Jérôme Chapuis présentateur du 7-9 et de l’interview de 8h30 et Salhia Brakhlia présentatrice du 9-10 et l’itw de 8h30 sont au micro d’Emmanuelle Daviet, médiatrice des antennes.
Voici comment sont préparées et sont menées les interviews politiques, qui donnent souvent lieu à de nombreuses réactions.
Emmanuelle Daviet : Nous allons aborder en effet des questions sensibles : comment les interviews politiques sont conduites dans la matinale ? Quels sont les principes et les processus qui les sous-tendent ? Jérôme Chapuis et Salhia
Brakhlia, première question des auditeurs : « Quelle est votre indépendance par rapport au pouvoir ? Est-ce que Matignon ou l’Élysée vous impose des invités dans la matinale ? »
Jérôme Chapuis : C’est une question importante, parce qu’elle permet, une fois pour toutes, de mettre fin à un fantasme. Non, il n’y a strictement aucune intervention dans le choix des invités. Notre liberté est totale. Pourquoi ? Parce que la liberté, c’est la condition de notre crédibilité. Après, on peut parler de la manière dont nous choisissons ensemble. Je dis nous, c’est très important, parce que c’est un choix collectif. Nous choisissons les invités. Il y a des suggestions sur un groupe WhatsApp, il y a ensuite une discussion et puis il y a des décisions qu’on prend, encore une fois, collectivement.
Salhia Brakhlia : Les invités, on les choisit nous-mêmes, parce qu’il y a une réflexion sur la légitimité de l’invité qu’on a envie d’entendre et sur le moment où on choisit de l’inviter. Et ça, il n’y a que nous qui le décidons. Personne à l’extérieur de franceinfo ne dit « il faut inviter celui-là », pas du tout, ça n’arrive pas.
Nicolas Teillard : Il y a aussi des contraintes, parce que parfois, des invités qu’on aimerait avoir ne sont pas disponibles, ou ne veulent pas nous répondre, un matin, ou même sur de longues périodes.
Salhia Brakhlia : Et c’est une véritable bataille, il faut le dire, parce qu’on est plusieurs sur ce créneau. On a beaucoup de concurrents sur les matinales. Et donc, dans ce cas précis, il faut avoir le meilleur interlocuteur par rapport à un fait d’actualité. On se bat pour ça tous les matins et on y arrive plutôt bien à Franceinfo. Mais effectivement, il faut faire aussi avec les agendas des ministres et des différentes personnalités.
Jérôme Chapuis : Il y a une autre contrainte, c’est celle que nous impose la loi en matière de pluralisme. Sur Franceinfo, comme sur tous les médias audiovisuels, on a des obligations en matière de pluralisme. Il faut que toutes les sensibilités soient représentées.
Nicolas Teillard : Certains s’étonnent sur les réseaux sociaux que des invités, un matin, sont de la même couleur politique sur France Inter, RMC, RTL ou franceinfo. Il n’y a pas de concertation, seulement une obligation de varier les invités, et certains matins, il arrive qu’on ait effectivement des invités du même parti sur différentes radios.
« Jérôme Chapuis, Salhia Brakhlia, lorsque vous recevez un ministre, préparez-vous les questions avec son équipe ? », demande un auditeur.
Salhia Brakhlia : Là encore ça fait vraiment partie des fantasmes : jamais. Ça n’arrive pas, en fait. Ceux qui préparent le « 8.30 », c’est Jérôme et moi. Les questions, on les a pensées, on y a réfléchi, on en a discuté ensemble, on les a écrites ensemble. Donc à aucun moment, le conseiller ou conseillère communication de l’invité ne se mêle de ce qu’on a sur notre feuille, le matin face à notre invité. Après, il y a quelque chose qui nous importe, c’est d’avoir une personnalité, en face de nous, qui a des réponses à donner. Comme c’est une demi-heure d’entretien, il faut que l’invité se prépare aussi. Donc on leur donne les thèmes abordés, mais sans plus de détails.
Jérôme Chapuis : Mais c’est très succint. Par exemple on va dire : « Aujourd’hui, notre priorité, c’est de parler du Proche-Orient, ou du pouvoir d’achat. » Notre intérêt, c’est évidemment que les personnes, qu’on a en face de nous, aient travaillé sur le dossier qui est prioritaire pour nous.
Nicolas Teillard : Sachez, pour être totalement transparent, que le travail des services communication des personnalités politiques, c’est de dire : « On aimerait bien parler de ça. » Et la réponse classique, c’est de leur dire : « Évidemment qu’on en parlera », et de choisir finalement d’écarter éventuellement cette question !
