Florian Delorme directeur des programmes de France Culture est au micro d’Emmanuelle Daviet, médiatrice des antennes

Emmanuelle Daviet : Les auditeurs de France Culture nous ont adressé de nombreux messages depuis le 7 octobre dernier, ils expriment leur avis sur la situation en Israël, parfois aussi leurs désaccords sur la forme des interviews. Cette manifestation de la critique fait partie intégrante du processus d’exploration des points de vue que défend France Culture où les invités sont choisis pour leur capacité à susciter la réflexion. C’est dans cette optique qu’une table ronde a été organisée dans les midis de Culture mardi dernier, le 10 octobre. Elle avait pour ambition de proposer un regard d’artistes sur les attaques terroristes du Hamas en Israël. 

Les auditeurs ont pu mesurer la complexité de faire entendre des points de vue divergents: je vous lis le message d’un auditeur : « Donner le micro à une personne qui échappe à la discussion pour transmettre un discours de propagande, laisser faire, laisser dire, est une faute. Heureusement, l’autre invitée n’a pas laissé tout dire, elle est intervenue afin de faire cesser cette imposture ! France Culture, ne nous a jamais habitués à ce genre de traitement, c’est une radio qui fait montre d’intelligence et qui doit continuer à le faire. »

Et au sujet de cette émission un autre point de vue d’auditeur : « Je voudrais témoigner qu’au contraire, j’ai trouvé cela très important et utile de permettre à ces trois personnes qui prônent chacune la paix de confronter leurs points de vue différents. Que ce débat soit sorti du cadre est bien sûr une bonne chose. Comment voulez-vous qu’après une telle violence, des invités intelligents puissent rester dans un cadre si propret ?! En espérant qu’à l’avenir, vous continuerez d’autoriser les invités à sortir du cadre. »

Pouvez-vous Florian Delorme nous redonner des éléments de contexte de cette émission, et nous dire ce que vous inspirent les messages de vos auditeurs.

Florian Delorme : Oui, merci beaucoup Emmanuelle. C’est effectivement, je vous confirme une émission pour laquelle on a reçu énormément de réactions, d’ailleurs extrêmement diverses à la fois certains qui critiquaient l’émission, d’autres au contraire qui la trouvait très utile et très éclairante. Et je crois que les témoignages que vous avez mentionné le montrent bien. Disons que, en interne aussi, ça fait l’objet de discussions. Je suis très transparent avec vous, en amont d’abord et puis ensuite après la diffusion. Mais peut être pour que les auditeurs comprennent bien quelques éléments de contexte, pour essayer de faire comprendre ce qu’on a voulu faire avec ces événements. Après les attaques du Hamas en Israël nous est apparu évident que notre responsabilité, c’était d’essayer de faire comprendre ce qu’il était en train de se passer alors. D’abord, dans un premier temps, les journalistes de la rédaction de France Culture ont commencé à traiter ce sujet dès le samedi matin dans les journaux. Ensuite, on a considéré que certains programmes avaient pour vocation de proposer une analyse en profondeur de ce qu’il se passait avec des experts, des chercheurs, des politologues. Donc on a pris la décision de mettre en place une émission spéciale de l’Esprit Public. Ensuite, c’est Soft Power qui a pris le relais du traitement de cet événement et ensuite, le lendemain matin, c’est Guillaume Erner dans la matinale, évidemment. Et c’est à ce moment là qu’on se dit, qu’est ce qu’on fait dans les Midis de culture qui sont aussi un rendez vous d’actualité ? Soit il s’agit d’appréhender cette actualité par le prisme de la culture, mais c’est aussi une émission d’actualité. Donc, on a fait le choix, dans un premier temps, de ne pas modifier la programmation du lundi pour se donner un peu de temps pour réfléchir à comment on allait construire les choses. Ce qu’on a essayé de faire au départ, c’est de dire que nous allons proposer des regards croisés d’artistes sur ce conflit, avec l’idée de séquencer ses interventions pour éviter la forme du débat. Les invités avaient été par ailleurs sensibilisés à ce principe qu’on avait retenu. Et c’est vrai que l’émission a pris une tournure qu’on n’avait pas prévue. On s’est retrouvé dans une situation où les invités se répondaient sans réellement s’écouter, avec la difficulté supplémentaire qui était qu’on avait un invité qui était à distance et en plus traduit. Et comme l’ont dit très justement Géraldine Mosna-Savoye et Nicolas Herbeaux, dès le lendemain sur notre antenne, on l’a regretté parce qu’il est clair que cette forme n’était pas la plus appropriée pour entendre sereinement ces paroles. Donc, on a beaucoup parlé après cette émission et on a tiré les leçons de tout ça.

