À l’occasion de Medias En Seine, organisé par Radio France et le groupe Les Echos/Le Parisien, opération portes ouvertes sur l’info, ce mercredi 22 novembre. Les journalistes expliquent leurs méthodes de travail en répondant aux questions des auditeurs. Depuis le début de la guerre au Proche-Orient, le 7 octobre dernier, la médiatrice Emmanuelle Daviet reçoit des milliers de courriers. Les remarques et les critiques témoignent de la nécessité d’expliquer les choix éditoriaux et la manière dont les journalistes couvrent le conflit sur le terrain. Franck Mathevon, directeur de l’information internationale de Radio France et Farida Nouar grand reporter à France Info, y répondent. 

Franck Mathevon, directeur de la rédaction internationale de Radio France et Farida Nouar, grand reporter, Cheffe adjoint du service reportage sont au micro d’Emmanuelle Daviet, Médiatrice des antennes.

Emmanuel Daviet : Certains auditeurs estiment que le traitement de ce conflit est pro israélien. D’autres considèrent qu’il est pro palestinien. Est-il vraiment possible d’assurer une perspective équilibrée et impartiale de ce conflit ?

Franck Mathevon : C’est plutôt une bonne nouvelle si nos auditeurs sont partagés. Ça veut dire qu’on est sans doute plutôt équilibré. On sait que le conflit israélo-palestinien est un sujet très sensible qui polarise énormément. C’est quasi impossible pour certains de nos auditeurs de se mettre à la place de l’autre camp et je ne porte aucun jugement là-dessus. Mais cela nous oblige à faire preuve d’une rigueur exemplaire. On est extrêmement vigilants sur toutes les informations que l’on donne à l’antenne. On vérifie bien sûr chaque info, on cite nos sources et on s’efforce de faire entendre aussi bien les voix palestiniennes que les voix israéliennes. C’est évidemment très compliqué dans ce conflit, pour une raison très simple : on peut envoyer des reporters en Israël mais dans la bande de Gaza, la zone est fermée aux journalistes. On a des reporters côté palestinien en Cisjordanie, mais on couvre à distance la tragédie de Gaza, avec des témoignages recueillis par notes vocales avec un réseau téléphonique qui est parfois très instable. Donc c’est extrêmement compliqué. J’ajoute à cela une difficulté : il faut veiller à ne pas oublier l’autre camp, quel que soit le moment de la guerre, c’est très important.

Les auditeurs s’interrogent sur la manière dont les bilans chiffrés des morts sont présentés. Voici le message de l’un d’eux : « Couvrir le conflit israélo-palestinien n’est guère facile et votre radio le fait avec beaucoup de compétence. Cependant, un point me gêne régulièrement pour rendre compte du terrible bilan des morts palestiniens, les journalistes citent le bilan en disant ‘selon le Hamas’. Pourquoi accorder un début de crédibilité à cette organisation en la citant comme une source digne d’intérêt ? » 

Le Hamas, rappelons-le, est un mouvement classé terroriste par plusieurs pays occidentaux. Mais ça n’en est pas moins l’organisation qui gouverne la bande de Gaza. Il y a eu des élections, elle remonte à loin, à 2006, mais il y a aujourd’hui une administration dans la bande de Gaza, des élus. D’une manière générale, les chiffres du ministère de la Santé du Hamas sont considérés comme fiables par l’ONU, par les ONG et par plusieurs observateurs indépendants donc on tient compte des bilans avancés par le Hamas. Ce n’est pas pour autant qu’on prend ces chiffres pour argent comptant. Un exemple : le 18 octobre, les autorités locales ont parlé de plusieurs centaines de morts après une explosion dans un hôpital de Gaza. Notre enquête et celle de plusieurs autres médias ont montré que ce bilan était surestimé. Donc on ne se contente pas de donner un bilan sans vérification mais les chiffres des autorités de Gaza nous semblent être une information importante à livrer à nos auditeurs.

Farida Nouar, vous êtes arrivée en Israël le 13 octobre et vous êtes restée douze jours dans le sud du pays. Quelles sont les conditions de travail sur le terrain ? 

Farida Nouar : Quand j’arrive une semaine après les attaques, j’arrive dans un pays qui est toujours en sidération, avec des alertes à la roquette, avec la peur que les assaillants du Hamas soient toujours là dans le sud où je rejoins d’autres journalistes de Radio France. C’est un terrain de guerre donc on a nos gilets pare-balles, pas systématiquement sur nous, mais toujours dans le coffre. Et on a cette hypervigilance qui est activée au quotidien et qui est démultipliée quand on va dans des villes qui se trouvent à quelques kilomètres de la bande de Gaza, comme par exemple Zderot. Là on tourne rapidement et on repart rapidement parce qu’il y a encore des tirs de roquettes. Pour le reste, les Israéliens nous parlent assez facilement, que ce soit dans la rue, dans des associations ou sur le terrain. J’ai trouvé que c’était assez facile au micro. Puis il y a aussi tout ce qui nous a été facilité par les autorités israéliennes. On a eu accès aux kibboutz, les lieux des tueries. On a eu accès aux morgues. D’habitude, pour aller dans ces endroits il faut des autorisations. C’est plus ou moins long. Et là, on en est tout à fait conscients, ça fait partie d’une stratégie de communication, mais on y va et on en discute avant, avec nos rédactions à Paris. On y va parce qu’il faut documenter ce conflit. Il faut qu’on aille voir de nos propres yeux ce qui se passe, même si émotionnellement ce n’est pas forcément évident quand on va à la morgue, quand on va dans des enterrements. Mais on précise que ce sont les autorités israéliennes qui nous invitent. On le mentionne systématiquement dans le reportage.

Une auditrice nous écrit ce message : « Vos journalistes sur le terrain travaillent-ils avec des fixeurs ? Si oui, quelles sont les garanties que le fixeur est neutre dans ce conflit pour trouver des interlocuteurs pour les journalistes ?

 

Un fixeur, c’est la personne qui nous accueille quand on arrive dans le pays : c’est la personne qui traduit pour nous, qui va trouver des interlocuteurs, qui nous cale des rendez-vous, qui nous sort des situations quelquefois délicates. C’est une personne qui nous aide à comprendre ce qui se passe. On a tous travaillé avec des fixeurs en Israël qu’on a trouvé notamment grâce aux correspondants de Radio France à Jérusalem. Thibault Lefèvre, qui nous a ouvert son carnet de contacts. La neutralité, c’est une très bonne question. Il suffit de tester notre fixeur. Par exemple, ma fixeuse, je lui ai demandé de demander à des Israéliens si le gouvernement devait rendre des comptes sur ce qui s’était passé le 7 octobre. Et c’est ce qu’elle a fait avec des traductions qui allaient dans les deux sens. Si elle avait rechigné à poser ma question, ça m’aurait dit quelque chose de sa neutralité. Si un fixeur essaie de nous intoxiquer et de nous désorienter pour nous entraîner d’un côté plutôt qu’un autre, on le sent, alors on s’en sépare. On n’est pas scellé avec lui ou avec elle et on trouve quelqu’un d’autre pour mener à bien notre mission.