Jérôme Chapuis : Oui voilà, l’important, c’est notre liberté à nous. Après, ça peut être aussi dans notre intérêt de savoir que telle ou telle personnalité a envie de parler de ça, parce qu’on peut subodorer qu’il a une annonce à faire, par exemple, une mesure à dévoiler. Et dans ces cas-là, on est plutôt content que ça se passe chez nous.
Très concrètement, comment se déroule la préparation d’une interview politique ? Quelles sont les étapes de cette préparation ?
Jérôme Chapuis : Les bons ingrédients pour avoir une interview réussie, c’est le bon invité, le bon moment et les bonnes questions. Pour les bonnes questions, Salhia et moi, nous avons nos petits rituels. On travaille chacun dans son couloir. On a un groupe WhatsApp, dans lequel on met tous les thèmes et là, c’est un peu « fouillis ». Paul et Antoine, qui travaillent avec nous, nous font ensuite une documentation sur la base de toutes ces suggestions. Ça, c’est dans les deux ou trois jours qui précèdent l’interview. À la veille – moi c’est mon cadeau quand je me réveille – on reçoit en général une quarantaine de pages à lire. Alors, avec Salhia, chacun dans son couloir, on a chacun des idées. On réfléchit à des questions, on s’échange souvent un mail aux alentours de 18 h et seulement ensuite, on se parle. Parce qu’on peut avoir à peu près les mêmes idées, mais il peut arriver que l’un pense à quelque chose et l’autre pas, ou inversement.
Salhia Brakhlia : Le but, c’est d’être complémentaire. On est deux pendant le « 8.30 », on n’a pas forcément les mêmes questions qui nous viennent à l’esprit et en plus on a des sensibilités différentes. Par exemple, j’ai découvert que Jérôme aime beaucoup parler d’intelligence artificielle, là, il a plein de questions à poser et moi, je suis plus du côté des thèmes sociétaux, immigration, sécurité… Et je trouve qu’on se complète bien là-dessus.
« Êtes-vous influencés par les réseaux sociaux pour préparer les interviews ? », demande un auditeur.
Jérôme Chapuis : On est influencé par tout ce qui nous entoure, les médias, nos discussions… La première des choses à prendre en compte, c’est l’écosystème, dans une rédaction comme celle de franceinfo, où vous avez 200 journalistes qui regardent, toute la journée, l’actualité. La première influence, c’est le collectif de Franceinfo. Ensuite, on est en effet intéressé par ce qui se dit sur les réseaux sociaux. C’est un signal. Ça nous permet de sentir, de capter certaines tendances. Après, on est comme tous les Français : à la fois, on regarde les réseaux sociaux et, comme c’était dit dans le baromètre de La Croix qui est paru ce matin, on s’en méfie aussi, parce qu’on sait qu’il y a de tout sur les réseaux sociaux.
Salhia Brakhlia : Oui, on garde de la distance et en même temps, je me rappelle que pour plusieurs invités politiques, des personnes sur Tweeter nous ont écrit en demandant : « Est-ce que vous pourriez poser une question par rapport à ça et ça », parce qu’il y a des sujets qui montent via les réseaux sociaux.
Nicolas Teillard : Il y a aussi la question qu’on aimerait poser, mais l’horloge tourne et on n’a pas le temps !
Justement, dernière question d’un auditeur : « Quelles sont les mesures prises pour garantir la véracité des informations diffusées pendant les entretiens politiques ? Avez-vous un moyen de les vérifier ? »
Salhia Brakhlia : Normalement, si on a bien fait notre travail de préparation, on est capable d’envisager toutes les réponses de l’invité. S’il y a une mauvaise information qui sort, une fake news qui arrive pendant l’entretien, on n’est pas capable de le vérifier en direct, mais on a on a quelque chose qui est important chez Franceinfo, c’est « le vrai ou faux », notre cellule de « fact-checking », qui peut revenir le lendemain sur l’affirmation fausse qui a été donnée à l’antenne.
Nicolas Teillard : Mais finalement, quelle serait l’interview politique parfaite ? C’est compliqué à dire parce qu’il n’y a pas de guide et ce n’est pas une science exacte.
Emmanuelle Daviet : Eh bien j’invite les auditeurs à nous y répondre à l’adresse médiatrice@radiofrance.com, on lit tous vos courriels.