Emmanuelle Daviet : A la suite des remarques des auditeurs, avez-vous pris des mesures ou passé des consignes concernant l’organisation de tables rondes sur ce conflit ?

Florian Delorme : Des mesures ? Des consignes ? Pas vraiment. Ça ne se passe pas vraiment comme ça. En revanche, c’est vrai qu’on s’interroge. On s’est retrouvé, on a discuté autour des questions que tout cela posait. En fait, je crois qu’on a tous à peu près conscience de ces enjeux et de ce qu’il y a derrière. Tout le monde vise au fond le même objectif, c’est à dire traiter au mieux, éclairer au mieux ces événements, avec le souci d’être objectif et équilibré. Je mets les deux termes, évidemment entre guillemets, parce que derrière tout ça, il y a une multitude de questions. Qu’est-ce que ça veut dire d’être équilibré ? Est-ce que ça veut dire que dans chaque émission, il faut un représentant des différents camps ? Avec le risque évidemment d’avoir des échanges extrêmement vifs et pas nécessairement très féconds et pas nécessairement très intéressants sur le plan de l’information. Est ce que l’équilibre, il doit se chercher plutôt dans la proposition éditoriale globale de la grille ? Et qui inviter ? Est-ce qu’on invite des intellectuels ? Est-ce qu’on invite des experts, des chercheurs, des artistes et comment on recueille leur parole ? Quelle place aussi pour la question de l’émotion, pour la question de l’empathie et de la compassion, qui sont en réalité des passages quasiment obligatoires pour ouvrir la porte à la suite, c’est à dire à l’analyse, il y a plein de questions derrière.

Emmanuelle Daviet : Vous avez évoqué la proposition éditoriale de la grille. Justement, des auditeurs souhaiteraient savoir quelle est la ligne éditoriale de France Culture lors de la couverture de conflits aussi sensibles.

Florian Delorme : La ligne éditoriale, c’est très difficile de la résumer en quelques mots. En revanche, ce que je peux vous dire et qui est là aussi une préoccupation collective partagée par tous, c’est le principe de la pluralité, la pluralité des parole, la pluralité des positions. Au fond, on sait bien que la neutralité, je la mets entre guillemets, elle est impossible à atteindre. Et en particulier sur ce genre d’événements. En revanche, multiplier les analyses, multiplier les voix, prendre garde que ces voix aussi s’appuient sur des travaux, une connaissance, un savoir, une vraie légitimité. Là, évidemment, c’est des choses qui sont très importantes et qu’on peut faire et qu’on doit faire. Et puis il y a une autre chose aussi, sur laquelle peut être, je voudrais dire un tout petit mot. C’est la question des mots, précisément. Ça, c’est quelque chose qu’on a vu très vite et sur laquelle on a maintenant une préoccupation très, très, très prégnante. C’est à dire, qu’on sait bien que les mots sont souvent piégeux et peuvent porter une forme de subjectivité et donc un parti pris. Et c’est particulièrement vrai dans ce conflit là. Il est absolument crucial d’utiliser les bons termes pour ne pas rajouter du malheur au monde, comme disait Camus. Donc évidemment, là, on a clarifié les choses sur ce plan et c’est d’ailleurs pour ça que très vite aussi, on s’est dit au sein de France Culture qu’il fallait proposer aussi aux auditeurs un glossaire de ce conflit. Et donc on a un podcast natif qui est sorti depuis cette semaine sur les mots de ce conflit israélo palestinien. On sent bien qu’évidemment les mots sont décisifs là dedans dans cet enjeu là.