a publié un communiqué. Samedi 19 octobre, Jean-Philippe Baille, le directeur de la rédaction de franceinfo, revient également sur les enseignements tirés de cette séquence dans le rendez-vous de la médiatrice à 11h51 sur franceinfo.
Vendredi dernier, j’écrivais ici que l’actualité est une matière complexe. La semaine vient de nous en offrir plusieurs illustrations et invite à enrichir l’assertion : le traitement de l’actualité est éminemment complexe.
L’information proposée sur une antenne est le fruit d’un travail de réflexion, de questionnements, de doutes. Le résultat d’arbitrages, d’ajustements, la synthèse d’échanges (parfois vifs) et de décisions prises en conférence de rédaction. Il n’y a pas toujours unanimité. L’actualité, les journalistes la travaillent chaque jour, chaque heure, elle est mouvante, indéterminée, surprenante. Malgré les connaissances des principes de ce métier, les réflexes journalistiques sont parfois balayés par une actualité qui prend tout le monde de court. Le mouvement des Gilets jaunes est à ce titre emblématique, il a bouleversé et submergé tous les codes que nous connaissions dans ce pays, y compris les codes médiatiques.
Après l’affaire Xavier Dupont De Ligonnès, le sujet de débats au sein des rédactions cette semaine est incontestablement le voile. Comment en parle-t-on ? Quels angles choisir ? Comment trouver le juste équilibre ? Si certains journalistes regrettent une surexposition médiatique, les auditeurs (qui nous écrivent) estiment eux, que ce sujet n’est pas assez traité notamment sur l’antenne de France Inter et, lorsqu’il l’est, la sémantique employée ou les angles de reportages choisis ne reflètent pas leur avis sur la question écrivent-ils.
Tant le sujet semble appartenir au camp de l’extrême-droite, ces auditeurs jugent nécessaire de préciser qu’ils sont de gauche et considèrent que « les journalistes sont aveuglés par leur bien pensance », « ne pas parler du sujet c’est laisser la place au Rassemblement National. Continuez et bientôt ils seront au pouvoir ! » « c’est navrant de traiter le voile des femmes musulmanes comme un fait ou phénomène mineur ». Depuis lundi, chaque jour des dizaines de messages nous parviennent très majoritairement de cette teneur.
Pierre Rabhi invité sur France Inter. Les auditeurs et internautes font part de leur étonnement « de lui donner sur une chaîne publique une audience nationale » « après les révélations faites par plusieurs médias » et « les nombreuses enquêtes journalistiques menées » sur « le système Rabhi », notamment dans un reportage de Secrets d’info qui, l’an passé, pointait « Les contradictions du paysan Pierre Rahbi ».
Secrets d’info, le magazine de la cellule Investigation de Radio France, s’interrogeait d’ailleurs samedi dernier sur la crise de la forêt française avec ses salariés en souffrance tandis qu’une perte de la biodiversité affecte le patrimoine forestier. Cette enquête, signée Benoit Collombat, est plébiscitée par les auditeurs : « Merci pour vos émissions, même si elles ajoutent à mes indignations et à mes angoisses ! », « Bravo à l’équipe pour ce reportage réaliste et bien documenté, merci et continuez votre travail essentiel. »
De la rédaction aux programmes…
« La moitié des Français sont à moitié cons » décrète une chroniqueuse dans « La Bande originale » de Nagui. Des auditeurs « heureux de payer la redevance pour s’entendre dire ça » nous confient à quelle moitié ils appartiennent. Quant à Caroline Fourest, plutôt de commettre un film elle ferait mieux de « s’occuper des femmes et des pédés ». Cette saillie d’un critique du « Masque et la Plume » a déclenché le rire de l’assistance. Et les commentaires des auditeurs, à lire ci-dessous. Sur une antenne, a fortiori de service public, la liberté de tout dire ne devrait-elle pas s’arrêter là où commencent l’insulte, le mépris voire la stigmatisation ?
Loin de ces tours d’ivoire mentales et témoignant d’une réelle bienveillance à l’égard de ses concitoyens, Nicolas Stoufflet lui, les Français il les côtoie, les respecte et les rencontre au plus près, dans les petites communes rurales, dans les villes moyennes en parcourant les routes de France. L’animateur du mythique « Jeu des 1000 euros » est le premier invité de notre nouvelle série « Coulisses » la vidéo ici.
Emmanuelle Daviet
Médiatrice des antennes