« L’élection de Trump, c’est la faillite des médias », nous ont écrit plusieurs auditeurs. Oui et non. C’est aussi une terrible influence des réseaux sociaux sur des électeurs prêts à croire n’importe quoi…
Bien sûr que les journalistes, influencés par des sondages américains peu fiables, ont anticipé une victoire qui n’a pas été celle pronostiquée. Bien sûr, aussi, que la majorité des journalistes pouvaient difficilement imaginer que les déclarations racistes, xénophobes, sexistes, vulgaires, inconséquentes et irréfléchies d’un candidat séduiraient une majorité d’électeurs. Pourtant, il est vrai que les reportages réalisés dans les différents états américains et diffusés sur nos antennes montraient une adhésion importante des électeurs à Donald Trump.
La victoire du mensonge
Alors, « faillite des médias » ? Peut-être, dans cette propension très risquée à vouloir à tout prix prédire un résultat avant un événement. En revanche, ce qui est certain, c’est que cette élection est la victoire du mensonge et des fausses informations. Et, là, les journalistes n’en sont pas responsables ; ils en sont plutôt accablés. Accablés de constater qu’un nombre considérable d’électeurs préfèrent croire des sites d’informations fantaisistes ou des blogs de propagande plutôt que les articles d’informations vérifiées et « sourcées » de journalistes professionnels.
Dans une interview au Washington Post reprise sur franceinfo.fr, Paul Horner, créateur de faux sites d’informations, avoue : « Mes sites étaient en permanence consultés par des supporteurs de Trump. Je pense qu’il est à la Maison Blanche à cause de moi. Jamais je n’aurai cru possible qu’il soit élu. Je pensais juste semer le désordre dans la campagne. Je déteste Trump ». Et il ajoute que les électeurs de Trump « ne vérifient rien, ils partagent tout et croient n’importe quoi ».
« Les électeurs croient n’importe quoi »
De fait, ils ont cru, entre autres, les 42% de taux de chômage aux Etats-Unis (en réalité 5%), les 30 millions d’immigrés clandestins (réellement 11 millions), le soutien du pape François (c’est faux) ou encore la vente d’armes par Hillary Clinton à Daesh. Un parallèle est possible avec le référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne : une quantité de fausses informations ont circulé sur les réseaux sociaux influençant nombre d’électeurs. Un exemple : les sommes non dépensées en faveur de l’UE iraient alimenter le secteur de la santé…
Le jugement de Paul Horner est sans appel : « Les gens sont juste de plus en plus bêtes. Plus personne ne vérifie rien. Trump a raconté ce qu’il voulait et les gens l’ont cru. Et quand ces choses se sont révélées fausses, les gens s’en moquaient, parce qu’ils avaient déjà accepté cela. C’est vraiment effrayant ». En effet…
Enfermer dans la bulle de ses a priori
Buzzfeed a analysé des données de Facebook ; pendant la campagne électorale américaine, les internautes ont partagé davantage de fausses informations (8,7 millions) que d’articles sérieux de journalistes (7,8 millions). Et quand on sait que plus de 40% des Américains s’informent sur les réseaux sociaux…
Les algorithmes de Facebook posent également problème. Ils vous enferment dans une bulle en vous proposant en priorité les informations qu’ils ont repérées comme ayant votre préférence. S’ils ont remarqué que vous consultiez plutôt tout ce qui concerne les Républicains, ils vont mettre systématiquement en avant les articles qui confortent vos opinions. Et c’est ainsi que vous vous retrouvez enfermés dans une bulle de propagande, au milieu d’informations plus ou moins exactes, partielles et partiales, non vérifiées, d’intox invraisemblables, mais qui vont satisfaire vos idées préconçues.
Plus de débats, de recul, de nuances, de contre-informations, on gobe tout ce qui flatte ses propres intérêts. On n’est plus très loin d’une démarche totalitaire et de ce populisme qui se développe sur les instincts les plus bas de chacun : repli sur soi, rejet des différences, réactions sans réflexions, refus de la contradiction…
Défendre la crédibilité des journalistes
Laurent Guimier, directeur de France Info, se veut plus optimiste et croit qu’après un tel déferlement de rumeurs, d’intox et de fausses informations, les internautes vont revenir sur des sites sérieux : « C’est à nous, journalistes, de reconquérir le public en démentant toutes les fausses informations et en montrant que les nôtres sont vérifiées et sérieuses ». Les journalistes ont une éthique et respectent une déontologie, pas les blogueurs…
De leurs côtés, Facebook et Google réfléchissent à des solutions pour contrecarrer la propagation d’informations de pure invention ou détournées.
En tout cas, si l’information est sortie perdante des élections américaines, d’autres en ont largement profité. Ce fameux Paul Horner qui, depuis sept ans, inonde les réseaux sociaux de fausses informations reconnait avoir gagné jusqu’à 9 500 € (10 000 $) par mois pendant la campagne électorale grâce à la publicité générée sur ses sites. Autre grand gagnant : Donald Trump, mais la victoire à ce prix est-elle glorieuse ?
Bruno DENAES
Médiateur des antennes
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