Benoît Collombat journaliste à la cellule investigation de Radio France est au micro de la médiatrice, Emmanuelle Daviet
Emmanuelle Daviet : Nous avons reçu des messages très élogieux après votre enquête consacrée à l’A69 qui montre comment le groupe pharmaceutique et dermocosmétique Pierre Fabre a soutenu activement le projet d’autoroute Castres Toulouse grâce à des relais politiques et à une stratégie d’influence efficace. Alors, on le sait, ce projet d’autoroute ne fait pas l’unanimité. Plusieurs associations environnementales s’y opposent depuis des mois. Et lorsque l’on écoute habituellement les reportages consacrés à l’A69, c’est plutôt l’angle de la protection de l’environnement ou de la biodiversité qui est le plus souvent évoqué. Benoît Collombat, comment vous est venue l’idée de creuser les aspects financiers et politiques de ce dossier, vous demandent des auditeurs ?
Benoît Collombat : Je dirais qu’il y a une intuition et une question à l’origine de cette enquête. L’intuition, il se trouve qu’il y a cinq ans, j’ai déjà travaillé sur les autoroutes. J’ai publié une longue enquête en mars 2019 sur l’histoire secrète de la privatisation des autoroutes et déjà je me suis intéressé à ces aspects là. Il était notamment question à l’époque d’un accord de 2015 qui était très favorable aux sociétés concessionnaires d’autoroutes. A l’époque, Manuel Valls était Premier ministre et Emmanuel Macron, ministre de l’économie. Et donc il y a eu, voilà déjà tout un débat autour de cette question là. Et j’avais découvert et révélé à l’époque que les sociétés autoroutières s’intéressaient également aux routes nationales, pas seulement aux autoroutes, mais aux routes nationales. Donc j’avais déjà cette idée là derrière la tête. Et la question est venue justement autour de l’opacité à nouveau, autour cette fois du contrat et des annexes de l’autoroute A69 que n’arrivait pas à consulter un certain nombre de parlementaires. On mettait en avant le secret des affaires. Il se trouve que, en février dernier, une commission d’enquête parlementaire, justement, s’est créée pour regarder ça de plus près.
Emmanuelle Daviet : Et alors? Comment avez-vous tiré le fil de cette enquête très documentée ?
Benoît Collombat : Alors c’est vraiment l’image du vide est très bonne parce que le sujet est très dense. Il y a beaucoup d’interlocuteurs, c’est un peu comme un labyrinthe, donc il ne faut pas se perdre. Il faut vraiment suivre ce fil.
Emmanuelle Daviet : Le fil d’Ariane.
Benoît Collombat : En quelques sortes, alors la méthode, c’est un peu toujours la même. Elle n’est pas propre à cette enquête. Je dirais qu’il y a deux temps, il y a une phase d’immersion, on essaie de comprendre ce qui se passe, un peu comme une carte géographique finalement, pour ne pas se perdre encore une fois, identifier les acteurs principaux, comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre et une deuxième phase où on essaye justement d’aller rencontrer ces acteurs et ces témoins, le recueil de témoignages. Pour le dire autrement, je dirais que c’est une enquête par le bas et par le haut. L’enquête par le bas, il faut rencontrer les personnages clés de cette histoire et l’enquête par le haut, c’était d’aller voir derrière les sociétés qui étaient intéressées financièrement, justement, à l’autoroute A69. Cela veut dire aller regarder notamment dans leurs comptes et c’est comme ça que, en allant regarder dans les comptes d’une société au Luxembourg, j’ai découvert que la société Pierre Fabre était bien intéressée économiquement, juridiquement, au contrat, contrairement à ce que l’entreprise avait dit jusqu’ici.
Emmanuelle Daviet : Combien de temps vous a-t-il fallu pour réunir tous ces éléments ?
Benoît Collombat : J’ai commencé à travailler sur cette enquête en janvier dernier et donc ça a été trois mois ininterrompus jusqu’à la publication.
Emmanuelle Daviet : Des auditeurs souhaitent savoir si vous allez continuer à enquêter sur ce sujet. On sait que vous êtes un spécialiste des investigations au long cours. Comment suivez-vous ce type de dossier ?
Benoît Collombat : Il faut savoir que d’une manière générale, nos enquêtes ne nous quittent jamais. Mais pour qu’on y revienne, c’est-à-dire qu’on reste en contact avec nos sources, évidemment, on continue à avoir un œil sur l’enquête en question, mais pour qu’on y revienne à nouveau, c’est la vocation de la cellule Investigation de Radio France, il faut qu’il y ait une valeur ajoutée importante. Il faut qu’il y ait de nouvelles révélations qu’on puisse apporter au débat public. Et si c’est le cas dans l’A69, évidemment, on le fera.
Emmanuelle Daviet : D’ailleurs, j’indique les auditeurs dans les messages qu’ils nous ont adressés vous donnent également des pistes de recherche que vous pourriez avoir.
Benoît Collombat : C’est une source comme une autre, bien évidemment, on en tient compte.
Emmanuelle Daviet : Merci Benoît Collombat. Je rappelle que votre enquête est à retrouver sur le site de FranceInfo.